Multiplication d'entraves contre les observatrices et observateurs des pratiques policières
Depuis la rentrée, les entraves se multiplient.
Pourtant, le comité des droits de l'homme de l'ONU rappelle, à propos des membres d'observatoires sur les manifestations, dans son observation n°37 : "il ne peut pas leur être interdit d’exercer [leur] fonction [d'observation] ni leur être imposé de limites à l’exercice de ces fonctions, y compris en ce qui concerne la surveillance des actions des forces de l’ordre." Ils ne peuvent pas non plus être l'objet de représailles ou de harcèlement de la part des forces de l'ordre. Ces droits subsistent lors d'une manifestation déclarée illégale.
De plus, le Conseil d'Etat, dans une décision du 10 juin 2021, a reconnu que les observateur·ices disposaient des mêmes droits que les journalistes en manifestation. Ils peuvent donc se maintenir sur les lieux d'une manifestation même après l'ordre de dispersion.
L'observatoire rennais a dénoncé des contrôles d'identité illégaux, de nombreuses obstructions et intimidations répétées dans le cadre de ses missions : captation d’images des observateur·ices avec des téléphones personnels (ce qui est illégal), remarques outrancières, interactions menaçantes, restriction de déplacements... https://www.ldh-france.org/wp-content/uploads/2025/10/CP-06-10-2025-observatoire-rennais-des-liberte-251006-084400.pdf
L'observatoire toulousain, qui documentait la manifestation (interdite) demandant la libération des membres des flottilles, arrêtés par Israël, a réagi car ses membres ont subi des coups de matraque : https://www.ldh-france.org/wp-content/uploads/2025/10/Communiquei-OPP-du-3-octobre-v1.pdf
La LDH a également réagi avec la CGT, la FSU et Solidaires : est-il besoin de rappeler que : https://www.ldh-france.org/manifester-notre-solidarite-a-gaza-nest-pas-un-crime
Les forces de l'ordre ne sont pas au-dessus des lois et l'analyse d'un procès ayant donné lieu à une condamnation est éclairante à cet égard.
Un policier condamné pour violence contre un "observateur indépendant", de la LDH (Ligue des droits de l’Homme)
Le 1er mai 2021, notre camarade Daniel B., en mission d’observation, était violemment projeté au sol par un membre de la BRAV-M, issu de la Compagnie de sécurisation et d’intervention (CSI de la préfecture de police).
Le 20 mai dernier, cet agent, Loïck M., était reconnu coupable par le tribunal correctionnel de Paris de l’infraction de violences volontaires aggravées pour avoir été commises par une personne dépositaire de l’autorité publique, et condamné à une peine de stage de citoyenneté, consacré notamment à la déontologie et aux valeurs de la République. Cette peine comporte une lourde charge symbolique : un policier ne devrait-il pas déjà être formé à la déontologie ? Et surtout, elle vient signifier une chose : les forces de l’ordre, dans l’exercice de leur fonction, ne sont pas au-dessus des règles qui s’imposent à toutes et tous.
Nous remarquons que la conduite de l’enquête par une juridiction d’instruction a permis de prendre le temps nécessaire pour traiter et confronter toutes les pièces versées par les parties au dossier. Ainsi, le fait d’obtenir un jugement, en lieu et place d’un classement sans suite - bien trop fréquent - est déjà une victoire en soi.
Nous saluons donc cette décision, qui vient clôturer 4 ans de procédure en reconnaissant les violences infligées volontairement à un observateur, et qui rappelle que les forces de l’ordre ne sont pas au-dessus des lois.
Cependant, il nous paraît important de revenir sur la stratégie déployée par l’institution policière pour défendre son agent et légitimer l’action, puisqu’elle est particulièrement représentative de la manière dont la police nationale envisage les cas de violences policières. Ceci confirme aussi la nécessité d'une documentation de ces pratiques menée de manière indépendante de l’Etat.
Circulez, il n’y a rien à voir !
Les responsables hiérarchiques de Loïk M. n’ont pas jugé utile de mener une enquête administrative relative à l'agression de Daniel et ont même pris position pour disculper l’agent, en reprenant sa version des faits et en les minimisant.
La vidéo, qui laisse peu de doutes sur le caractère inique de l'intervention, ne les a pas convaincus d'un éventuel manquement de la part du policier dans l'exercice de ses fonctions.
Selon Mediapart, le dossier d’instruction établit que :
- Le chef de section indique : « Nous avons été volontairement gênés par des personnes faisant un écran ». Il ajoute que « cette obstruction des interpellations par des associations et/ou des gens se revendiquant de la presse est redondante » et prétend même que Daniel est "parti en courant » après s’être relevé, ce qui est totalement faux et est contredit par les images.
