POINT DROIT
@ObsParisien
Conseils pour contester un avis d’amende forfaitaire
pour « rassemblement non déclaré »
Rémy Busine, journaliste, a documenté la verbalisation de personnes rassemblées pour protester contre la manifestation organisée par le syndicat Alliance le 2 mai 2022. Selon lui, les policiers auraient annoncé des verbalisations par amende forfaitaire pour « rassemblement non déclaré ». Nous analysons ces verbalisations comme étant illégales.
Comment contester l’amende forfaitaire ?
Il a été constaté depuis 2020 que les policiers verbalisent parfois pour « manifestation interdite », parfois pour « rassemblement interdit car non déclaré » dans le cadre de la législation spécifique de gestion de la crise sanitaire et parfois pour les deux. Des personnes ont déjà reçu deux verbalisations, sur chacun de ces motifs, alors même qu’il leur avait été indiqué qu’elles recevraient une amende pour « manifestation interdite ».
Le comble ayant été atteint par un policier qui a verbalisé le 1er mai 2020 place Gambetta une personne sur ce motif, alors qu’il n’y avait pas eu d’interdiction de manifestation et pour « rassemblement interdit dans une circonscription où l’état d’urgence sanitaire est déclaré » (ce qui n’est plus le cas actuellement), alors que cette personne était seule et ne faisait qu’afficher ses opinions sur son tee-shirt ! Pour le policier, le rassemblement/manifestation commençait donc à une personne[1] !
Nous proposons ci-dessous deux modèles de contestation de la contravention, qui pourra être effectuée sur le site de l’ANTAI (Agence nationale de traitement automatisé des infractions) avec mention de la date de l’avis de contravention qui sera envoyé chez vous en cas d’amende forfaitaire[2] (135€).
- Participation à une manifestation interdite :
On fait le « Point »
Sur l’avis de contravention, il sera indiqué la référence à l’article R.644-4 du code pénal (CP), ce qui vous permettra de savoir que l’infraction reprochée est celle de « participation à une manifestation interdite ».
Cette contravention de la 4ème classe est en effet prévue par l’article R.644-4 du code pénal qui renvoie à l’article L.211-4 du code de la sécurité intérieure selon lequel :
« Si l'autorité investie des pouvoirs de police estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l'ordre public, elle l'interdit par un arrêté qu'elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu ».
A Paris, le préfet de police est compétent. Si un tel arrêté existe, l’infraction est la participation à une manifestation interdite. Sans cet arrêté, seuls les organisateurs d’une manifestation sans effectuer de déclaration préalable commettent une infraction[3].
La participation à une manifestation non déclarée n’est pas une infraction.
La Cour de cassation a rappelé, au visa de l’article 111-3 du code pénal sur le principe de légalité, l’exigence d’un arrêté d’interdiction de la manifestation : « nul ne peut être puni pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par un règlement » et aucune « disposition légale ou réglementaire n’incrimine le seul fait de participer à une manifestation non déclarée » (Crim. 8 juin 2022, n°21-82.451 ; Crim. 14 juin 2022, n°21-81.054).
Le droit français applique ainsi le principe de la liberté de réunion pacifique, protégée par l’article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales[4].
La Cour européenne des droits de l'Homme a d’ailleurs précisé que « la liberté de participer à une réunion pacifique revêt une telle importance qu’une personne ne peut subir une quelconque sanction pour avoir participé à une manifestation non prohibée dans la mesure où l’intéressé ne commet par lui-même, à cette occasion, aucun acte répréhensible (Ezelin, §53) »[5].
La Cour protège également la liberté d’expression (article 10 de la CSDH). A ce titre, l’amende imposée à un requérant roumain pour avoir troublé l’ordre public en participant à une manifestation sans avoir respecté un préavis de trois jours, a été jugée contraire à l’article 10 dans la mesure où la protestation portait sur une question d’intérêt général (contre une extraction minière). Car l’amende produit un effet dissuasif sur le discours public. La Cour a jugé que le respect des règles entourant les réunions publiques en Roumanie était devenu une fin en soi alors que de telles restrictions sont jugées non nécessaires dans une société démocratique[6].
