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Billet de blog 8 novembre 2014

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Pour une révolution linguistique

« Promis, j’arrête la langue de bois ! », nous disait en 2006 celui qui se trouve aujourd’hui sur le banc des accusés dans l’affaire de Bygmalion, société qu’une lettre seulement sépare de l’un des sujets centraux des Métamorphoses d’Ovide.

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« Promis, j’arrête la langue de bois ! », nous disait en 2006 celui qui se trouve aujourd’hui sur le banc des accusés dans l’affaire de Bygmalion, société qu’une lettre seulement sépare de l’un des sujets centraux des Métamorphoses d’Ovide.

« J’ai changé », nous disait en 2007 le dieu qui, inspiré, sans doute, par le même poème latin, se transforme inexorablement en un mortel politique.

« Le changement, c’est maintenant », nous promettait en 2012 celui qui ne nous a offert, à ce jour, que deux changements de gouvernement.

La métamorphose est toute mythologique, comique ou tragique, c’est selon.

Cette France « changée » compte aujourd’hui plus de 3,4 millions de chômeurs, soit 10,2% de la population active.

Exclus du champ professionnel, ils le sont également de toute représentation directe et donc du dialogue.

En l’absence de quantité et de qualité d’emplois, nous demandons à ces forces vives de se taire et de se mettre en hibernation (constat également valable pour l’ensemble de la population. Comme l’expliquait Dominique Rousseau dans le dernier live de Mediapart, l’ensemble du corps électoral ne parle aujourd’hui qu’à travers ses représentants étatiques. Lorsque le peuple prend la parole dans la rue, il est, au mieux, ignoré, au pire récompensé par des lois restrictives et des amendes pour outrage à agent). Pour qualifier cette partie de la population privée d’emploi et de parole, la France a choisi le champ lexical de l’assistanat. Or, le pays a besoin de toutes ces personnes qui sont autant de vaisseaux sanguins qui irriguent sa structure sociale. Leur demander de cesser de participer à l’alimentation de l’organisme social revient à condamner ce dernier au vieillissement prématuré, voire, à commettre un suicide collectif. Une structure représentative – syndicale, associative – dotée d’un véritable organe de parole lui permettrait, peut-être, de retrouver une « identité » (ineptie linguistique qui nous est devenue si chère) productive et d’avancer des idées aidant à sortir l’ensemble social de son marasme.

Peu après une minute de silence de 48 heures suite à la mort d’un manifestant âgé de 21 ans, le président a annoncé 15 000 emplois d’avenir pour les jeunes.

La jeunesse se croit immortelle, elle n’attaque pas le premier terme présidentiel avec pour principale préoccupation la recherche des moyens de remporter le second. La jeunesse invente et réinvente des mots et des mondes. À force de crier, elle apprend à parler. Mais au lieu de tendre la main et l’oreille à cette jeunesse intrépide, nous lui proposons un avenir sénile, emprisonné dans la spirale de la dette et du chômage sur une planète épuisée.

La confrontation lexicale est particulièrement âpre quand il s’agit de l’antagonisme patrons – salariés.

En effet, nombre de grandes entreprises se concentrent sur la santé des actionnaires, laissant de côté la santé propre des établissements productifs. Étrange reproduction du système parasitaire qui prive les organismes de leur liberté et laisse libre cours au parasitoïdes qui, sans forcément en faire leur unique objectif, mettent inévitablement leur hôte à mort. Une fois rognée la chair industrielle, on ne peut, effectivement, que s’attaquer au squelette de la force salariale.

Mais inscrire l’ensemble des entrepreneurs dans cette logique serait un peu caricatural.  Le modèle entrepreneurial, à l’instar du modèle politique français, repose sur la figure du patron (la disparition du PDG de Total en a offert une illustration brutale, en opposition nette avec la réaction face à la mort d’un jeune écologiste, si bien exprimée par l’Assemblée nationale devant Cécile Dufflot). Quand tout va bien dans les meilleurs des mondes, cela convient, peu ou prou, à l’ensemble de ce beau monde. Mais dans les situations de crise, comme celle que nous vivons aujourd’hui, c’est également du patron qu’on attend toutes les solutions et c’est le patron qui doit assumer toutes les responsabilités. C’est, probablement et sans forcément qu’ils s’en rendent compte, un lourd fardeau pour bien des entrepreneurs comme pour de nombreux gouvernants à différents niveaux étatiques.