- Le commandant, chef de la 12e compagnie d’intervention, explique que, depuis le mouvement des Gilets jaunes, les actions de police «sont toujours perturbées d’une façon ou d’une autre, volontaire ou non, par des journalistes ou observateurs dont la particularité est de disposer de matériel de captation d’images qui va d’un simple téléphone à une caméra portée et qui tiennent une position qui perturbe les mouvements des actions de police ».
- Enfin, Jérôme Foucaud, directeur de la Direction de l'ordre public et de la circulation à la préfecture de Police au moment des faits, résume sa position dans un courrier à la directrice de l’IGPN. Pour lui, « il semblerait » que Daniel Bouy « ait voulu entraver l’action des effectifs de la Brav-M » et qu’il ait « une part de responsabilité dans cet incident », puisqu’il se serait maintenu « entre les forces de l’ordre et les perturbateurs ». Ce très haut gradé conclut : « Il est par ailleurs couramment constaté lors des manifestations que des observateurs, membres de la LDH ou autres, se positionnent de manière inopportune et s’exposent, de fait, à ce genre de risque lorsqu’une intervention est engagée pour procéder soit à une dispersion, soit à l’interpellation d’individus violents. »
Ainsi, l’institution policière a fait bloc derrière l'agent en déroulant un récit loin de la réalité des faits, certains propos tentant même de rendre Daniel responsable de la violence subie.
Et si, finalement, la victime était la responsable de la situation...(sic)
La défense de Loïk M. a fait appel à une pratique bien connue des forces de l’ordre pour blanchir leur action, à savoir retourner la culpabilité pour faire croire que la personne victime de violences policières … l’a bien cherché.
L’affirmation selon laquelle les équipes d'observation se positionnent souvent de manière inopportune, s’exposant donc elles-mêmes à des charges et des violences policières, n’a évidemment été appuyée d’aucun fait matériel concret.
Bien au contraire, l’enregistrement des propos d’un commissaire responsable du maintien de l’ordre, auprès de qui l’équipe d’observation se présentait, selon lesquels il savait que les membres de l’observatoire ne gênait jamais les déplacements des forces de l’ordre, a été fourni à titre de preuve pour contrer cet argumentaire fallacieux.
D’ailleurs, depuis la création de l’Observatoire parisien des libertés publiques en 2019, aucun acte de cette nature n’a pu être reproché à ses membres. Les observateur∙ices s’astreignent à une déontologie rigoureuse, consistant à être parfaitement identifiables et à ne pas entraver l’action des forces de l’ordre.
En revanche les observateur∙rices, même à bonne distance des manifestant∙es, sont régulièrement ciblé∙es ou entravé∙es par les forces de l'ordre qui les empêchent ainsi de documenter les opérations de maintien de l’ordre.
Pour mettre fin à l’impunité, filmer la police est un droit !
La procédure judiciaire n’aurait probablement pas connu la même issue sans une vidéo faisant état des faits. Compte tenu des difficultés liées à la preuve, seule la version policière, rodée et diffusée dans l’ensemble de l’institution, aurait sans doute fait foi.
Ceci rappelle l’importance de documenter au maximum les pratiques policières, comme le font les observateur∙rices de terrain, les journalistes, les collectifs militants ou souvent, de manière autonome, les personnes qui assistent à ces scènes.
A cet égard, un élément de contexte mérite d'être mentionné : quelques mois avant l'agression de Daniel, la proposition de loi dite « loi Sécurité Globale », largement dénoncée comme liberticide, prévoyait d'introduire un nouveau délit qui aurait eu pour effet de dissuader le fait de filmer les forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions, une revendication portée de longue date par la plupart des syndicats policiers. Si cette mesure a été retoquée par le Conseil constitutionnel, il n’en reste pas moins que l’effectivité de ce droit reste constamment menacée. D’ailleurs, la loi “séparatisme” du 24 août 2021 instaure un nouveau délit visant à réprimer la diffusion, dans un but malveillant, d’informations relatives à des policiers. S’il faut caractériser un but malveillant, il reste que ce genre de qualifications pénales est de nature à dissuader l’exercice d’un contrôle citoyen sur les actions des forces de l’ordre et la diffusion d’informations sur les violences policières.
En cette rentrée, le ministre de l'Intérieur a voulu introduire en catimini (sans publication) un Schéma national des violences urbaines excluant l'application des dispositions prévues pour la présence des journalistes (et par extension des membres des observatoires) lors des manifestations, dès lors qu'il y aurait des violences urbaines (VU). Instruction immédiatement attaquée notamment par des syndicats de journalistes et la LDH et retirée avant le prononcé de l'ordonnance du juge pour être remplacée par le GoVu (guide opérationnel) sans les mentions décriées. Mais la possibilité de faire appel au Raid (qui peut faire usage d'armes particulières) ou la notion même de "violences urbaines" continue à être attaquées devant le Conseil d'Etat.
