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ODOME ANGONE

Enseignante-chercheure. Commissaire d'Art(s). Analyste-blogueuse spécialisée dans le cybermonde au Sud du Sahara, notamment dans l'impact des réseaux sociaux sur la communication politique et institutionnelle en Afrique francophone.

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Billet de blog 28 avril 2019

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Enfance, adolescence et construction de l'identité sociale entre filles et garçons

À propos du subtile déplacement du regard vers l'objectif et l'objet...

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LE JOUR OÙ J'AI BATTU UN GARÇON AU 200M  POOUR LA PREMIÈRE FOIS AU COURS DE SPORT...

Nous sommes dans un établissement scolaire de Libreville, ce jour-là nous avons sport. Le prof décide que l'on va faire un 100m ou un 200m je crois, ce qui demande beaucoup d'effort parce que ce n'est pas l'endurance. L'endurance c'était souvent une genre de semi "marathon" or le 200m exigeait clairement une performance physique et une rapidité sans conditions.

Des binômes ont été formés par sexe et je ne sais pour quelle raison, je suis programmée avec un garçon "alors que je suis une fille". Je pense que nous nous retrouvons en chiffre impair et comme tout le monde doit courir à deux, je me fais une raison et j'accepte. A l'époque j'étais timide et la pudeur ne m'autorisait que des mécontentements muets, j'accepte donc même si la peur ne manque pas de m'habiter. Pour moi, je n'envisage même pas de le battre, je veux juste "limiter les dégâts" parce qu'il va "forcément" gagner.

Les coureurs précédents viennent de finir leur folle course. Le chronomètre a été remis à zéro et le prof nous invite à prendre place. A vos marques! Prêts! Partez! Je pars sans conviction, un peu pour l'accompagner puis je me rends compte qu'il n'est pas à mes côtés. Non pas qu'il me dévance mais c'est moi et mon corps et ma détermination et ma dignité qui courent pour arriver au point de chute. Je n'en reviens pas. C'est justement parce que je réalise que je suis devant que je carbure animée par une énergie que je puise de je ne sais où. J'arrive avant lui. Inutile de vous dire qu'il devient très vite la risée de toute la classe. Je suis tellement éberluée, heureuse de mon palmarès que des remords inexpliqués me hantent alors que je devrais juste savourer ma victoire face à ce que je considérais impossible.

Durant toute l'année scolaire, ce condisciple vouera pour moi une haine inexpliquée, je paniquais les fois où nous devions nous croiser à deux quelque part. Sait-on jamais! Je notais en lui une gêne emplie d'une envie de revanche à la moindre occasion. Je l'ignorais, l'évitant dès que je pouvais.

L'épisode sur cette course m'a donné deux leçons: les filles sont éduquées pour "accompagner" les garçons et plus tard les femmes accompagneront les hommes sur divers p(l)ans de la société parce qu'elles ont intériorisé depuis l'enfance qu'elles ne peuvent que le seconder. L'autre leçon c'est de m'avoir donné la gnaque d'espérer et surtout de réaliser que les catégories genrées ne sont pas préexistantes à la société, qu'en réalité le conditionnement intériorisé est notre plus grand écueil...

Ce que j'ai aussi compris c'est "le subtile déplacement du regard vers l'objectif et l'objet", personne ne s'attendait à ma victoire, au lieu de me féliciter moi, les condisciples se moquaient plutôt de la contre-performance de mon "concurrent", comme si je n'existais pas. Ce qui me conduit à tirer une autre conclusion: beaucoup de femmes vivent dans une autre violence quotidienne, celle de l'invisibilité sociale qui s'installe/s'étend ensuite dans une invisibilité institutionnelle. "Je n'existais pas" même dans la victoire, c'est plutôt l'échec blâmé et inattendu d'un "favori naturel" que l'on remettait en cause... Dans cette anecdote révélatrice, j'étais l'objet du discours donc le décor et mon condisciple le sujet par anticipation c'est-à-dire l'objectif sur qui tous "comptaient".

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