Demain, Emmanuel Macron sera président de la république.
Cela ne fait pas le moindre doute, et pourtant, une horde de journalistes nous bassinent depuis une semaine que voter pour ce candidat aussi médiocre qu'inévitable est un devoir civique que seuls les fachos de la pire espèce oseraient remettre en question... Bassinoire d'autant plus ridicule que le candidat lui-même ne se donne même pas la peine d'invoquer le « front républicain », seul capable de le faire élire, et exige un « vote d'adhésion » à son programme, et comme si cette humiliation du peuple ne lui suffisait pas, il multiplie les provocations antisociales, n'hésitant pas à annoncer d'avance qu'il utilisera tous les moyens que la trop généreuse constitution de la 5e république lui offre pour court-circuiter la séparation des pouvoirs et faire voter « à la blietzkrieg » des mesures qu'il serait impossible de faire voter dans une démocratie.
Pourtant il sera élu parce que son adversaire est pire que lui... à ce qu'on dit.
Si j'étais français, je serais ce qu'on appelle un abstentionniste... voire un insoumis. Un de ceux qui n'acceptera jamais de choisir entre la peste et le choléra et se refuse de se rendre complice de ceux qui ont fait gonfler le FN pendant cinq ans sans réagir pour l'exhiber à une semaine du second tour comme le « mal absolu »... un mal dont la dangerosité retournera dans les oubliettes médiatiques à la seconde précise ou monsieur Macron sera crédité de ses très immérités 51% de voix. Ce matin, alors que j'ouvrais comme d'habitude mon facebook, je tombe sur un article du « discutailleur » dont le titre correspond précisément à mon état d'esprit actuel : « notre voix nous appartiens ! » - je le gratifie logiquement d'un like et d'un commntaire approbateur... Puis, saisi d'un doute totalement irraisonné, le me décide à lire l'article dont j'ai déjà validé le contenu. Pour situer l'article, il faut savoir ou se situe le discutailleur sur l'échelle politique, il n'est pas de gauche, il n'est pas de droite non plus, mais il n'est surtout pas « ni de gauche ni de droite » parce que ça veut dire nazi et qu'ils ne sont pas d'accord avec le FN. Bref, un positionnement qui, à défaut d'être limpide, est politiquement irréprochable.
N'étant moi même en accord ni avec le « Parti Socialiste », ni avec « les Républicains », et étant farouchement opposé au Front National et à ses idées, je présume que j'ai exactement la même orientation politique et que je voterais pour les chroniqueurs du discutailleur s'ils se présentaient aux élections... Du moins c'est ce que je pensais avant de lire l'article ou fusent un certain nombre de critiques à l'encontre du Front National qui ne sont ni celles qu'on trouve habituellement dans la presse traditionnelle, ni celles que je ferais moimême. En effet, ce que le Discutailleur reproche à Madame le Pen, ce n'est pas le racisme viscéral dont elle fait preuve tant dans son programme que dans ses discours, ce n'est pas davantage les incohérences de son programme économique ou les erreurs factuelles qu'elle peut commettre dans ses attaques contre son adversaire. Non, ce que le Discutailleur reproche à Marine le Pen, c'est de ne pas avoir insisté sur ce qui fait la « spécificité » de son programme. Ou en termes plus clairs, la « lutte contre l'islamisation de la société », se faire l'interprète des « inquiétudes légitimes des français » (la couleur du français n'est pas précisée explicitement) et un exaltation de l'identité nationale que même Sarkozy aurait jugé excessive.
La morale de cette mésaventure, c'est qu'il faut toujours lire un article jusqu'au bout avant de l'apprécier, mais elle suscite chez moi une autre interrogation : l'ultra-droite ultralibérale, déréglée et sans âme dont Emmanuel Macron est une effrayante caricature et l'extrême droite antiparlementaire et raciste de Marine le Pen sont-ils aussi incompatibles que la violence du débat du 2e tour le laisse entendre ? Un Macron prêt à gouverner par ordonnances pour court-circuiter le parlement et à accueillir dans son équipe un Manuel Valls que l'immense majorité des non-blancs de France considèrent comme pire que le Pen est-il foncièrement moins raciste et moins antiparlementaire que sa diabolique concurrente ? En regardant ce débat télévisé, j'ai été surpris de constater à quel point j'étais – pour la première fois de ma vie – en accord avec pratiquement tout ce qu'elle disait – il faut dire que son discours se limitait à des attaques contre l'affairisme et le mépris du peuple de Macron, partagé par toute la France à l'exception de ses propres électeurs –, ce qui me mettait particulièrement mal à l'aise parce que dans le même temps, son sourire me faisait froid dans le dos tandis que celui d'Emmanuel Macron me donnait de furieuses envie de vomir. Car tout deux souriaient de toutes leurs dents au moment précis ou la France entière grinçaient de leurs dentiers. Le sourire de Marine était celui d'un carnassier qui vient de bloquer une proie dans un couloir sans issue dont elle garde la sortie, prête à user de ses canines aiguisées, celui d'Emmanuel Macron évoquait plutôt le charognard qui attend que le prédateur ait quitté la place pour ramasser le meilleur bout de gras. Tout deux souriaient, tout deux étaient ravis, parce qu'ils étaient l'un comme l'autre persuadé d'être déjà élu.