Que ce soit sur les manifestations, ou lors d’autres opérations de police, les entraves à l’observation citoyenne, et donc au droit d’informer, se multiplient, sans aucune réaction des pouvoirs publics. De plus, le fait de filmer la police expose à des risques, comme en témoigne l'affaire relatée ci-dessus, qui a heureusement trouvé un dénouement positif grâce au travail de la juridiction d’instruction.
Ainsi, cette décision vient rappeler aux autorités publiques que les forces de l’ordre doivent se soumettre au contrôle citoyen.
Deux poids, deux mesures …
La caractérisation de la violence par l’institution policière traduit également un pouvoir de qualification des faits qui semble aller à deux vitesses.
En premier lieu, la stratégie de défense de l’agent a consisté à dire que Daniel aurait fait entrave à l’action des forces de l’ordre, qui cherchaient à interpeller une personne pour un jet de projectile ayant atterri à leurs pieds.
En second lieu, l’avocat de la défense a plaidé que ce qui était arrivé à Daniel était une histoire digne d’une “cour d’école”, marquant une volonté de minimiser leur gravité et de les tourner en ridicule.
D’un côté, il est considéré qu’un jet d’objet léger (une bouteille qui ne touche pas les agent∙es) est un acte permettant de procéder à une interpellation en prenant le risque de générer des tensions, et de l’autre, il est dit que le fait pour un fonctionnaire de projeter au sol une personne ne serait même pas digne d'intérêt.
Rappelons que la tentative de violences n’est pas punissable et que de ce fait, aucune interpellation ne pouvait légalement être effectuée sur ce motif.
Ce deux poids deux mesures prêterait quasiment à rire, s’il n’était pas devenu une habitude de la part des forces de l’ordre.
Cette défense de Loïck M, dédite par le jugement, tendait surtout à nier son intention de cibler Daniel personnellement, et a fortiori comme observateur. Elle a reposé en grande partie sur un argument devenu très classique des cas de violences policières, à savoir l’invocation d’un “effet tunnel”. Ce phénomène peut être décrit comme une “ultra-focalisation sous l'emprise du stress”[1], ici d’ordre psychologique (polarisation de l’attention sur l’objectif à atteindre) et pratique (un champ de vision limité par le casque, qui compose l’équipement spécifique des BRAV-M.). Ce registre de justification, contestable, est très souvent utilisé par les forces de l’ordre pour légitimer a posteriori l'acte de violences, ou s'en dédouaner.
Il faut également souligner que la hiérarchie policière a fait bloc derrière cette version - considérant qu’elle légitimerait l’acte de Loïk M - alors que le caractère nécessaire et proportionné d’une telle interpellation aurait également pu être questionnée : pour un jet de projectile, le recours à la force et le fait d’aller au contact des manifestant•e•s était-il proportionné, au risque de générer de vives tensions ?
Loik M, un exemple pour la préfecture de Police
Actif dans la Police nationale depuis 2017, Loik M. revendique un parcours modèle : aucune suspension, aucune enquête administrative.
L’institution policière marque donc son plein soutien au comportement de cet agent, et quel modèle !
Comme le révèle Médiapart[2], lorsque Loïk M. rejoint la CSI 75 en 2023, il est déjà visé - en plus de la plainte de Daniel - par au moins trois enquêtes judiciaires pour des faits de violences, commis le 20 mars 2023, à quelques heures d’intervalle, lors de manifestations contre la réforme des retraites.
L’attitude de la hiérarchie et le soutien au policier mis en cause viennent battre en brèche l’idée selon laquelle les violences policières seraient des faits isolés résultant de manquements individuels. Au contraire, ces comportements sont tolérés, voire encouragés et valorisés par l’institution.
N.B. : Le policier a fait appel de sa condamnation et est donc présumé innocent.
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Les observations de terrain que nous menons depuis 2019 montrent que ces violences sont routinières et qu'elles semblent constituer une composante essentielle des stratégies de maintien de l’ordre appliquées à Paris par la préfecture de Police.
Il est indispensable de continuer à documenter de telles pratiques pour rétablir la vérité des faits lorsque le discours institutionnel les travestit, et pour défendre les droits fondamentaux et libertés publiques face aux atteintes qui leur sont portées.
[1] https://www.larep.fr/orleans-45000/actualites/l-effet-tunnel-un-phenomene-du-au-stress-contre-lequel-les-forces-de-l-ordre-doivent-lutter_14261364/
[2] Camille Polloni, « Un policier de la Brav-M jugé pour des violences sur un sexagénaire pacifique », Mediapart, 19 mai 2025.