Ce billet constitue une prise de position pour la défense de la république, dont on ne peut que se réjouir...
(Commentaire du billet "le Temps de la Déraison" (Keller, édition "les Invités de Médiapart)
Il y a pourtant un passage de cette déclaration dont le caractère "républicain" peut se discuter:
"Il appartient, dans les circonstances actuelles, à la classe politique dans son ensemble de montrer une solidarité sans faille vis-à-vis de principes qui ne sauraient être l’otage du débat politique animant toute démocratie et des éventuels scrutins qui en ponctuent le cours. A ceux auxquels la Nation a confié la mission de la représenter, d’être les promoteurs inlassables d’une éthique de la politique pure de tout esprit d’accommodement. Elle seule pourra faire refluer la bête immonde qui renaît de ses cendres."
En effet cette manière de voir les choses rend une hypothétique "classe politique" dépositaire de la république, voire la démocratie... Elle lui donne même un mandat exclusif pour l'action politique...
Cela est probablement faux historiquement et sociologiquement. Et relève d'autre part d'une idéologie oligarchique.
On propose ici de questionner quelques points aveugles de la déclaration politique de Monsieur Keller.
Existe-t-il une "classe politique"? pour répondre positivement à cette question, il faudrait accepter:
1 - que la politique soit une activité propre aux ressortissants d'une catégorie sociale occupant, par la pratique de la politique, une position spécifique dans la division du travail et l'espace public.
C'est probablement en partie vrai, en particulier s'il s'agit de parler seulement du personnel politique des deux partis "alternants", structurels à la 5° république et de leurs filiales (UDI-CDS) et EELV. Même si ces partis ont parmi leurs représentants quelques marginaux ne ressortissant pas de cette catégorisation.
Il est vrai que l'on peut reconnaître là une caste (plus qu'une classe) avec sa culture, ses usages, son pouvoir, ses solidarités, son positionnement économique (qui inclut par exemple la corruption et les marges de celle-ci crées par les partenariats " privés-publics" et la répartition des sinécures).
Mais cette partie des citoyens pratiquant la politique est loin de représenter le tout...
2 - que cette classe politique soit distincte de l'oligarchie qui règne sur la société française, alors que l'on voit bien tous les jours la fluidité de la mobilité des sièges de l'assemblée, des staffs des cabinets, des divers conseils institutionnels vers les lieux d'exercice du pouvoir économique dans les grandes entreprises et la banque... Les contours de la classe politique ne créent pas une frontière perméable avec d'autres situations de pouvoir et d'enrichissement.
Mais c'est aussi tout à fait faux, en ceci qu'on ne peut résumer "la politique" et "les politiques" à l'activité des professionnels de la 5° république.
C'est là que nous en venons au deuxième volet des affirmations de Monsieur Keller. La "Nation" a-t-elle confié à ces gens-là, de plus exclusivement, le soin d'être les promoteurs "d’une éthique de la politique pure de tout esprit d’accommodement"?
Heureusement que non!
- tout d'abord parce que cette caste apparait tous les jours comme partageant sans souci "l'esprit d'accomodement (ou faut-il dire "pataugeant dans"... )
Faut-il rappeler, pour la période récente l'approche sénatoriale de la question de l'immunité de Monsieur Dassault? Ou personne n'a-t-il suivi les travaux de la commission parlementaire dédiée au traitement du cas Cahuzac par l'état?
Personne n'a-t-il entendu parler de ralliement à un gouvernement sur la base de "l'obtention" de circonscriptions législatives?
Combien de parlementaires se sont-ils émus et non accommodés des propos de Monsieur Valls sur la "vocation" de la "population Rom"?
- ensuite parce que pour faire refluer la "bête immonde", c'est généralement ailleurs que dans la "classe politique au sens de Monsieur Keller, qui cite opportunément Bertolt Brecht, qu'on a trouvé des troupes...
La caste politique, elle, a porté Hitler au pouvoir dès que l'oligarchie industrielle l'a voulu.
Elle a aussi donné les pleins pouvoirs à Philippe Pétain.
Il semble donc préférable de renoncer à reconnaître l'existence d'une "classe politique" et encore plus de ne pas lui donner l'exclusivité du combat républicain.
Oui, l'appel du grand-maître d'une obédience maçonnique à la représentation nationale et au gouvernement pour qu'ils agissent fermement contre le racisme, pour la démocratie, contre l'inégalitarisme et la ségrégation sociale est bienvenu et, hélas, tout à fait d'actualité.
Mais ce sont d'abord les citoyens qui peuvent et doivent mener ce combat. A défaut de quoi il pourrait être perdu...