Observatoires des libertés et des pratiques policières

Observatoires des libertés publiques - des pratiques policières. Observation de manifestations essentiellement.

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Billet de blog 19 octobre 2022

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Attroupement. Ordre de dispersion d'une manifestation

Lorsqu'on entend des sommations appelant les manifestants et manifestantes à se disperser, deux risques : l'usage de la force par les policiers ou les gendarmes et l'interpellation pour le délit de participation à un attroupement. Mais quand peut-on considérer qu'une manifestation est devenue un attroupement ? Et comment se défendre de poursuites pour ce délit ?

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POINT DROIT

ATTROUPEMENT – ORDRE DE DISPERSION

 Nombre de manifestations se terminent par des sommations, dont le texte a été modifié récemment [1] :

1° Annonce : « Attention ! Attention ! Vous participez à un attroupement. Obéissance à la loi. Vous devez vous disperser et quitter les lieux »

2° « Première sommation : nous allons faire usage de la force. Quittez immédiatement les lieux »

3° « Dernière sommation : nous allons faire usage de la force. Quittez immédiatement les lieux ».

Quel est le sens de ces sommations ?

  • On fait le Point :

Tout d’abord, si vous entendez ces sommations, émises par haut-parleur par le/la responsable représentant l’autorité civile [2], portant une écharpe ou un brassard tricolore [3], cela signifie que celui-ci/celle-ci a estimé que la manifestation était devenue un attroupement, car l’ordre de se disperser ne peut être donné que contre un attroupement [4].

Qu’est-ce qu’un attroupement ?

Il est défini par l’article 434-3 du code pénal :

« Constitue un attroupement tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public. »

Une manifestation est définie par la Cour de cassation comme :

« tout rassemblement, statique ou mobile, sur la voie publique d'un groupe organisé de personnes aux fins d'exprimer collectivement et publiquement une opinion ou une volonté commune » [5]

La différence entre une manifestation, pour laquelle prime le principe de liberté, et un attroupement, qui peut être dispersé, est donc très vague car elle ne repose que sur l’existence d’un risque de trouble à l’ordre public.

Pourtant, la Cour de cassation a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire contestant la légalité de cette définition [6].

Quelles sont les conséquences des sommations ?

  • On refait le Point :

Les sommations ont pour but d’engager les manifestant.es à se disperser, c’est-à-dire à quitter les lieux de la manifestation.

A défaut, et après un laps de temps nécessaire pour permettre aux personnes de se désolidariser du rassemblement, il sera possible aux forces de l’ordre de considérer que celles et ceux qui persistent à rester sur place commettent le délit de participation volontaire à un attroupement [7].

Cela ouvre la possibilité pour les policier.es ou les gendarmes de :

  • Faire usage de la force pour disperser l’attroupement [8]; pour l’usage des grenades et de leur lanceur [9], la dernière sommation doit d’abord être répétée : « Dernière sommation : nous allons faire usage de la force. Quittez immédiatement les lieux » [10].
  • Interpeller celles et ceux qui commettent ce délit flagrant et les placer en garde à vue [11].

Quel est le but (officiel) du placement en garde à vue pour attroupement ?

Officiellement, la garde à vue est tournée vers ses suites judiciaires : il s’agit d’interroger la personne en vue de déterminer s’il existe des éléments suffisants pour envisager des poursuites devant le tribunal correctionnel (s’agissant d’un délit), ou si, en opportunité, le ou la procureur.e de la République décide d’une alternative aux poursuites ou d’un classement sans suite [12]. Nombre de gardes à vue semblent pourtant dictées par la volonté d’extraire certain.es de la manifestation [13]

Peut-on passer devant le tribunal correctionnel en comparution immédiate [14] pour un délit de participation volontaire à un attroupement ?

La question se pose parce que la Cour de cassation l’a qualifié de délit politique [15] et qu’en ce cas, il n’est normalement pas possible de faire l’objet d’une comparution immédiate ni d’une convocation par procès-verbal [16].

Cependant, la loi du 10 avril 2019 a ouvert cette possibilité [17].

Il est donc possible d’être déféré.e devant le ou la procureur.e de la République pour être jugé.e rapidement [18].

Mais il est également possible que le ou la procureur.e choisisse de ne pas vous poursuivre et de seulement prendre une alternative aux poursuites, comme un rappel à la loi, qu’il ou elle peut assortir d’une obligation de ne pas paraître dans tel lieu pendant un maximum de six mois [19].

