Malgré l'effroi, je ne suis pas Charlie.
L’émotion est un très mauvais conseiller. La liberté de la presse est en danger quand on a le droit de dire et faire n'importe quoi. Au nom de la liberté de la presse, le FN, Zemmour et consorts jouissent (dans tous les sens du terme) d'un temps d'audience inimaginable dans nos médias. Pour eux, la liberté de parler ne suppose plus la capacité de penser, mais uniquement celle de vomir librement leur haine quand bon leur semble, avec l'aval des médias qui les invitent à ce faire, jour après jour.
Quant à l'humour de Charlie - ce n'est peut-être pas le moment, ou peut-être justement si: nous faisons tous des blagues outrées de temps à autre. Et nous savons tous que lorsque ces blagues blessent réellement nos amis, la réaction intelligente est de les cesser, du moins jusqu'à ce que nos amis, s'ils le sont vraiment, si nous souhaitons vraiment qu'ils le soient, parviennent si ce n'est à l'apprécier, du moins à comprendre que c'est de l'humour.
La guerre des civilisations oppose deux barbaries, car notre liberté n'est pas plus précieuse que celle de l'Autre. La liberté de chacun s'arrête là où commence l'aliénation.
Et sinon, en ces temps du spectaculaire à la Tarantino, je trouve qu'un ado scolarisé en France et expulsé EN MON NOM, et plus encore les familles rom, polonaises, françaises qui dorment tous les soirs dans le froid de nos rues n'ont rien à envier à l'horreur du massacre de Charlie.
Nous serons tous Charlie quand nous comprendrons qu'en acceptant le délitement de notre propre réalité nous assassinons la liberté. Le combat pour la liberté de la presse est indispensable. Et pourtant, la marchandisation de la presse qui, en grande partie, ne fonctionne désormais que par le gros titre, le spectaculaire et l'émotion, indiffère la population. Le Monde diplo reçoit moins d'aides à la presse que Closer et le Journal de Mickey. Tout comme Charlie Hebdo, il appelle régulièrement ses lecteurs à faire des dons pour assurer sa survie. Et tout cela, dans le silence quasi-unanime. S'il s'agit d'un combat, il ne faut pas que ça soit un combat d'un jour.
Les auteurs de l'attaque de hier étaient fous de penser qu'ils seraient ainsi parvenus à tuer Charlie. Mais nous, citoyens français pacifiques et émus, pourrions bien être témoins et complices silencieux d'un tel meurtre.