Les images de CNN sont révulsantes. En effet « l'animalisation » de l'homme Noir est en marche et pas seulement en Libye. D'ailleurs elle n'a jamais cessé. Les dormeurs qui rêvent de la fraternité arabo-africaine doivent trouver le réveil un peu lourd. Cela devrait aussi être le cas pour ceux qui croient encore et toujours que sans une prise de conscience réelle et active la dignité de l'homme Noir adviendra. Le monde n'est ni doux ni amer. Il est ce que la volonté, la lutte veut qu'il soit. La communauté internationale n'est qu'une simple fiction dessinée pour voiler les calculs géostratégiques très intéressés des uns et des autres. Il en est d'ailleurs ainsi pour le paravent de la protection des droits de l'homme qui sont toujours géométrisés selon les mêmes calculs .
Une violence banalisée
L'avilissement du noir est facile. Elle est sans limite dans les médias, dans les cafés et bars, au travail, en public en Europe, en Amérique, en Inde, au Maghreb, au Proche et Moyen Orient, même en Afrique. Cette normalité ne choque point car historicisée. Ce déterminisme historique, culturel et même religieux les rend bons à la brimade, à l'offense, à la brutalité, ... Cela est possible, bien sûr, parce qu'ils ne sont pas comme les autres. Ils sont inférieurs. De surcroît, aucune contestation des élites militantes et médiatiques ne peut venir s'indigner avec fracas sur leur sort. Aucune sanction réellement exemplaire ou morale ne peut venir atténuer des actes qui ont tous pour base le maintien de l'idée de l'infériorisation qui a traversée plus de cinq siècles et qui gangrène même les enfants dans les écoles maternelles. La survivance des idées coloniales et des comportements condescendants à l'égard du Noir, la faiblesse des signaux positifs que la terre africaine a du mal à envoyer dans la stratosphère internationale renforcent la déclassification du Noir de la communauté humaine. De cette sorte, les décisions des pays comme l'Algérie d'embarquer manu militari par cars entiers des immigrants malades et affamés vers des destinations incertaines, des passages à tabac au Maroc, en Tunisie des jeunes africains, la persistance de l'esclavage en Mauritanie,... ne relèvent pas d'un épiphénomène. Mais bien d'un substrat historique et culturel doublé du mimétisme de ce qui se passe partout dans le monde sur la perception et la réalité du Noir en tant que sous-homme. Mais, par hypocrisie travaillée en bienséance, il ne faut surtout pas le dire. Normal, cela ne concerne pas l'humanité.
La décadence de l'Afrique, la raison de l'émigration
Cette déshumanisation ancienne du « Nègre » n'est que le reflet de l’effacement progressif de l'Afrique sur la scène internationale. Elle est le fruit du spectacle d'indignité qu'offrent ses dirigeants. L'Afrique du commerce déséquilibré des matières premières et de l'argent des multinationales n'est pas l'Afrique des Nkrumah, Modibo Kéita, Césaire, Mandela, Ngouabi, Sankara, Nyobe, Garvey, Malcolm X, Lumumba, Toussaint Louverture, .. La soumission aux puissances dominantes et leurs instruments, Franc CFA, compris est la règle.
L'accélération de l'humiliation du Noir, partout dans le monde, procède de la même matrice: la décadence de l'Afrique et de ses valeurs. L'incapacité de ce continent à s'inventer sans copier, à imposer ses idées sans avoir honte de sa pauvreté, à se délester des inducteurs mentaux, oripeaux de la colonisation est flagrante. Il y a peu de domaines où elle est la référence dans la marche moderne et protectrice du monde. Le problème est bien la gouvernance de ces Etats. Les dirigeants de ce continent, au nom de leurs seuls intérêts, ont laissé piller ses richesses. C'est pourtant de là qu'aurait pu venir l'honorabilité et la respectabilité de ce pays, de ses institutions, de ses habitants, in fine du Noir.
L'Union africaine en sommeil
Les faits d'esclavage des Noirs de ces temps modernes heurtent d'autant violemment la conscience qu'ils se produisent sur le sol africain. Tout se passe comme si cette souffrance et le symbolisme qui devrait rester vivace de cette traite des hommes par les arabes et les européens ont été gommées de la mémoire collective et individuelle. L'Union Africaine est toujours en sommeil sur ces questions comme sur d'autres d'ailleurs, ce au nom de la prétendue fraternité continentale. Il est évident que cette nonchalance favorise toutes les insultes, discriminations, violences que le Noir subit à quels qu'endroits qu'il se trouve, à quelles qu'échelles sociales qu'il occupe, Obama, Taubira, peuvent en témoigner.
Des présidents comptables et coupables du malheur de l'Afrique et du Noir
La démission collective et individuelle devant cette tragique réalité est inimaginable à l'heure de la communication accélérée dans le monde global. Elle est d'autant grave que cette transhumance des jeunes et sa cohorte de comportements dégradant sont connues des présidents africains. Ils ne s'en émeuvent même pas car plastifiés dans un nuage bien disjoint de celui des migrants et qui coule sur des horizons bien argentés et dorés. Cela se comprend d'ailleurs aisément car la grande majorité d'entre eux, arrivés au pouvoir par des tueries ou la manipulation des urnes, ne brillent que par la violence envers leurs concitoyens qu'ils sont pourtant sensés protéger. C'est le paradoxe, pas le seul, du dirigeant africain. Son agilité à casser les quelques symboliques balises institutionnelles est épatant. Cette vigueur les a totalement désensibilisé de toute émotion responsabilisante. Cette attitude est la même attitude lorsqu'il s'agit de défendre l'intérêt supérieur du pays et pour se battre pour la dignité de tout homme autre que les membres de son clan. Enfermé dans sa bulle, toute honte conscientisante, tous remords sont absents même pendant les moments d'introspection.
