En regardant les débats entre Généreux et Piketty organisé par Politis ou entre Coquerel et Piketty, organisé par Médiapart, on peut y voir des convergences et des oppositions.
Les convergences : les règles économiques et juridiques de l'UE doivent être remises en cause pour pouvoir instaurer des politiques économiques de gauche car l'UE les vérouille.
Par exemple, revient les débats autour d'une nouveau statut de la BCE ou l'idée de pouvoir produire des politiques budgétaires expansives.
Piketty semble convaincu que la fiscalité est un moyen important de changer les choses. Généreux considère que c'est une politique économique possible, mais non suffisante. Lordon a déjà critiqué cela, dans la mesure où celui-ci pense que la politique fiscale seule ne changera pas le rapport de force entre le K et le L. Sachant par ailleurs que les détenteurs du capital concentrent aujourd'hui des pouvoirs inouïs (en cumulant différentes formes de capitaux justement).
Sur le revenu universel ?
Piketty soutient Hamon, qui soutient lui-même l'idée d'un revenu universel (dont les profondes critiques sont bien exprimées dans le livre des « Economistes attérés » et de la « Fondation Copernic »). Revenu universel pourtant au cœur du programme de Hamon, à propos duquel les protagonistes des débats ne parlent pas, mais dont nous savons que Mélenchon au moins (ouf!) ne le plébiscite pas.
Les divergences reposent sur la manière politique de parvenir à déconstruire ces forces uniques du capitalisme aujourd'hui, les « puissances de l'argent » comme préfèrent le dire certains.
Il est vraiment curieux, pour un esprit comme Piketty, qui se présente comme historien (économique), de penser que l'efficacité politique reposerait uniquement sur une forme (qu'il juge nouvelle) de démocratie représentative. Comment comprendre un tel aveuglement sur le fait que les représentants de sa nouvelle Assemblée seraient susceptibles, même encore aujourd'hui, de remettre en cause les Traités ou tout l'arsenal juridique néolibéral ? (le SPD ne soutient-il pas Macron ?).
Comment peut-il affirmer que les « compétences exclusives » de l'Europe sont minimes ? Il ne s'agit rien de moins que les domaines de la concurrence et du marché intérieur qui irriguent tout le reste ! Comment le fait de s'appuyer sur des « compétences partagées » peut-il suffire ?
Piketty ne cesse de dire qu'il faut « faire confiance à la démocratie ». Mais de quelle démocratie parle-t-il donc ? Sa proposition est la proposition d'une nouvelle Assemblée, mais cette assemblée reste fondamentalement une Assemblée de personnes élues selon les caractéristiques habituelles de nos démocraties représentatives. Généreux semble en faire une condition acceptable à terme, mais non suffisante et pas avant sa réflexion sur une VIième République.
En fait, dans les réflexions sur l'idée de démocratie, il en existe une sur laquelle Piketty se tait : c'est celle qui considère que les gouvernés doivent aussi être des gouvernants. Donc, en pratique, qu'une société démocratique devrait se soucier aussi de mettre en place des mécanismes institutionnels qui favorisent cela, afin qu'une partie toujours plus large de la population soit associée aux principales décisions qui engagent la vie même de cette population.
La VIème République de Mélenchon, doublée de sa critique économique de l'UE sans appel, apparaît comme une voie très intéressante.
A travers les institutions politiques, on peut ainsi remettre en cause des éléments essentiels du rapport de force entre le capital et le travail. De ce point de vue, d’innombrables idées politiques fourmillent, de tout bord indissociablement économiques et politiques (et « Nuit Debout » n'en est que la partie la plus visible): le contrôle des institutions bancaires, avec une véritable loi de séparation bancaire car les banques sont au cœur du financement des agents économiques, une fiscalité sur les capitaux, une limitation des mouvements de capitaux, la recherche d'une dé-professionnalisation de la vie politique, le non cumul des mandats, le tirage au sort, la remise en cause des tribunaux de commerce (composée de juges uniquement patronaux), le droit de regard des citoyens sur la comptabilité des entreprises, la révocabilité des élus,etc.
Et là, on peut partir du principe que tous les individus, même les moins dotés scolairement, peuvent commencer à s'approprier leur destin politique, pourvu qu'on leur en laisse le temps et les moyens. On peut prévoir aussi que des individus, parmi les plus diplômés, mettent leurs connaissances juridiques, politiques, économiques au service de principes fondamentaux qui limitent la concentration de toutes les formes de pouvoir dans les mains de quelques uns.
En fait, malheureusement, Piketty n'est pas le candidat idéal pour proposer ce genre de choses.
Car, comme Lordon, on peut être frappé par cette phrase de Piketty du « Capital au XXIième siècle », dans lequel il déclare : « je suis vacciné à vie contre les discours anticapitalistes convenus et paresseux , qui semblent parfois ignorer cet échec historique fondamental (les régimes communistes), et qui trop souvent refusent de se donner les moyens intellectuels de le dépasser ».
Phrase ou pensée aussi ahurissante que déprimante, quand on pense qu'il n'y a finalement qu'un petit pas à faire pour conclure que les« discours paresseux » très critiques à l'égard du capitalisme sont tous paresseux ou encore que ces discours mènent à l'inefficacité du militantisme anticapitaliste. Piketty devrait par exemple se demander probablement encore plus aujourd’hui qu'hier, dans une perspective marxiste, si le droit et les institutions politiques qui existent ne sont pas un droit et des institutions bourgeoises, au sens où elle ne satisfont les intérêts que de quelques uns.
On distingue dans cette phrase, la forme peut-être la plus euphémisée du mépris de classe, lié à la possession du capital scolaire (qu'on retrouve intellectualisée dans la phrase « je crois au pouvoir des idées » et donc pas assez à l'expérience politique émancipatrice).La méfiance de l'intellectuel normalien ...fils de militants LO. Certes, on sait que le militantisme de gauche qui essuie des échecs matériels ou symboliques répétés peut engendrer la pire des réaction (du "col Mao au Rotary Club"). Mais aujourd'hui plus que jamais, il faut rappeler aussi à Piketty tous les avantages qu'il faut aussi accumuler pour pouvoir obtenir les diplômes les plus rentables, contrairement à celles et ceux qui se pensent comme des héros du travail intellectuel.
Je ne me lasse pas d'écouter Usul, qui résiste intellectuellement et politiquement, tout en rappelant publiquement qu'il n'est pas diplômé, François Ruffin qui se déclare « petit bourgeois » à « Arrêt sur image », mais aussi Lordon, qui soutient les salariés d'Ecopla. En bref, tous ces gens qui cherchent à mettre en suspens, le plus possible (et certains toute leur vie!), les mécanismes de la violence symbolique si propices à détruire de part en part, la résistance politique de celles et ceux qui croient ne rien posséder.
Le goût immodéré et aveugle de Piketty pour la seule démocratie représentative est finalement aussi étonnant que « normal ». Etonnant parce que je veux croire que c'est un esprit honnête, "normal" parce qu'il est...dans la norme.
Je me demande si les journalistes de Médiapart, quand ils nous incitent à voter Hamon, ont pensé à cela. Journalistes qui sont pourtant aussi capables de forcer mon admiration.
Billet de blog 30 mars 2017
Un Piketty du mauvais côté
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