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Billet de blog 13 octobre 2025

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Commune de Paris et bolchevisme: La liberté trahie par le mythe

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1. De la Commune de Paris au fantôme de Lénine

Pourquoi l'Ukraine, le pays le plus touché par le totalitarisme communiste, se tourne-t-elle vers la Commune de Paris – un événement que la propagande soviétique s'est efforcée d'intégrer dans son propre récit? La réponse réside dans la quête de la vérité et la nécessité de rompre avec des illusions anciennes et dangereuses. Cet article vise à démontrer que la Commune de Paris de 1871 et la «révolution» bolchevique de 1917 ne sont pas seulement différentes, mais idéologiquement opposées. La première fut une expression authentique, bien que tragique, de l'aspiration à la liberté et à l'autonomie, tandis que la seconde fut avant tout une prise de pouvoir planifiée qui mena au rétablissement de l'autoritarisme sous le faux slogan de la «dictature du prolétariat».

L'Ukraine, plus que toute autre nation, possède le droit moral et l'expérience historique pour une telle déconstruction, car elle a connu le «communisme» non par la théorie, mais par la douloureuse pratique de l'occupation et de la répression. De plus, elle a posé les bases d'illusions qui représentent aujourd'hui une menace réelle de catastrophe à l'échelle continentale, alors que l'Europe est confrontée aux conséquences directes de la politique agressive et des attaques militaires russes. Il est particulièrement important de montrer comment la fausse analogie entre la Commune et l'URSS a influencé la perception de cette dernière en Europe et a eu des conséquences tragiques pour le peuple ukrainien. Nous proposons un regard qui doit éclairer la véritable nature du passé et sa signification pour notre présent, en appelant à une réévaluation critique de cet héritage.

2. Une véritable explosion de liberté et de démocratie

Pour la France, et particulièrement pour Paris, ville épicentre de nombreuses révolutions et symbole de la résistance populaire, la Commune reste une page d'histoire à la fois traumatisante et inspirante, symbolisant l'aspiration à un ordre social nouveau, plus juste. Elle ne fut pas une révolution planifiée, organisée par un parti centralisé cherchant à s'emparer du pouvoir. Au contraire, la Commune surgit comme une explosion spontanée et profondément populaire en réponse à une série de crises qui accablèrent la France en 1870-1871. La défaite catastrophique de la guerre franco-prussienne, les conditions humiliantes de l'armistice, l'occupation par les troupes prussiennes et la fuite subséquente du gouvernement central à Versailles, laissant Paris à son sort – tout cela fut un catalyseur. Les Parisiens, des ouvriers et artisans à la petite bourgeoisie et aux intellectuels, se sentaient abandonnés, trompés et humiliés, et leur indignation se transforma en une volonté résolue d'autonomie, de créer un pouvoir qui viendrait «d'en bas», plutôt que d'être imposé de l'extérieur.

Ce mouvement était loin d'une idéologie monolithique. Au Conseil de la Commune, élu par les citoyens, étaient représentés les courants de gauche les plus divers: des Proudhoniens, partisans d'associations ouvrières autonomes; des Blanquistes, croyant en un complot révolutionnaire; des Néo-Jacobins, s'inspirant de la Grande Révolution française. Des figures telles que Louise Michel, connue pour son inlassable combat pour la justice sociale, devinrent des symboles vivants de ce soulèvement populaire. Ce pluralisme des opinions témoignait de débats idéologiques vifs, et non de la dictature d'un seul parti ou d'une seule idéologie «correcte». Les gens cherchaient non seulement à changer le pouvoir, mais à créer un ordre social qualitativement différent, fondé sur les principes de justice, d'égalité et de participation directe des citoyens.

Pendant sa courte existence (seulement 72 jours), la Commune a mis en œuvre une série de réformes révolutionnaires pour son époque, démontrant clairement son aspiration réelle à la démocratie et à la justice sociale:

  • Éligibilité et révocabilité des fonctionnaires: Tous les fonctionnaires, y compris les juges, devaient être élus par le peuple et être responsables devant lui, avec la possibilité de leur révocation. Ce fut un coup direct au système bureaucratique qui engendrait la corruption et le détachement du peuple.
  • Séparation de l'Église et de l'État: La séparation complète de l'Église et de l'État fut proclamée, assurant le caractère laïc de l'éducation et de l'administration, ainsi que la liberté de conscience. Les biens de l'Église furent nationalisés, ce qui témoignait d'une aspiration à l'égalité sociale.
  • Auto-organisation ouvrière: Un décret fut adopté pour transférer les ateliers et usines abandonnés ou fermés aux associations ouvrières, qui devaient les gérer. Ce n'était pas une nationalisation par l'État, mais une véritable tentative d'auto-organisation et de coopération ouvrière, visant à surmonter l'exploitation et à donner aux travailleurs le contrôle des moyens de production.
  • Abolition de l'armée permanente: Au lieu d'une armée professionnelle, souvent utilisée pour réprimer les soulèvements populaires, fut créée la Garde nationale – une milice populaire à laquelle participaient tous les citoyens. Cela symbolisait le pouvoir populaire et le refus du militarisme.