Inscrits dans nos antagonismes de classe, nous nous sommes beaucoup moqués de cette France, coiffée du voile intégral du MEDEF ou du simple bonnet rouge, « qui souffre » aujourd’hui. Mais, en réalité, ses peines ne sont pas uniquement fantasmées ou exagérées. Cette France souffre, pour le moins, de son incapacité de sortir des stéréotypes de « genre » et de se projeter dans un nouveau modèle au moment où l’ancien s’est ostensiblement essoufflé.

Donc non, ce n’est pas une hérésie pour une démocratie qui se respecte de soutenir ses entreprises. Seulement, le vecteur de ce soutien est aujourd’hui parfaitement inversé. Ce sont les collaborateurs qui forment le plus grand et le plus fidèle des soutiens et que l’on s’efforce aujourd’hui (comme hier) d’aliéner par tous les moyens disponibles sur le marché pour concentrer nos efforts sur la fidélisation des consommateurs. Or, on voit bien dans le domaine du B2B que, dans les conditions d’une concurrence de plus en plus rude (lire bas de gamme), la fidélisation des clients professionnels passe avant tout par une éthique et une intégrité entrepreneuriale, seul moyen de résister à la simple quête du prix bas. Il en va de même pour la structure salariale des entreprises, quoi qu’on en dise lorsqu’on récite la doxa globalisée de l’optimisation des coûts.

Le modèle actuel pose le patron en tête de l’organisme entrepreneurial, soit. Mais, comme pour tout organisme non-microscopique (lire entreprise non-individuelle), le parton est la tête qui trône sur un corps. Ce corps lui assure sa position verticale et alimente le cerveau en oxygène et, bien souvent, en bonnes idées. C’est la raison pour laquelle le plan d’aide aux entreprises du gouvernement actuel ne peut qu’échouer – il ignore tout de la partie « inférieure » du corps social. Or, un corps sans les jambes est un corps handicapé, et un corps sans torse ni squelette est un corps mort.

Joseph Brodsky, écrivain et intellectuel russe, lauréat du prix Nobel de littérature, est le père d’une théorie qui prétend que la langue prédétermine la conscience. Dans notre monde peuplé de multiples éléments de langage, cette théorie s’avère, plus que jamais, juste et appropriée. Elle offre également une piste à explorer.

Nous devons insuffler une nouvelle dynamique linguistique qui viendrait remplacer la notion de marché du travail par celle, par exemple, de collaboration professionnelle. Il faut exclure de notre champ lexical et de notre conscience collective la notion même de patron, qu'il se trouve à la tête d'une entreprise ou aux commandes de l'État. Il faut remplacer la hiérarchie structurelle des entreprises et de l'espace politique par les notions de corps entrepreneurial et de corps citoyen, termes qui s’inscriraient dans la lignée du corps régalien, corps enseignant, corps scientifique, termes qui remettent les véritables valeurs souveraines à leur juste place parmi les organismes vivants. Mediapart est la parfaite illustration de ce corps dé-hiérarchisé et collaboratif. 

Il faut inventer un langage nouveau. Il nous permettrait, peut-être, d’éviter le chaos babélien et de réapprendre à dialoguer.

N.B.  Pour en revenir au sujet de la santé, la France, comme plus ou moins le reste du monde, semble avoir succombé à la gastro-entérite aigue. Dans un monde globalisé, cette maladie très contagieuse n’épargne que peu de corps résistants. Nous étions nombreux, au moment de l’élection de 2007, à essayer de nous rassurer à l’idée que nous rentrions dans une (éventuellement inévitable) période cathartique. En proie à la fièvre identitaire, la France vomissait, car elle avait besoin de se purifier. L’épidémie s’est avérée plus grave que nous ne le pensions. Aujourd’hui, la « malade » vomit de la bile. Rassurons-nous, une fois de plus, à penser qu’à ce stade, la guérison n’est plus très loin.

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