Devant une telle incurie, la nécessaire démarche de transformation de l'Afrique est forcément improbable. Ces potentats dont la longévité au pouvoir est parfaitement corrélée avec la baisse des conditions de vie des populations ont , depuis, refusé de tendre la main aux migrants. Les opérations spectaculaires d'évacuation ne sont que de la communication. Elles ne sont nullement la réponse aux problèmes de fond source de cette coulée humaine vers le cimetière en eaux de la méditerranée. Lorsqu'on connaît l'appétence de ces dictateurs multi milliardaires pour le pouvoir et les liasses de billets pour leurs familles, il est inepte de penser que cette chasse aux africains même par les africains soit une façon cynique de demander l'aide financière aux occidentaux, au FMI et à la banque mondiale pour venir compenser la gabegie financière érigée en règle de gouvernance dans ces états en quasi faillite.
Dire que la Libye n'existe plus en tant qu'Etat depuis l'assassinat de Mouammar Kadhafi est une vérité incontestable. Cependant ce vide ne peut, à lui seul, absoudre la culpabilité des responsables publics africains dans le drame des migrants. Drame dont les causalités, faut-il le répéter, sont liées à l'irresponsabilité de ces gouvernants africains avec la complicité active des bailleurs de fonds. Ces maux qui poussent hors d'Afrique des jeunes gens sans horizon, plongent leurs racines dans le terreau putréfié des systèmes éducatifs en place, dans le chômage de masse, dans l'absence de perspectives d'avenir, dans la corruption endémique, dans la confiscation de la démocratie et le saccage des institutions,...bref une chaîne de causalités désespérantes et bien plus longue qu'on ne le croit .
Les Noirs victimes de l'indifférence des africains
Face à son déclin, l'Afrique pose sur la même affiche, sans douleur, un insolent taux de croissance du nombre de milliardaires et, en même temps, un taux d'endettement hallucinant à côté d'un autre indice, celui-là, très bas, sur le développement humain. Elle peint sans délicatesse sa désunion, son éclatement, son manque de vision et d'audace devant les défis de demain. Son immobilité devant la barbarie vaut celui de ses présidents à vie. La violence est centre de leur organisation de la vie publique. La privation des libertés et des droits les plus élémentaires est pour eux le seul moyen de canaliser le mécontentement dont ils sont à l'origine.
Cette indifférence portée par la dynamique du chacun pour soi est un véritable levier du despote. Son repli sur son clan, son jeu tactique visant à protéger la bonne transmission du pouvoir au sein du clan, l'éloigne des affaires de l'espace public (au sens donné par Anna Arendt) et de la nécessaire solidarité qu'ils devraient avoir avec les haïtiens, les malgaches par exemple lorsque ces îles sont touchées par des tremblements de terre, des ouragans ou des épidémies.
La solidarité avec les réfugiés économiques claironnée à coup de beaux discours n'est que temporaire. C'est de la pure communication de circonstance. Beaucoup de pays africains refusent d'être des Etats protecteurs de tous. Ainsi, lorsque la gestion de la sphère privée occupe toute la réflexion d'un gouvernement, alors aller protester dans les pays arabes, en Europe, en Asie surtout auprès des pays dont les connivences sur le non respect des droits humains sont très fortes, ne peut être qu'une illusion. Les affaires publiques ne les concernent que si elles risquent de menacer les affaires privées du pouvoir. On voit d'ailleurs ces politiciens très actifs lorsqu'il s'agit de couvrir les turpitudes de leurs rejetons ou autres membres du clan, même quand la rapacité du pilleur va jusqu'à mettre à genoux le pays entier. Dans ce type d'affaires, la protection des invétérés "malversateurs financiers » devient une véritable cause nationale à défendre plus que la défense de la vie d'une mère de famille écrasée par un obus encore moins celui d'un migrant, d'un haïtien, ...
En conclusion, les images de l'esclavage des noirs ne seront pas les dernières. C'est la raison pour laquelle il faut continuer à combattre avec une grande détermination ces actes et leurs auteurs par une mobilisation d'abord africaine puis internationale. Un tel combat ne pourrait porter ses fruits sans combattre les causes de ces ignominies. Dans ce cas, il est nécessaire de chercher les responsabilités dans les forêts, savanes et terres semi-désertiques africaines où elles se cachent. Ensuite les complices seront également recherchés partout où ils se trouvent dans le monde afin que tombe le système transnational de l'alimentation de la misère. C'est cette approche systémique qui pourrait faire cesser cette bestialité et cette déconsidération du Noir à travers le monde. Cela aiderait par ricochet à combattre les phénomènes typiquement noir de blanchissement de peau, de port de perruques masquant les cheveux,...
Quand l'homme noir, respectera l'homme noir, personne ne marchera sur l'homme noir (Malcolm X).
CN