L'esprit de la Commune de Paris était celui d'une «fête des opprimés», comme la décrivaient souvent les contemporains. C'était une célébration de la participation active des citoyens à leur propre gouvernement, une foi en leurs propres forces et en leur capacité à s'organiser. Cette aspiration à la décentralisation, au pouvoir du peuple et à la défense de ses droits résonne profondément avec les traditions historiques ukrainiennes. Du système du viche de la Rus' de Kyiv et du droit de Magdebourg, qui garantissait l'autonomie des villes, à l'organisation unique des Cosaques du Sitch de Zaporijia avec sa starshyna élue – ces exemples témoignent de notre propre penchant séculaire pour les formes directes de démocratie et de notre aspiration à vivre dans une communauté libre qui décide elle-même de son destin. La Commune, bien que tragiquement réprimée, a laissé derrière elle l'idée que la vraie liberté commence par la capacité du peuple à se gouverner lui-même.

3. La relance de l'autoritarisme sous la bannière de la «dictature du prolétariat»

Si la Commune de Paris fut une explosion spontanée de l'aspiration populaire à la liberté, la «révolution» bolchevique de 1917, sous la direction de V.I. Lénine, en fut l'exact opposé – une prise de pouvoir planifiée et méticuleusement organisée par une étroite élite du parti. Il est important de souligner que le «communisme» bolchevique avait peu en commun avec les idéaux socialistes démocratiques qui guidèrent la Commune de Paris. C'était un modèle fondamentalement différent. Lénine, malgré toute son admiration pour la Commune et son qualificatif de «grand exemple», utilisa en fait son image pour manipuler et justifier ses propres objectifs, radicalement différents. Il n'y voyait qu'une « première, mais infructueuse expérience de la dictature du prolétariat», qu'il fallait «corriger» par une discipline de parti rigoureuse et une centralisation totale du pouvoir.

Et c'est ici que nous nous heurtons au paradoxe central du régime bolchevique : sa soi-disant «dictature du prolétariat». En réalité, le prolétariat en URSS n'a jamais eu de pouvoir réel. Toutes les décisions étaient prises par une élite étroite du parti – la nomenklatura – qui agissait au nom des travailleurs, mais ne leur était jamais redevable. Cette imitation du pouvoir populaire dissimulait le système totalitaire le plus impitoyable. Des témoignages historiques confirment que les bolcheviks non seulement ne donnèrent pas le pouvoir aux travailleurs, mais réprimèrent aussi brutalement toute tentative d'auto-organisation ouvrière authentique. La révolte de Kronstadt en 1921 en est une preuve éclatante: marins et ouvriers, qui avaient eux-mêmes participé à la Révolution d d'Octobre, s'opposèrent à la dictature bolchevique, exigeant de vrais soviets sans communistes, la liberté de parole et de réunion. En réponse, Lénine donna personnellement l'ordre de réprimer brutalement le soulèvement, le qualifiant de «contre-révolutionnaire». Ce ne fut pas seulement un coup porté à la dissidence, mais un coup porté au prolétariat lui-même, au nom duquel les bolcheviks agissaient prétendument. La différence fondamentale avec la Commune est évidente: les communards cherchaient à étendre la démocratie, les bolcheviks à monopoliser le pouvoir; la Commune visait la décentralisation, les bolcheviks la centralisation maximale.

De plus, les discours sur l'«union volontaire» des peuples en URSS sont historiquement inexacts. La République populaire ukrainienne, comme d'autres États nouvellement créés – la Géorgie, l'Azerbaïdjan, la Biélorussie – ne s'est pas «jointe» à l'URSS. Comme le prouvent de nombreuses études, ils ont été occupés à la suite de guerres sanglantes menées par la Russie bolchevique. C'était une politique impériale d'agression, masquée en «libération». Ce processus violent différait radicalement du soulèvement spontané et interne de Paris, qui n'avait pas pour objectif l'occupation ou la conquête d'autres territoires. Ce sont précisément ces guerres qui ont conduit à la défaite de la République populaire ukrainienne et d'autres États nouvellement créés, forçant des milliers de leurs défenseurs à chercher refuge à l'étranger.