S’agissant de la manifestation du 2 mai 2022, la participation à une contre-manifestation « spontanée » (et donc non-déclarée), avait été anticipée par le préfet de police du fait de la circulation de l’information sur les réseaux sociaux. Il a donc pris un arrêté d’interdiction de manifestation du préfet de police le jour même (2 mai 2022). Cet arrêté n’a été publié que le 3 mai 2022 dans le recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de Paris[7]. Il a cependant été prévu dans son article 4, qu’il « sera affiché aux portes de la préfecture de police ».
Cet arrêté est-il applicable et opposable aux manifestants ?
Autrement dit, un arrêté d’interdiction a bien été pris (principe de légalité) mais un doute demeure sur son applicabilité pour verbaliser des manifestants au regard des règles d’entrée en vigueur des textes et sur son opposabilité aux manifestants compte-tenu du seul affichage sur les portes de la préfecture de police.
En principe, un texte n’est applicable que le jour suivant sa publication sauf disposition expresse pour une entrée en vigueur le jour même [8]. Et il est jugé que ne saurait constituer une infraction pénalement répréhensible l'inobservation d'une disposition réglementaire non encore publiée[9].
Il faut aussi que la connaissance de cet arrêté par les personnes concernées ait été rendue possible : il a ainsi été jugé que « les actes réglementaires pris par l'autorité préfectorale ne deviennent obligatoires qu'après avoir été portés à la connaissance des personnes qu'ils concernent » et qu’en l’occurrence « la seule insertion de l'arrêté préfectoral litigieux au recueil des actes administratifs du département du Nord n'établit pas que cet acte a été porté à la connaissance des exploitants » concernés [10].
Si, en principe, les organisateurs d’une manifestation doivent se voir notifier un arrêté d’interdiction[11], tel n’est pas le cas lorsque la manifestation n’a pas fait l’objet d’une déclaration préalable. Il suffit qu’il soit affiché pour être rendu applicable[12].
Mais, en l’occurrence, l’arrêté du 2 mai 2022 du préfet de police interdisant de manifester dans certains lieux ne prévoit que : il « sera affiché aux portes de la préfecture de police » : il appartiendra au ministère public de démontrer que cela a été effectué. Quoi qu’il en soit, il peut être soulevé l’insuffisance de cet affichage pour permettre une condamnation pour participation à une manifestation interdite, dans la mesure où il ne peut pas être démontré que les personnes manifestant dans le périmètre interdit aient pu en avoir connaissance. Il aurait fallu afficher l’arrêté sur les lieux interdits[13].
L’arrêté d’interdiction du 2 mai 2022, non expressément rendu applicable le jour même et affiché sur les seules portes de la préfecture, n’est pas opposable aux manifestants.
De surcroît, la manifestation interdite était dirigée contre la manifestation d’un syndicat de policiers protestant contre la mise en examen d’un policier pour homicide volontaire s’agissant d’usage d’arme à feu sur un véhicule en fuite : elle porte sur une question d’intérêt général. La verbalisation sert à bâillonner la contestation.
En conséquence, il faut indiquer dans la contestation :
1/ qu’il ne peut pas y avoir d’infraction faute d’élément « légal » (article 111-3 CP), car il n’y a pas l’arrêté du préfet de police prévu par les articles R.644-4 CP et L.211-4 CSI (Crim. 8 juin 2022, n°21-82.451) qui soit entré en vigueur le 2 mai 2022, jour de la manifestation, faute de disposition expresse en ce sens dans l’arrêté n°2022-00404.
2/ Que cet arrêté n’a été publié que le 3 mai et n’a été affiché (s’il l’a été) qu’à la porte de la préfecture de police et non sur les lieux interdits de manifestation. Les manifestants ne pouvaient pas en avoir eu connaissance : cet arrêté ne leur est pas opposable.
3/ Et parce qu’en tout état de cause, la verbalisation serait contraire aux articles 10 et 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, tels qu’interprétés par la CourEDH.
- Participation à un rassemblement interdit :
On refait le « Point »
Nous ne sommes certes plus en état d’urgence sanitaire mais la loi n°2021-689 du 31 mai 2021 organise la gestion de cette sortie de crise jusqu’au 31 juillet 2022, ce qui permet de continuer à doter le Premier ministre de pouvoirs exorbitants et attentatoires aux libertés, comme celui de réglementer les rassemblements ou réunions de personnes sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au public, y compris pour des manifestations.