Dans tous les cas, voyez avec votre avocat.e en garde à vue ou au moment des poursuites [20] si vous pouvez développer des moyens de défense.

En revanche, la composition pénale ne peut pas être prononcée s’agissant d’un délit politique car l’article 431-8-1 CP ne vise pas l’article 41-2 CPP dans les exceptions procédurales. Or, ce texte exclut expressément son application aux délits politiques.

Comment se défendre en cas de poursuites pour attroupement ?

  • On refait le Point :

Le délit de participation à un attroupement est un délit intentionnel. Il faut donc que le ministère public démontre que les sommations ont été suffisamment audibles pour que vous puissiez les entendre là où vous vous trouviez. Ou qu’il a été tiré une fusée rouge en remplacement de l’annonce et/ou de chaque sommation [21].

Mais il faut aussi que les forces de l’ordre vous aient laissé le temps et la possibilité de quitter la manifestation. Tel n’est pas le cas lorsqu’il est procédé à une nasse.

Il a ainsi été jugé que la relaxe par la cour d’appel d’une personne poursuivie pour participation volontaire à un attroupement était justifiée car :

« il ne peut être reproché à Mme X... de ne pas avoir obtempéré aux sommations puisque la localisation des lieux et la disposition des forces de l'ordre positionnées de chaque côté de la rue de Strasbourg et qui réalisaient un quadrillage destiné à contrôler l'identité de toutes les personnes présentes, ne permettaient pas à l'intéressée de partir, peu important qu'elle ait été interpellée presque une heure trente après les sommations puisque le groupe était statique et immobilisé depuis 17 heures 30 ; que les juges concluent qu'il n'est pas suffisamment établi que le prévenu a bénéficié de la possibilité de quitter l'attroupement après les sommations ; que dès lors, l’infraction reprochée n’est pas caractérisée » [22].

Ensuite, il faut qu’il y ait réellement un attroupement.

La Cour de cassation a jugé que les juges judiciaires devaient examiner si les conditions légales de l’attroupement étaient réunies[23].

Il n’est pas possible de considérer par exemple, qu’une manifestation sans déclaration préalable est ipso facto un attroupement[24]. Et rappelons que la participation à une manifestation non déclarée n’est pas une infraction [25].

Tel n’est pas non plus le cas lorsque la manifestation dépasse l’heure prévue de dispersion telle qu’indiquée sur la déclaration, y compris en période d’état d’urgence sanitaire [26].

Tous ces exemples correspondent pourtant à des observations de terrain, où des ordres de dispersion ont été donnés alors qu’il n’existait pas de « risque de trouble à l’ordre public » autre que celui résultant de l’exercice normal de la liberté de manifestation. Pire, des sommations ont pu être effectuées, justifiant formellement l’emploi de gaz lacrymogènes et de grenades offensives ou de désencerclement, alors que les manifestant.es étaient nassé.es [27] et dans l’impossibilité de se disperser.

Rappelons que la Cour européenne des droits de l'Homme a jugé que :

Un rassemblement terni par des actes de violence isolés n’est pas automatiquement considéré comme un événement non pacifique qui perd la protection offerte par l’article 11. « Une personne ne cesse pas de jouir du droit à la liberté de réunion pacifique en raison d’actes de violence sporadiques ou d’autres actes répréhensibles commis par d’autres personnes au cours de la manifestation, dès lors que les intentions ou le comportement de l’individu en question demeurent pacifiques » [28].

Et les États doivent tolérer des perturbations mineures de la vie quotidienne, notamment de la circulation routière [29].

Tant que les désordres sont peu importants, la protection de l’article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales sur la liberté de réunion pacifique empêche de considérer qu’il puisse y avoir un attroupement au sens du droit pénal.

Il est donc important de pouvoir obtenir des informations sur la manifestation au moment de l’interpellation.

Et il pourrait être demandé à la Cour de cassation de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité sur la définition de l’attroupement, particulièrement ambiguë, -cette juridiction étant sensible à la réitération des recours et du questionnement citoyen [30].

Rappelons par ailleurs que « l’État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens » [31]. Il peut cependant exercer une action récursoire [32] contre les auteur.es du dommage.