Le refuge ukrainien à Paris: Un témoignage contre le bolchevisme

Ainsi, lorsque la « révolution » bolchevique déferla sur l'Europe de l'Est, elle n'apporta ni liberté ni «dictature du prolétariat», mais seulement occupation et terreur. Des milliers d'Ukrainiens, qui luttaient pour un véritable pouvoir populaire et l'autodétermination nationale au sein de la République populaire ukrainienne, furent contraints de fuir. Où cherchèrent-ils refuge? Dans des pays qui, comme l'Ukraine, chérissaient la liberté. Et c'est la France, pays de la Commune de Paris, qui devint pour beaucoup d'entre eux un dernier refuge.

Le chef de la République populaire ukrainienne, Symon Petlioura, est enterré au cimetière du Montparnasse à Paris. Et à cent kilomètres au sud, à Chalette-Vesines, se trouve la fosse commune des soldats et des personnalités de l'UNR – vice-ministres, généraux, amiraux, colonels – qui ont donné leur vie pour l'Ukraine et furent contraints de chercher refuge en France. Ces hommes, qui estimaient la liberté plus que leur propre vie, n'auraient jamais fui vers la France si la «révolution» de Moscou avait été l'héritière idéologique de la Commune de Paris, véritable manifestation de l'aspiration à la liberté. Ils fuyaient précisément parce que le bolchevisme en était l'exact opposé: non pas l'auto-gouvernement, mais la dictature; non pas la volonté populaire, mais le contrôle total; non pas la libération nationale, mais l'occupation impériale. Leur présence sur le sol français est un témoignage muet mais éloquent de cette divergence fondamentale, qui doit être comprise par la communauté européenne.

La Commune comme "alibi" du totalitarisme soviétique

L'ironie du sort veut que cette fausse analogie entre la Commune de Paris et la révolution bolchevique soit devenue la pierre angulaire pour de nombreux Européens, en particulier les intellectuels et politiciens de gauche en France, dans leur perception de l'URSS et même du régime stalinien. Dans l'Europe d'après-guerre, cherchant de nouvelles voies de développement et luttant contre le fascisme, l'idée d'une «expérience sociale progressiste» aveugla souvent beaucoup. Pour eux, l'URSS était perçue à tort comme une réalisation «réussie» des idéaux de la Commune, un «État d'ouvriers et de paysans» construisant le socialisme. Cette illusion créait une dangereuse perception que le «communisme» soviétique, malgré toutes ses lacunes, était une expérience « propre », européenne, visant la justice sociale.

Cette fausse association a non seulement servi de couverture aux crimes du Kremlin, mais a également empêché de nombreux intellectuels européens d'évaluer adéquatement la véritable nature du totalitarisme soviétique. Des figures comme Romain Rolland, lauréat du prix Nobel et partisan de l'URSS, ou les engouements initiaux d'André Gide pour l'Union soviétique, ne sont qu'une partie d'un phénomène plus large qui a touché l'élite intellectuelle européenne. Le Parti communiste français (PCF), l'un des plus influents en Europe, a constamment promu le récit de l'URSS comme héritier légitime des idéaux de la Commune, justifiant ses crimes par la «nécessité révolutionnaire». Ils croyaient que le régime stalinien, bien que brutal, construisait le «socialisme» et la «dictature du prolétariat» qui avait échappé aux Communards.

4. De l'idéalisme à la désillusion et à la répression

De nombreux Ukrainiens, croyant aux idéaux de justice sociale et de libération nationale, souvent associés aux promesses d'un « vrai communisme », furent rapidement désillusionnés par la dictature bolchevique. Ils furent confrontés non pas au «pouvoir des travailleurs» promis, mais à un contrôle total et à la répression de toute dissidence.

Les destins de milliers d'intellectuels et de personnalités culturelles ukrainiens, connus sous le nom de «Renaissance fusillée», servent d'exemple frappant de cette désillusion et de la cruauté du régime. Ces personnes, au début du 20e siècle, pleines d'espoir pour des changements sociaux et un renouveau national, aspiraient à servir leur peuple et à construire une nouvelle société. Cependant, leur pensée indépendante, leur défense de la culture ukrainienne et leur aspiration à une véritable liberté étaient incompatibles avec le contrôle autoritaire des bolcheviks. Ils furent anéantis par le régime – fusillés, exilés au Goulag – pour leur position nationale et leur indépendance de pensée. Ce n'était pas la «dictature du prolétariat», mais la dictature de la nomenklatura du parti qui contrôlait tous les aspects de la vie.