Chacun pensait que son adversaire était tellement méprisable qu'il ne pouvait que gagner et, naturellement, engoncé dans cette certitude, aucun des deux ne se donna la peine de cacher sa propre médiocrité. Dès lors une autre question s'est imposée à mon esprit, l'extrême-droite de le Pen et la droite extrême d'Emmanuel Macron auraient-ils pu, dans d'autres circonstances, s'associer pour former un gouvernement stable ? Cela peut paraitre inimaginable, digne d'une dystopie particulièrement monstrueuse, et pourtant un tel gouvernement est possible, et il existe : il s'agit du gouvernement belge.
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En voici deux dignes représentants, un de ces deux hommes est le président du MR, parti ultralibéral. L'autre est le leader de la NVA, parti ultranationaliste, raciste en général et islamophobe en particulier. Un de ces deux hommes appartient au parti qui a fait voter la déchéance de nationalité pour les binationaux « condamné pour terrorisme », un de ces deux hommes a autorisé la police marocaine, dont on connaît le fort penchant pour la torture, d'opérer sur le territoire belge contre les marocains en générals, y compris les binationaux, un de ces deux hommes a participé à la guerre judiciaire qui permis à la Belgique de déporter le citoyen Ali Aarrass vers le Maroc ou il a été torturé, condamné et finalement « mis au secret » de peur qu'il ne communique à sa famille ses monstrueuses conditions de détentions.
L'autre homme, c'est le président d'un parti dont la plupart des leaders participent périodiquement à des « commémorations » à la mémoire d'anciens Waffen-SS morts au champ d'honneur pour « lutter contre le bolchévisme ». Si vous vous demandez à quoi pourrait ressembler un gouvernement Macron-le Pen, la Belgique est le modèle à voir, l'état d'urgence y est permanent. Je reviens donc sur le cas de Monsieur Ali Aarrass qui est l'exemple même de ce que peux produire une justice dominée à moitié par le racisme de l'extrême et à moitié par l'inconscience de la droite « pragmatique ». Cet homme est arrêté en Espagne sur base d'informations fournies par la sûreté belge. Jugé une première fois par le juge antiterroriste Balthazar Garzon, qui n'est pas connu pour sa complaisance envers les criminels, il bénéficie d'un non lieu pour insuffisance de charges (et ce malgré plusieurs années d'espionnage intensif), le juge ordonne logiquement sa libération, mais le gouvernement espagnol le garde en prison et l'extrade vers le Maroc ou l'enfer commence véritablement. Ali Aarrass, citoyen « belgo-marocain » sur le papier mais n'ayant jamais vécu au Maroc subit des actes de torture que j'aurais cru inimaginable dans un état de droit avant l'affaire Théo, une signature lui est extorquée sous la menace au bas d'un document rédigé dans une langue qu'il ne comprend pas, il s'agit d'aveux de crimes qu'il n'a pas commis.
Malgré l'énormité de la procédure, la Belgique n'intervient pas, et pour une seule raison « officielle », monsieur Ali Aarrass n'est pas considéré comme Belge. Pire encore, en réponse aux interrogations de députés qui s'inquiétaient de ses conditions de détentions, le ministre FX de Donnéa s'est permi de répondre d'un cinglant « la double nationalité n'apporte pas que des avantages » et d'évacuer d'un revers de la main des années de torture reconnues par les rapporteurs de l'ONU, par la commission européenne des droits de l'homme et nombre d'ONG humanitaires dont Amnesty International qui a choisi Ali Arrass comme figure de proue pour sa campagne contre la torture. Mais qui est seulement au courant de l'existence de cette campagne lorsque la presse met un point d'honneur à ne citer le nom de monsieur Ali Arrass que lorsque c'est absolument indispensable, lorsqu'une vidéo tournée clandestinement montre les traces des sévices qu'il a subi fait le tour du web par exemple, et encore ne le fait-elle qu'avec la plus extrême réserve. J'ai honte du pays dont j'ai la nationalité, parce qu'en autorisant une police étrangère – d'un pratiquant ouvertement la torture – à traquer ses propres ressortissant sur son territoire, ce pays est tombe au niveau d'abjection de la France de Pétain. J'ai peur pour la France dont je partage la langue et la culture quand je la vois tiraillée entre l'ultra-droite de Macron qui ne prétend mettre fin ni à l'état d'urgence, ni aux « contrôles au faciès » et l'extrême-droite de Marine le Pen qui est pire, mais pas assez pour me convaincre de soutenir Macron. Ali Aarrass, c'est une sorte d'Alfred Dreyfuss... mais un Dreyfuss qui n'a pas eu droit à un procès dans son propre pays, qui n'a pas droit aux honneurs de la presse et qui n'a ni Zola, ni Jaurès pour plaider sa cause. C'est un homme dont les chances de sortir vivant de son calvaire s'amenuisent chaque fois que l'extrême-droite remporte un succès quelque part en Europe, dans cette « grande puissance » ou le gouvernement belge se prépare à présider, suprême provocation, la commission des droits de l'homme.