Pour contacter l'Observatoire parisien des libertés publiques :

Contact : contact@obs-paris.org    Twitter : @ObsParisien        Facebook : facebook.com/obsparisien

Pour la carte et les coordonnées des observatoires, voir :

http://site.ldh-france.org/paris/observatoires-pratiques-policieres-de-ldh 

Guide du manifestant : https://site.ldh-france.org/paris/observatoires-pratiques-policieres-de-ldh/guides-pratiques/

[1] Décret n°2021-556 du 5 mai 2021. Article R.211-11 du code de la sécurité intérieure (CSI). A défaut de pouvoir utiliser un haut-parleur, l’annonce ou les sommations peuvent être remplacées ou complétées par le lancement d’une fusée rouge

[2] Enumération des personnes compétentes à l’article L.211-9 du code de la sécurité intérieure (CSI) :

« 1° Le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police ;

2° Sauf à Paris, le maire ou l'un de ses adjoints ;

3° Tout officier de police judiciaire responsable de la sécurité publique, ou tout autre officier de police judiciaire. »

[3]  article R.211-12 CSI

[4] Même article L.211-9 CSI

[5] Crim. 9 février 2016, n° 14-82.234, Bull. crim. n° 35

[6] Crim. 25 février 2014,  n°13-90.039 QPC, Bull. crim. n°55

[7] Article 431-4 du code pénal (CP) : peine encourue d’un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende

Attention, il existe des circonstances aggravantes : participation à un attroupement avec dissimulation volontaire du visage, 3  ans d’emprisonnement et 45.000€ d’amende (article 431-4 alinéa 2) ; en étant porteur ou porteuse d’une arme (par nature), 5 ans d’emprisonnement et 75.000€ d’amende, article 431-5 CPP. Il s’agit bien évidemment d’une arme par nature, voir l’article 132-75 CP alinéa 1.

[8] Article 431-3 CP : « Un attroupement peut être dissipé par la force publique après deux sommations de se disperser restées sans effet adressées dans les conditions et selon les modalités prévues par l'article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure ».

Rappelons que seule l’autorité civile peut qualifier le rassemblement d’attroupement (article L.211-9 CSI précité).

[9] Entrant dans le champ d’application de l’article R.311-2 et autorisés par décret, voir l’article D.211-17 CSI

[10] Article R. 211-16 CSI. Répétée par haut-parleur ou le lancement d’une fusée rouge.

[11] Article 73 du code de procédure pénale (CPP) : possibilité d’appréhender toute personne commettant un délit fragrant passible d’emprisonnement pour la conduire devant l’officier de police judiciaire le/la plus proche. Et sur la garde à vue : article 62-2 CPP, lorsqu’il existe une raison plausible de soupçonner la commission d’un délit passible d’emprisonnement.

[12] Article 40-1 CPP

[13] https://www.amnesty.org/fr/wp-content/uploads/sites/8/2021/05/EUR2117912020FRENCH.pdf

[14] C’est un des modes de poursuites possibles devant le tribunal correctionnel, celui qui est le plus rapide (défèrement juste après une garde à vue, par exemple) et qui a souvent pour effet un choix de peine plus lourde. Il est possible de demander un délai pour se défendre, avec le risque d’un placement en détention provisoire demandé par le parquet. Voir le guide du manifestant.  https://site.ldh-france.org/paris/nos-outils/guide-du-manifestant/

[15] Crim. 28 mars 2017, n°15-84.940, Bull. crim. n°82

[16] Article 397-6 CPP

[17] Article 431-8-1 CP. Loi n°2019-290 du 10 avril 2019 – art.7. La LDH et le SAF avaient appelé à manifester contre le projet de loi.

[18] Voir le guide du manifestant.

[19] Voir également le guide du manifestant. Article 41-1 1° et 7°CPP. La loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 a modifié le rappel à la loi à compter du 1er janvier 2023, cela deviendra un avertissement probatoire.

[20] Vous n’aurez pas d’assistance d’un.e avocat.e au moment du rappel à la loi, simple alternative aux poursuites. Voyez avec votre avocat.e au moment de la garde à vue en ce cas.

[21] Article R.211-11 CSI. Trois tirs de fusée rouge remplacent l’annonce et les deux sommations.

[22] Crim. 23 janvier 2019, n°18-81.219 ; voir également Crim. 31 octobre 2018, n°18-81.220

[23] Crim. 25 février 2014, n°13-90.039, Bull. crim. n°55 : « les termes du premier alinéa de l'article 431-3 du code pénal, qui définit l'attroupement comme un rassemblement de personnes susceptible de troubler l'ordre public, sont suffisamment clairs et précis pour que l'interprétation de ce texte, qui entre dans l'office du juge pénal, puisse se faire sans risque d'arbitraire ».

