« La France incarne tout ce que les fanatiques religieux haïssent : la jouissance de la vie ici, sur terre, d'une multitude de manières : une tasse de café qui sent bon, accompagnée d'un croissant, un matin, de belles femmes en robes courtes souriant librement dans la rue, l'odeur du pain chaud, une bouteille de vin partagée avec des amis, quelques gouttes de parfum, des enfants jouant au jardin du Luxembourg, le droit de ne pas croire en Dieu, de ne pas s'inquiéter des calories, de flirter et de fumer, et de faire l'amour hors mariage, de prendre des vacances, de lire n'importe quel livre, d'aller à l'école gratuitement, de jouer, de rire, de débattre, de se moquer des prélats comme des hommes et des femmes politiques, de remettre les angoisses à plus tard, après la mort. Aucun pays ne profite aussi bien de la vie sur terre que la France. Paris, on t'aime. Nous pleurons pour toi. Tu es en deuil ce soir, et nous le sommes avec toi. Nous savons que tu riras à nouveau, et chanteras à nouveau, que tu feras l'amour, et que tu guériras, parce qu'aimer la vie fait partie de ce que tu es. Les forces du mal vont reculer. Elles vont perdre. Elles perdent toujours. »
Voici le commentaire d’un internaute américain qui circule depuis hier sur les réseaux sociaux.
On pourra objecter que cette réponse est puérile et qu’elle néglige les réalités de notre grisaille, qui ont tant frappé Virginie Despentes à son retour d’Espagne. Pourtant, c’est bien tout cela que Paris, plus que n’importe quelle autre ville du globe, représente dans l’imaginaire collectif mondial.
Or, la mort de l’humanité est d’abord celle de l’imagination. Ne plus imaginer l’avenir. Ne plus imaginer un ailleurs, comme le font les réfugiés qui embarquent sur des canaux pneumatiques au péril de leur vie. Ne plus imaginer la paix. Ne plus imaginer la vie sous tous ses aspects les plus jouissifs. Ne plus imaginer de « Nous ». C’est aussi, surtout, à cela que s’attaquent les jeunes radicalisés qui abandonnent leur vie pour rejoindre les rangs de l’État islamique, "État" qui n’a que la morbidité comme horizon possible, que l’abandon absolu de la liberté déguisé sous l’habit de l’islam comme proposition politique. Ces Français radicalisés, nés en notre sein, abandonnent la vie qu’ils ne sont plus capables d’imaginer.
Pourquoi ? La réponse est sans doute autrement plus complexe, pourtant, reste que avons démontré, encore et encore, notre incapacité d’imaginer un avenir digne pour les pays que nous avons prétendu secourir. Nous avons choisi les bombes, la destruction et le chaos. Aujourd’hui, nous choisissons les dictatures qui écrasent dans l’œuf la possibilité d’avenir que les pays du Printemps arabe ont imaginé pour eux. Nous choisissons, toujours et encore, la logique, pragmatique et économique, des bombes et des rafales. Tout comme sur notre sol nous choisissons la logique pragmatique et économique de la rigueur et, in fine, de la division.
L’affrontement d’aujourd’hui n’est pas une guerre des valeurs, c’est un affrontement entre deux TINA. Le message envoyé au monde avec ces attentats sur le sol parisien s’adresse peut-être bien plus aux populations vivant sur les territoires ensanglantés et disputés par l’EI qu’à nous-même. N’imaginez pas un autre lendemain - le califat et la fin du monde que l’EI s’emploie à mettre en scène, car à travers l’usage permanent des images morbides sur Internet, c’est bien l’imaginaire collectif qui est visé, sont l’unique avenir possible pour vous, there is no alternative.
Et donc pourquoi Paris, qui s’est montré bien moins généreux avec les réfugiés que Berlin, par exemple ?
Paris, parce que cette ville refuse de cesser d’imaginer la joie de vivre à tout instant. Paris, parce que son histoire est celle de l’accueil résolu des Espagnols fuyant Franco, des Chiliens fuyant Pinochet, des boat people. Mais Paris aussi parce que c’est ici, en France, que le schisme humanitaire est le revers le plus effrayant de ce passé déterminé et animé par une vision. Parce que notre pays se déchire entre les partisans de la force pure, représentée aussi bien par le Front National que par Manuel Valls et Bernard Cazeneuve, et les partisans de nos véritables valeurs – accueil, ouverture et vivre-ensemble - cette identité, imaginée naguère et aujourd’hui par nous, les Français venus, un jour ou l’autre, du monde entier.
C’est cette brèche entre #portesouvertes de la nuit des massacres et les portes fermées que nous offrons aux réfugiés que l’État islamique s’efforce à transformer en gouffre sans issue.
La réponse apportée par nos gouvernants, ici et ailleurs, est le choix de la force pure. C’est donc plus que jamais notre devoir collectif, en tant que représentants d’un autre avenir dans l’imaginaire mondial, illustré, encouragé par les images de tous ces bâtiments publics éclairés aux couleurs de la France, de choisir l’imagination. Imagine, comme a si bien répondu le pianiste venu rendre hommage aux victimes devant le Bataclan.