C’est ce qu’il a fait par décret n°2021-699 du 1er juin 2021 qui donne compétence au préfet du département (à Paris, le préfet d’Ile-de-France) pour interdire ou restreindre ces rassemblements « si les circonstances locales l’exigent » (article 3). Bien entendu, il faut qu’un arrêté ait été pris sur ce fondement pour prévoir une verbalisation.
Si votre avis de contravention (en cas d’amende forfaitaire) mentionne ce décret, ainsi que la peine prévue par l’article L.3136-1 du code de la santé publique, c’est cette infraction qui vous est reprochée.
En ce cas, l’arrêté d’interdiction ou de restriction du rassemblement devra également être précisé : sinon vous pourrez arguer de la violation du droit à un procès équitable (article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales), faute de savoir ce qui vous est reproché.
Mais, à supposer qu’un tel arrêté existe et qu’il interdise tout rassemblement sur la voie publique non déclaré au préalable, il serait de toute façon contraire à l’article 3 du décret précité puisque celui-ci précise : « à l'exception des manifestations mentionnées à l'article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure ».
Autrement dit, les manifestations ne peuvent pas actuellement faire l’objet de verbalisation pour rassemblement interdit en période de pandémie.
Il est vrai que le gouvernement avait tenté d’interdire les manifestations sous prétexte de risque de contamination par le Covid-19 mais le juge des référés du Conseil d'Etat avait retoqué le texte[14], Ce nouveau décret respecte la liberté de manifestation.
Vous devez donc indiquer dans votre contestation :
"l’article 3 du décret du 1er juin 2021 ne donne pas compétence au préfet d’Ile-de-France pour interdire une manifestation".
Dans tous les cas, il n’y a pas d’infraction de commise.
Pour nous contacter :
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http://site.ldh-france.org/paris/observatoires-pratiques-policieres-de-ldh
Pour connaître vos droits :
Pour recevoir de l’aide en cas de réception d’avis de contravention :
[1] Voir l’analyse sur les atteintes à la liberté de manifester pendant la pandémie (16/08/2021) : Contribution de la LDH au rapport de la 50e session du Conseil des droits de l’Homme (ONU) - Ligue des droits de l’Homme (ldh-france.org)
[2] Pour la procédure à suivre, voir le guide de contestation des contraventions sur le site de l’Observatoire : Guide-pratique-28-nov-20-sur-les-contestations-de-contraventions-relatives-aux-règles-de-confinement-1.pdf (ldh-france.org) Site de l’Antai : https://www.antai.gouv.fr/
[3] Il s’agit alors d’un délit : article 431-9 du code pénal
[4] Pour une analyse des obligations positives de l’Etat pour protéger la liberté de réunion pacifique, voir notre rapport Rapport-Pont-de-Sully-DDD-2019.pdf (ldh-france.org)
[5] CEDH Barraco c. France 5 mars 2009, n°31684/05 §44
[6] CEDH Bumbes c. Roumanie 3 mai 2022, n°18079/15, en anglais uniquement. CP de la Cour en français.
[7] Recueil n°75-2022-323. Arrêté 2022-00404 du 2 mai 2022 portant mesures de police applicables à Paris à l’occasion d’appels à manifester le lundi 02/05/2022. 75-2022-05-02-00009.
[8] Article 1er du code civil
[9] Crim. 21 juin 1984, n°83-93.027, Bull. crim. n°235
[10] Crim. 5 mars 1991, n°90-80.344, Bull. crim. n°111
[12] Mutatis mutandis, voir Crim. 3 septembre 2019, n°18-83.854, s’agissant de poursuites à l’encontre d’une association pour organisation de la manifestation interdite.
[13] Cela avait été le cas dans l’affaire ayant abouti à l’arrêt de 2019 cité en note 12
[14] CE ord. 13 juin 2020, n°440846, n°440856, n° 441015. Puis contre le changement du régime déclaratif à un régime d’autorisation, nouvelle censure : CE ord. Référé 6 juillet 2020, n° 441257