Parmi ces figures tragiques, il y avait aussi bien ceux qui avaient initialement cru au pouvoir soviétique que ceux qui en avaient été immédiatement les opposants. Leur expérience montre comment le système détruisait toute manifestation de véritable liberté de pensée.

Cette rupture idéologique est magistralement mise en lumière dans le roman de l'écrivain ukrainien Ivan Bahriany, «Le Jardin de Gethsémani». L'œuvre, basée sur l'expérience personnelle de l'auteur qui a traversé les prisons soviétiques, est un témoignage documentaire du mécanisme de désillusion envers les idéaux bolcheviques. À travers les dialogues entre le héros Andriy Chumak et l'enquêteur Frey, le mensonge fondamental du système soviétique est dévoilé. Andriy exprime la désillusion de millions:

«Vous pensez que toutes ces personnes détestent le système et le régime... sont désillusionnées par la révolution... que de tous les idéaux de la révolution, il n'en est rien sorti ; que le sang versé par des millions a été vain, piétiné et souillé par un système de nouvelle exploitation, d'asservissement social et national, de phraséologie, d'hypocrisie, de dictature d'une minorité...»

Il déclare son credo sans compromis:

«Je ne reconnais pas la justice prolétarienne exercée par la violence et la répression! ...Et de même, je ne reconnais pas le socialisme construit par la prison et la balle. C'est ensemble que tout cela constitue mon credo.»

Le dialogue révèle que les «millions» de mécontents ne sont pas des « ennemis du peuple », mais le peuple lui-même. Et la réponse de l'enquêteur sur l'«histoire russe», qui connaît des cas où «la volonté de millions aveugles a été complètement brisée par la volonté de l'avant-garde», pointe directement la nature impériale et violente du pouvoir bolchevique. La culmination est la révélation cynique de Frey:

«L'avant-garde du parti...Oh! — Andriy... saisit une grande vérité...  — et l'avant-garde du parti, c'est vous

Frey... affirma:

Oui... Et nous n'avons pas de sentiments.»

Ce dialogue révèle directement que l'élite du parti déclarait ouvertement sa nature anti-populaire, dictatoriale et impitoyable. Les idéaux de la Commune n'étaient pas simplement ignorés, mais délibérément remplacés par des pratiques impériales et autoritaires. L'expérience ukrainienne le prouve clairement: le bolchevisme n'était qu'une nouvelle forme, encore plus sophistiquée, d'autoritarisme impérial, masquée par des slogans «rouges».

5. Repenser l'histoire pour comprendre le présent

En résumé, il est évident que la Commune de Paris et la «révolution» bolchevique sont des phénomènes idéologiquement opposés. La première fut une manifestation spontanée et pluraliste de l'aspiration à l'autonomie et à la liberté, tandis que la seconde fut une prise de pouvoir planifiée et autoritaire, simplement couverte par des slogans «rouges». L'expérience ukrainienne, de l'occupation forcée de la République populaire ukrainienne à la tragique prise de conscience de l'intelligentsia, comme le montre «Le Jardin de Gethsémani», le prouve clairement. Le fait que les combattants ukrainiens pour la liberté aient fui en France est un témoignage vivant que le bolchevisme était l'antithèse de toute aspiration à la souveraineté populaire, et non sa continuation.

Nous, Ukrainiens, qui avons traversé les horreurs du régime communiste, invitons l'Europe à réévaluer de manière critique les fausses associations du passé. La Commune de Paris n'est pas un drapeau transmis à Lénine et Staline. C'est une histoire complètement différente, l'histoire de votre propre aspiration européenne à la liberté, que la Russie a toujours cherché à déformer et à exploiter. Cette fausse association entre la Commune et l'URSS n'a pas seulement servi à couvrir les crimes du Kremlin, mais a également empêché de nombreux intellectuels européens d'évaluer adéquatement la véritable nature du totalitarisme soviétique et de comprendre ceux qui en ont fui.

Comprendre cette différence est crucial pour contrer la propagande russe moderne, qui tente encore de justifier ses crimes par des manipulations historiques. L'Ukraine, en tant que pays qui a survécu au génocide et à des décennies de totalitarisme sous le drapeau «rouge», a une mission unique: témoigner du véritable coût de ces idéaux et démanteler les mythes impériaux encore utilisés pour justifier l'agression. Notre voix est un appel à un regard plus profond sur l'histoire, non obscurci par les idéologies, où l'aspiration à la liberté se distingue toujours de l'aspiration au pouvoir.

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