Madame la Ministre,
Je vous adresse cette lettre ouverte, car il y a urgence !
Comme vous l’avez remarqué, les modalités de la révision de la carte du Réseau d’éducation prioritaire ont provoqué la colère des enseignants, des syndicats, des élèves et des parents d’élèves. Cette réforme, qui revêt une importance fondamentale pour le présent et pour l’avenir de nos enfants et de notre pays, est conduite sans consultation aucune avec les établissements concernés. Nous avons le sentiment que les situations concrètes de chacune de nos écoles sont ignorées par le rectorat et par le ministère.
Le nombre d’écoles retenues pour la sortie du Réseau d’éducation prioritaire sur fond de méconnaissance profonde, dramatique, des situations de ces écoles, me porte à croire qu’il s’agit là d’une concurrence sciemment organisée par le gouvernement. En définitif, le bénéfice du Réseau d’éducation prioritaire reviendrait à celui qui crie le plus fort, à l’image de votre courageux abandon de l’écotaxe sous la pression des Bonnets rouges. Nous refusons cette logique ! Des solidarités entre les différents établissements se sont organisées dans les quartiers, elles s’organisent désormais à travers tout Paris et la couronne parisienne. Elles ne tarderont pas à s’organiser à l’échelle nationale. Nous refuserons la mise en concurrence au niveau local, municipal, régional, national ! La révision de la carte géographique doit se faire en consultation avec chaque établissement qui souhaite se maintenir ou s’intégrer au dispositif sur les critères réels et tenant compte des situations sur le terrain.
Le mépris de la réalité dont témoigne l’organisation maladroite, autoritaire et, en définitive, anti-démocratique de cette réforme confronte nos écoles à une « ghettoïsation ». Nombre d’entre elles devront, d’ici 4 ans, être intégrées dans le Réseau d’éducation prioritaire sur les critères mêmes que vous avez retenus, mais tout espoir de mixité sera perdu pour longtemps. Or, nous tenons à cette mixité, au vivre-ensemble, au nivèlement des inégalités – inégalités qui progressent à une vitesse vertigineuse.
Dans notre arrondissement, comme dans tant d’autres, le groupe socialiste a tenté de faire passer la Convention académique de priorité éducative – le Réseau d’éducation prioritaire au rabais - en force au détriment du REP, alors qu’à aucun moment le contenu de la convention proposée n’a été détaillé. Ils tiennent des propos moralisateurs face aux élus qui défendent le Réseau d’éducation prioritaire pour nos écoles. Des propos indécents, car ils sont l’image même de la logique de deux poids, deux mesures que pratique le gouvernement.
En effet, le Crédit d'impôt compétitivité emploi et le Pacte de responsabilité dont il relève ne sont pas respectés par les entreprises et ne peuvent l'être! Chef d'entreprise moi-même, je peux vous dire que dans le contexte économique actuel, il est très difficile, voire impossible d'embaucher. En essence, le Pacte fait un certain nombre de gestes à destination des classes les plus démunies, d'un côté, et offre un cadeau pur et simple aux entreprises. Je suis tentée de dire qu'à défaut de leur proposer des emplois, le pacte achète le silence des pauvres, plus que tout autre chose.
Moralisons, alors : je me permets de vous rappeler que la majorité socialiste a récemment rejeté le projet de loi imposant aux multinationales les mêmes obligations en matière de transparence fiscale que celles appliquées désormais aux banques. La majorité PS nous tient des propos moralisateurs, mais refuse de faire de même avec les entreprises sous prétexte que celles-ci pourraient fuir. Mais qu'est-ce que l'évasion fiscale si ce n'est une fuite ? Les grandes entreprises profitent des avantages du Pacte, mais continuent à exiler leurs bénéfices dans les paradis fiscaux, avec les encouragements de la majorité socialiste. Cela signifie-t-il que vous êtes désormais hostiles à l'impôt ?
Après avoir offert 41 milliards d'euros aux entreprises en échange de rien si ce n'est des provocations en tous genres, l'État français en la personne d'Emmanuel Macron admet qu'il s'agit là d'un gâchis. Une fois que le gouvernement aura passé en force sa réforme du Réseau d’éducation prioritaire, d'ici quelques mois, nous direz-vous la même chose ?
Vous nous rassurez sur les moyens qui seront consacrés aux écoles exclues du dispositif, mais ne savez nous préciser les modalités de ce soutien - la Convention académique aux contours totalement opaques. Lors des dernières élections présidentielles en Russie, Vladimir Poutine distribuait des sandwichs aux électeurs les plus démunis. Pensez-vous que nous avons atteint un tel stade de misère sociale et de sommeil intellectuel que nous serons prêts à accepter un sandwich que vous nous tendez sans nous communiquer ses ingrédients ? Ou pensez-vous que le vote socialiste aux prochaines élections est inéluctable ?
Pour nous faire accepter ce projet, vous pointez, d’une part, les écoles soi-disant riches, dont le maintien dans le dispositif serait pour vous aberrant, et d’autre part, les établissements très pauvres qui méritent, indiscutablement, de rentrer en REP. Pour qualifier les écoles exclues du dispositif, certains élus utilisent le terme « zone grise ». Quel avenir nous proposez-vous – sommes-nous amenés à devenir une zone « noire », ou une zone « rouge » ? Ou deviendrons-nous la « zone » qui, par dégoût de l’amateurisme, de la trahison des engagements électoraux et de la surdité des dirigeants, se résout définitivement au vote blanc ?
Olga Chapou
Parent d’élève Paris 13e