Médiapart participe à la discussion ambigue du livre "En finir avec Eddy Bellegueule" d'Eddy Louis. C'est effectivement un ouvrage passionant et original qui parle autrement qu'on ne le fait d'habitude de la socialisation masculine...
En prenant l'article de Dominique Conil comme point de départ, les liens nous introduisent à un espace critique et polémique intéressant, cet article lui-même, un blog de libraire, l'article du Courrier Picard, quelques commentaires d'internautes, le livre d'Eddy Louis, et "Retour à Reims" d'Eribon, devenu une lecture incontournable quand on a fait tout ce parcours.
Toute une vague de critiques, et même de jugement, reprochent à ce livre de n'être pas un autre livre... De ne pas être un roman populiste ou "populaire" de plus, simpliste, où la maltraitance de l'un des personnages serait un phénomène explicable et expliqué, excusé par une misère, culturelle, sexuelle, psychologique et sociale venue d'ailleurs... De ne pas être non plus un simple livre psychologisant, où le mal-vivre du personnage serait rapporté à une configuration familiale infortunée... Le genre de livre dont on pourrait tirer des leçons éducatives...
Il faut pourtant lire ce livre pour ce qu'il est. Le titre est clair "En finir avec Eddy Bellegueule" . Il s'agit pour l'auteur, Eddy Louis, de prendre le moyen de l'écriture, du roman, pour s'émanciper d'une socialisation mortifère, celle dans le cadre de laquelle son destin, s'il ne l'avait pas pris en main, aurait été de rester Eddy Bellegueule.
Le personnage subit, parfois avec une étonnante placidité, la violence symbolique et physique d'une éducation totalitaire, dont il comprend très vite qu'ele ne peut lui permettre de devenir lui-même, un être libre et émancipé. Cette éducation totalitaire est le vécu de son enfance et de sa prime adolescence. Il se trouve qu'elle passe par tout ce que valorise son milieu: la virilité, le football, l'alcool, la violence, la télévision, la famille patriarcale, l'exploitation prolétarienne. De cette éducation, il ne tire ni une "conscience de classe" (version ouvrière), ni un "devoir d'état" (version conservatrice), mais en tire une conclusion claire: il ne veut pas vivre comme cette classe et ne veut pas passer par les codes, les us les coutumes, les manières de faire, de manger, de parler, de boire, de faire l'amour, de faire du sport, de marcher, de travailler qui en sont le quotidien, le vécu, le système relationnel, la socialisation.
Il n'en veut pas, ni pour les détails, ni pour le tout. Et donc il prend le moyen, la ruse d'y échapper. Et ensuite il ne ment pas. Il dit clairement qu'il lui fallait échapper à tout cela.
Alors... ça ne plait pas à ceux dont la vie est le système même avec lequel Eddy devait en finir. Rien que de très normal. Eddy Louis n'écrit pas pour le Courrier Picard, c'est clair...
Il sait que l'oppression des enfants de la classe ouvrière (hâtivement assimilée au "Lumpen" dans plusieurs articles) a pour relai, pour levier, le plus souvent cette classe elle-même. Que la famille ouvrière, le quartier ouvrier ne sont pas la fable grotesque et consensuelle que Danny Boon a vendu à toute la France avec "bienvenue chez les Ch'tis".Au contraire de ce que dit Christine Marcandier(1) le système d'oppression symbolique et culturelle qui était la socialisation à laquelle Eddy Bellegueule était condamné n'est pas vraiment une découverte pour beaucoup de lecteurs... Eddy Louis nous dit: on peut échapper à ce système, avec de la volonté et de la ruse, et par l'écriture. Bravo!
(1) Attribution par erreur à C.Marcandier d'une ligne de Dominique Conil. Mes excuses à toutes deux. Voir explication dans les commentaires, ci-dessous. Je ne supprime pas l'erreur pour ne pas rendre les commentaires incompréhensibles...