Au fin fond de la campagne, tandis que les clients fortunés dorment du sommeil du juste, je traîne mes guêtres au château. Un boulot pas très passionnant mais une source d'inspiration, un cadre sublime, un modeste salaire tous les premiers du mois. Deux heures du mat, bercé par le chant nocturne de la nature qui entre par la fenêtre, je mets de côté les 179 copies quotidiennes, la clôture informatique et comptable, les innombrables tickets à vérifier et revérifier, pour grimper dans la golfette (photo) et gagner l'autre bout du domaine. Une requête farfelue. Quand on travaille dans un quatre étoiles, on ne juge pas, on sert le client, le lord ou le vicomte qui a expressément besoin d'ouvrir son coffre-fort au beau milieu de la nuit mais ne le peut pas parce que la pile de l'engin a rendu l'âme. Que ce soit pour actionner une poignée récalcitrante ou pour remettre un fax, je ne me lasse jamais de conduire cette golfette, de respirer l'air de la nuit, de me sentir vivant et heureux lorsque je croise un lapin, une grenouille, une hirondelle.

Photo de Böhringer Friedrich (sous licence Creative Commons)
J'avais sûrement l'air nigaud lorsqu'âgé de 10 ans, je répétais inlassablement à mes camarades de classe « quand je serai grand, j'habiterai un château. » J'en étais persuadé. Je m'en persuadais. Eh bien, 27 ans plus tard, fermant les accès du château à l'aide de l'épais trousseau de clés, je me dis que j'ai réalisé sans le savoir un rêve de gamin. Pas tout à fait comme je l'avais rêvé, mais avec les rêves, on ne fait pas la fine bouche.
Au petit matin, le vicomte anglais de la chambre 124 sort de son portefeuille un billet de 500 euros. Il souhaite de la monnaie. L'espace d'un court instant, je suis comme une poule devant un timbre poste. Mille pensées se bousculent dans ma tête de citoyen de basse extraction : 500 que multiplie 6,55957 = ? ; est-ce un faux ? où est le détecteur ? vais-je avoir assez de billets pour lui ? putain ! 500 euros ... et quand il en laisse 20 de pourboires à partager entre la réception, je le trouve tout de suite moins emmerdant, le gentleman.
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