L’horreur qui sévit depuis le 7 octobre sur ce petit morceau de terre aux proportions bibliques et coraniques, invite, oblige à penser l’urgence et à envisager le jugement – celui des hommes en robe en attendant celui de l’Histoire. Il est la cristallisation du conflit que beaucoup veulent civilisationnel, alors qu’en réalité c’est le masque du monde dit civilisé qui tombe enfin, dénudant une vérité cruelle, vieille de plusieurs siècles – l’Orient, l’Occident, l’éternel recommencement d’une histoire ancienne. Mais il n’invite pas moins à penser le temps long.
Une bataille se joue actuellement pour une solution à deux États. L’Espagne vient de s’engager à reconnaître la Palestine avant la fin de la mandature actuelle, elle n’est pas la première. Le vice-président de la Commission européenne a même mentionné la possibilité d’imposer cette solution à Israël. Mais est-ce bien une solution viable ? La communauté internationale, qui ne cesse de se fourvoyer depuis des décennies, ne risque-t-elle pas d’imposer ainsi une non-solution, un prolongement à l’infini d’un conflit régional entre deux États gros de rancunes et de haines, perpétuant le jeu d’influences ou d’ingérences régionales, pour que ce petit lopin de terre continue d’être le théâtre de règlements de comptes et d’affrontements de puissances ? Shlomo Sand, qui a expliqué dans un entretien à Mediapart avoir milité pendant des années pour cette solution, n’y croit plus, pour des raisons qui lui appartiennent en tant qu’Israélien, et que je résumerai, pour ma part, ainsi : la Terre promise doit devenir la terre d’une promesse, je dirai même d’un nouveau mythe fondateur.
Le rôle des mythes dans la construction d’une nation n’est plus à démontrer. Tout comme il ne peut plus y avoir aucun doute quant au fait qu’Israël constitue bien une nation, même si certains pays refusent toujours de reconnaître l’État. La normalisation qui avait précédé le 7 octobre et qui en a été un élément déclencheur, se fondait, certes, sur des intérêts égoïstes, mais n’en était pas moins réelle. Mais sur quels mythes cette nation repose-t-elle ? Les mythes bibliques qui racontent les errances d’un peuple, la promesse divine, la bataille interminable pour un lieu qu’il pourra enfin appeler sa maison, puis… un double bain de sang. Exode, Shoah, Nakba. La terre promise est désormais conquise, mais le havre de paix ne s’est jamais concrétisé. Le pouvoir israélien ne cesse de corser la référence biblique en attendant la victoire, mythe fondateur de tant de nations, qui, elle, ne peut venir qu’au prix d’une extermination, d’une faillite morale, d’une abjection. C’est une mythologie de bout en bout nourrie de douleur et nourrissant la souffrance, une mythologie de terre maudite pour tous ceux qui l’habitent.
C’est pourquoi ce petit lopin de terre doit, à mon sens, assumer le rôle que lui assigne l’Histoire – celui d’une terre de promesse, celui du centre de notre monde, celui d’un seul État qui dépasse largement le cadre d’une nation. Un État où l’Orient et l’Occident pourront enfin enterrer la hache, renoncer à ce conflit « civilisationnel » stérile, et s’unir dans une étreinte qui, sans être immédiatement franche et sincère, tant les plaies sont profondes et les chairs meurtries, sera enfin civilisée.