La démocratie est dans le coma et, avec l’application d’un aide-soignant dévoué, nous lui administrons sa dose journalière d’hypnotiques et sédatifs.
Qu’il s’agisse de la dette, de la désindustrialisation, de la pensée unique ou de la récession, nous avons rendu possible cet état de choses, c’est bien un choix librement opéré par notre société.
Que l’on s’abstienne ou que l’on abandonne, il s’agit dans les deux cas d’un choix conscient. La société qui se pose en victime de ses politiques et de ses industriels est une société infantilisée.
C’est certes une très bonne chose pour l’éditeur d’Éric Zemmour, mais c’est un drame majeur pour la démocratie. Leon Wieseltier, éditeur littéraire de The New Republic, estime que, dans les sociétés démocratiques, gouvernées par les opinions de leurs populations, un citoyen qui ne pense pas est un délinquant.
Le confort de la pensée unique est un leurre, un habit vendu comme exceptionnel au roi qui finit par se promener à poils.
La Bible pose les prémisses de notre fainéantise intellectuelle : sitôt le premier choix démocratique accordé à Adam et Ève exercé par ces derniers au moyen d’un fruit, l’exercice est puni par le Tout-Puissant et les malheureux gourmands sont poussés à l’exil. Seul le confort du Père autoritaire est en mesure de nous garantir le paradis. Depuis, à chaque nouvelle élection, nous attendons le Messie. Et finissons par voter pour le Joueur de flûte de Hamelin. Hélas, une société infantilisée compromet l’avenir de ses enfants.
Ainsi, nous devons penser.
Nous ne pouvons le faire en des termes utopiques – la construction de la société doit venir de la base et non d’un homme loufoque avec un tas de cheveux (ou une calvitie prononcée) et une barbe, quels que soient cet homme et ses nobles intentions.
Le choix de la société ne doit pas non plus être opéré par les masses – il y a à peine 75 ans, les masses marchaient sur une grande partie du continent eurasiatique et au-delà, avec le succès que nous sommes tentés d’oublier un peu trop facilement. Les masses produisent le mal de tous, le bien commun doit être construit par l’ensemble des individus et pour tous les individus.
Chaque individu doit assumer sa responsabilité singulière à l’égard de tout ce qui se passe. Ce sont les individus qui composent la société – celle-ci ne peut leur être imposée, sinon elle risque d’être vécue comme une forme douce de tyrannie à laquelle on répond, comme il se doit, par des caprices à la « Bonnets rouges » ou « Manif pour tous ».
Le rêve soviétique a, à de nombreuses reprises, viré au cauchemar. Le sympathique barbu qui a écrit les lignes du Capital pensait, espérait, qu’un jour les individus seraient capables de s’élever au point de pouvoir se passer de l’État, mais l’URSS a décidé d’abandonner ce noble idéal au profit de l’éradication de la notion même de l’individu, avec le succès que l’on connaît.
Le rêve capitaliste est lui aussi irréaliste, car il repose sur l’égoïsme de chacun et on finit par se prendre la main invisible du marché en pleine tête pour parler poliment.
Tout comme l’armée de chômeurs que nous avons créée en abandonnant l’inflation au seul privilège du capital et qu’aujourd’hui nous traitons allégrement de profiteurs, fainéants et assistés, les milliards d’euros qui s’évaporent dans les niches et paradis fiscaux (le paradis fiscal est un choix linguistique qui mérite une réflexion à lui tout seul) sont le résultat direct des politiques économiques que nous avons validées au fil de très nombreuses années. Que nous opposions les méchants assistés aux gentils patrons appliqués et méritants ou les méchants riches à leurs victimes paupérisées à force de délocalisations et de plans sociaux, le clivage s’opère sur un présupposé d’impuissance et d’incapacité de faire changer l’état des choses. E la nave va. Droit dans le mur et en klaxonnant. L’ascension du FN est jugée inexorable, tout comme la suppression du système des retraites dans un avenir prévisible, « l’avancée » néo-libérale partout dans le monde, la débâcle climatique et tout un éventail d’autres délices macabres.
Nous nous laissons aller, car c’est effectivement plus simple que d’avoir le courage d’admettre que nous sommes les seuls responsables de cette situation.
Pourtant, la capacité d’admettre ses erreurs et d’avancer est le plus grand, voire l’unique signe de maturité pour un individu et pour une société. Sans remords, car le passé doit nous servir de leçon et nous permettre d’éviter sa répétition ad nauseam. Sans regrets, car l’avenir doit être envisagé avec le frétillement, l’impatience optimiste et non la culpabilité d’un conducteur poursuivi pour homicide involontaire. Sans nostalgie, car l’Âge d’or n’est après tout qu’un mythe – votre boulanger du quartier sait, sans doute, fabriquer du pain qui n’a rien à envier à la baguette d’antan.
Avec détermination, joie, fierté et responsabilité. Et surtout, sans Papa, sans homme providentiel et sans monarque.
Une nouvelle république est à construire.