La vague des gens de couleur : une menace pour le pouvoir blanc est un ouvrage de Lothrop Stoddard, ancien professeur à Harvard, théoricien de l’eugénisme. Le contrôle des naissances devint une arme « destinée à éviter que le peuple américain ne se voit supplanté par un troupeau de Noirs ou d’étrangers, du fait de l’immigration ou du taux élevé de natalité des autres populations de ce pays. » Assez troublant si l’on établit un parallélisme avec les propos insidieux d’Emmanuel Macron sur "le ventre des femmes" africaines.
Le 28 novembre 2017 à Ouagadougou (Burkina-Faso), le 08 juillet 2017 Hamburg (Allemagne), le 04 juillet 2018 à Lagos (Nigéria) et le 26 septembre 2018 à l’ONU (New-York), pour ne mentionner que ces dates dans le cadre de cérémonies officielles, Emmanuel Macron prononce tel un leitmotiv, avec une certaine persistance teintée de sexisme, de racisme et de paternalisme des propos désobligeants envers des femmes africaines : « S’il vous plaît, présentez-moi une femme qui a décidé en étant parfaitement bien éduquée d’avoir 7, 8 ou 9 enfants. » Repris à l’ONU le 26 septembre 2018 une énième fois, ces propos ont provoqué une vague de protestation virale sur les réseaux sociaux créant un hashtag : #CartePostalePourMacron, # PostcardforMacron où des femmes ayant concilié leur vie professionnelle et le choix de leur maternité nombreuse posent avec leur progéniture pour dénoncer le libre choix de femmes à disposer de leur corps. Beaucoup d’internautes ont accusé Macron de révisionniste, reprochant à ce dernier de faire table rase des conséquences de la colonisation, des affres du capitalisme sauvage, des réalités de la surexploitation des matières premières, de la vente des armes et de la nébuleuse Françafrique, surgeon du ‘passé’ colonial en liant les problèmes de « développement » du Continent uniquement à la démographie galopante en Afrique dont les premières responsables civiles seraient explicitement, selon ses propos, des femmes incapables de contrôler leur sexualité donc leur corps.
Voici que la teneur des dires du président français nous rappelle l’idéologie du racisme eugéniste aux Etats-Unis où le mouvement pour le contrôle des naissances avait été amputé de son potentiel progressiste et ne défendait plus le droit individuel des gens ‘de couleur’ au contrôle des naissances, devenant ainsi une stratégie raciste de contrôle de la population. Cette campagne fut d’ailleurs instrumentalisée pour appliquer la politique démographique raciste et impérialiste du gouvernement américain en son temps nous explique Angela Davis dans le chapitre XII « Racisme, contrôle des naissances et libre maternité » de Femmes, race et classe. Davis nous rappelle dans ce chapitre qu’en 1905, le président Roosevelt termina son discours de la « journée de Lincoln » en proclamant « qu’il fallait préserver la pureté de la race ». Et, en 1906, il associa la chute du taux de natalité chez les Américains blancs au « suicide de la race ». Dans son message aux Etats de l’Union, Roosevelt accusa les femmes blanches des classes favorisées du « péché de stérilité, et les menaça d’être responsables de la mort de la nation, du suicide de la race ». Il tint ce langage, souligne Davis, à une époque où l’idéologie raciste redoublait de violence et où une vague d’émeutes raciales et de lynchages déferlait sur tout le pays.
Le ventre des femmes. Capitalisme, racialisation, féminisme (Paris, Albin Michel, 2018) de Françoise Vergès décrypte quant à lui l’instrumentalisation racisée du ventre des femmes (le contrôle des naissances) à travers des politiques de reproduction de l’après-guerre de 1945, adaptées aux besoins de la ligne de couleur dans l’organisation de la main d’œuvre, en France métropolitaine (campagnes natalistes) et dans les départements d’outre-mer (les avortements forcés et la mise en œuvre tardive des lois sociales de protection des femmes enceintes) : une stratégie démographique raciste de contrôle de la population.
L’étude de Françoise Vergès permet d’étayer au mieux, dans les espaces qui se disent en français, les propos d’Emmanuel Macron sur son discours criminalisant, de façon intempestive, le « ventre des femmes » africaines.