[24] Voir le rapport de l’Observatoire parisien sur la manifestation Pont de Sully du 28 juin 2019

CEDH 7 octobre 2008, n°10346/05, §36, Éva Molnár c. Hongrie : La Cour européenne des droits de l’Homme juge que disperser une manifestation spontanée « au seul motif que l'obligation de déclaration préalable n'a pas été respectée et sans que les participants se soient comportés d'une manière contraire à la loi constitue une restriction disproportionnée à la liberté de réunion pacifique (Bukta et autres, précité, §§ 35 et 36). Il est important que les pouvoirs publics fassent preuve d'une certaine tolérance pour les rassemblements pacifiques, afin que la liberté de réunion telle qu'elle est garantie par l'article 11 de la Convention ne soit pas vidée de son contenu (Nurettin Aldemir et autres c. Turquie, précité, § 46) ».

Certes, elle engage les participant.es à respecter les règles démocratiques dans la mesure du possible. Mais elle admet que les autorités publiques puissent avoir connaissance d’une manifestation par d’autres canaux que la déclaration formelle, comme exigé par le droit, ce qui permet d’assurer le bon déroulement de l’événement (voir CEDH 5 mars 2009, n°31684/05, Barraco c. France, §45).

[25] Crim. 8 juin 2022, n°21-82.451 ; Crim. 14 juin 2022, n°21-81.054 : aucune « disposition légale ou réglementaire n’incrimine le seul fait de participer à une manifestation non déclarée ». Voir notre Point Droit d’aide à la contestation d’une amende forfaitaire pour participation à une manifestation interdite et sa distinction avec une manifestation non déclarée. https://site.ldh-france.org/paris/files/2022/07/Contestation-de-verbalisation-pour-rassemblement-interdit-juillet-2022.pdf

[26] Voir la note d’observation de l’Observatoire parisien du 17 novembre 2020.

[27] Voir le rapport sur la manifestation de la place d’Italie du 16 novembre 2019, démontrant l’existence d’une nasse. Deux des organisateurs et organisatrice de cette manifestation pour l’anniversaire des gilets jaunes, Patricia Ludosky et Faouzi Lellouche, ont ainsi pu porter plainte contre le préfet de police et se constituer parties civiles, pour privation de liberté par personne dépositaire de l’autorité publique et entrave à la liberté de manifester. L’affaire est en cours d’instruction. Voir également le rapport Nasse et autres encerclements. Contrôler, réprimer, intimider. Printemps 2019 – automne 2020. https://site.ldh-france.org/paris/observatoires-pratiques-policieres-de-ldh/7263-2/

[28] CEDH 5 janvier 2016, n°74568/12, §99, Frumkin c. Russie ; voir également CEDH 26 avril 1991, n°11800/85, §53, Ezelin c. France ;

[29] CEDH 5 mars 2009, n°31684/05, §43, Barraco c. France : « La Cour reconnaît que toute manifestation dans un lieu public est susceptible de causer un certain désordre pour le déroulement de la vie quotidienne, y compris une perturbation de la circulation, et qu’en l’absence d’actes de violence de la part des manifestants, il est important que les pouvoirs publics fassent preuve d’une certaine tolérance pour les rassemblements pacifiques, afin que la liberté de réunion ne soit pas dépourvue de tout contenu (Achouguian c. Arménie, n°33268/03, § 90, 17 juillet 2008, et Oya Ataman c. Turquie, n°74552/01, § 42, CEDH 2006) ». Dans cette affaire, l’opération escargot sur une autoroute avait trop duré pour être admise, le requérant ayant déjà pu exprimer ses opinions.

[30] Voir par exemple la décision de renvoi d’une QPC sur la motivation des déclarations de culpabilité des arrêts de cour d’assises, après de nombreux refus de renvoi, s’expliquant par le nombre de demandes formulées et les critiques doctrinales. La Cour de cassation a ainsi jugé que : « la question fréquemment invoquée devant la Cour de cassation et portant sur la constitutionnalité des dispositions susvisées dont il se déduit l'absence de motivation des arrêts de cour d'assises statuant, avec ou sans jury, sur l'action publique présente un caractère nouveau » (Crim. 19 janvier 2011, n°10-85.159 QPC). Le caractère « nouveau » ne s’applique pourtant qu’à la norme de référence constitutionnelle et non à la loi contrôlée.

[31] Article L.211-10 CSI

[32] C’est-à-dire que l’État peut demander à l’auteur ou l’autrice de l’infraction, le remboursement des sommes versées aux personnes ayant subi des violences ou des dégradations de biens, en réparation de leur dommage.

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