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Billet de blog 19 juillet 2014

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#GAZAMANIF 19 Juillet

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#GAZAMANIF 19 Juillet

15h15 Barbès. Nous rejoignons un cortège calme - sous le soleil éclatant, il paraît presque festif. La foule scande, tour à tour, « Israël assassin, Hollande complice », « Palestine vivra, Palestine vaincra », « Nous sommes tous des Palestiniens ». Le dernier slogan me fait presque venir les larmes aux yeux, mais je me ressaisis – je suis une férue du ricanement post-moderne.

Je suis venue ici comme à une manif LGBT, en tenue estivale - robe courte et nu-pieds - qui s’avérera vite être totalement inadaptée à la situation ; sans crainte, car nous avons la marge de deux sommations et je suis persuadée de pouvoir partir dès qu’on nous le demande.

Mon mari récupère un autocollant orange « Boycott Israël ». Je n’en veux pas. Je le boycotte à titre personnel, mais je sais que les sanctions contre la Russie ont attisé la rage moyenâgeuse des Russes et font grimper la popularité de Poutine. Je veux la paix en Palestine, quitte à ce qu’on passe l’éponge sur tous les crimes d’Israël qui s’obstine à nous faire croire que Gaza est leur Goliath. 

La politique d’Israël en Palestine m’emplit de rage. Les cris d’encouragement du public venu assister au massacre des familles palestiniennes dans le confort de leurs transats me donne envie de vomir. Mais il faut être honnête – c’est l’interdiction de manifester qui me pousse à rejoindre ce cortège disparate.  Je veux bien être une national-traître en Russie, mais nous sommes encore en France et j’ai confiance en ses institutions. Même la police. Je reste persuadée que s’ils nous l’ordonnent, je pourrai partir sans aucune difficulté.

Ça ne dégénère pas. Aucun slogan antisémite. Nous sommes derrière la NPA.

Je ne crie pas : je ne suis pas une militante. Je préfère poster des messages ironiques sur les réseaux sociaux, dans le voisinage fainéant de mon chat roulé en boule sur le lit à mes côtés. Je suis une intellectuelle imbue de ma personne, pas une combattante. 

Une demi-heure plus tard, nous sommes vers le milieu du cortège, celui-ci s’arrête à peine à 500m du point de départ. Nous décidons d’avancer un peu plus vers la tête du cortège, mais la police commence à charger pour essayer de repousser les manifestants. Nous nous remettons à côté de la NPA qui commence à former un bouclier humain.

Quelques minutes plus tard, on entend des bruits de pétard. Je demande à mon mari, Sébastien, si ce sont les fameuses sommations. Je finis à peine ma phrase quand la foule est traversée d’un mouvement de panique. En quelques secondes, nous sommes en larmes. L’odeur est agressive et nauséabonde. Je n’ai pas de Rolex, mais avant l’âge de 40 ans j’ai goûté ma première lacrymo – je peux être fière. J’ai peur.

La foule court vers le métro. Nous courons avec elle. Le métro est juste à côté, tout le monde se bouscule. Mais l’accès est bloqué, nous devons nous replier dans les rues adjacentes.

Un commerçant du quartier a filé une brique de lait à deux jeunes hommes. Ils la partagent avec nous. Ça calme un peu les yeux et le visage. Nous avançons encore un peu pour nous éloigner de l’épicentre. Je suis prête à partir – mon devoir vis-à-vis de ma conscience et de mon esprit de désobéissance est accompli. Mon chat m’attend.

Au bout de la rue, 300m plus loin, nous tombons sur un barrage de police. À nos côtés - des hommes et des femmes gazés, derrière moi je crois apercevoir un gamin du cortège – certains sont venus à la manifestation avec des enfants et même des poussettes. En rang serré, la police ne prononce pas un mot et ne laisse passer personne. Pas même cette vieille femme qui brandit sa pièce d’identité et explique qu’elle n’a rien à voir avec nous. Sébastien négocie avec la police pour qu’ils la laissent passer, les policiers restent imperturbables. La femme tente de passer de force, ils la repoussent.

Je demande : « Pourquoi vous ne nous laissez pas partir ? ». La police reste bouche cousue.

Je m’aperçois que la porte d’entrée de l’immeuble à ma gauche est ouverte. Après une minute d’hésitation, je décide de m’abriter. Nous entrons dans l’immeuble, une vingtaine de personnes s’amassent déjà dans le petit hall. Sébastien me fait signe de monter dans les escaliers, alors que lui reste à la porte. J’ai peur, je monte.

Je monte assez haut. Je n’ai pas peur d’être arrêtée, ni même de l’éventuelle amende de 15 000 euros que je ne pourrai pas payer. J’ai peur de la panique que j’ai vue dans les yeux des manifestants en fuite. Je n’ai aucune envie d’être écrasée dans un hall d’immeuble à Château Rouge.

Sébastien ressort dans la rue et disparaît derrière la porte qui se referme. J’appelle, j’envoie frénétiquement des textos. Il finit par répondre qu’il est dans un autre immeuble. Quelques minutes plus tard, le hall se vide. « On peut partir ». « We can leave now », - une famille anglophone s’est retrouvée dans le quartier, visiblement par hasard. J’attends. Je sais désormais que la police est, pour moi, imprévisible. J’ai peur, je ne peux pas courir longtemps avec ces foutus nu-pieds. Mes jolies sandales orange sont toutes neuves, je n’ai pas envie qu’elles s’arrachent. J’ai encore le visage qui brule, je n’ai plus envie de gaz. Sébastien vient me chercher pour m’amener dans son immeuble. 

Le commerçant de la boutique en bas de son immeuble m'accueille avec une bouteille d’eau. Des gaz à nouveaux. Je rentre dans la cour à l’arrière de cet immeuble. Une femme avec une petite fille d’à peine 4 ans entre dans le hall. La petite ne semble pas effrayée. Je lui propose un carnet pour dessiner, mais la mère sourit et répond: « On a des bonbons, on ne s’ennuie jamais quand on a des bonbons ».  Ils étaient en route pour rentrer chez eux – visiblement la jeune femme n’était pas au courant de la manifestation. Elle profite de l’accalmie et décide de tenter sa chance. Sa petite dans ses bras, elle sort de l’immeuble. Le barrage policier s’est entretemps déplacé dans la rue adjacente. Quand la jeune femme s’approche de la police, une bombe lacrymogène éclate à quelques mètres devant elle et la petite se met à hurler. Sébastien me fait signe de retourner dans le hall de l’immeuble et suit la jeune femme sur quelques mètres. Je l’attends devant l’immeuble, il revient et me dit que la mère et sa fille ont réussi à partir.

Nous attendons encore un peu. Je n’ai soudainement plus du tout envie de rentrer voir mon chat. On traine dans le coin, Sébastien prend des photos. Il veut retourner sur le boulevard – il est dopé à l’adrénaline.

On remonte vers Château Rouge. Il y a plein de flics, mais c’est assez calme.

Devant moi, une femme voilée peine à respirer et tremble comme une feuille. Nous sommes plusieurs à l’entourer et essayer de la calmer. Elle finit par réussir à nous expliquer que sa fille de 6 ans est dans le métro toute seule. Elle est au bord de la crise de panique, littéralement secouée. On l’accompagne vers le métro et Sébastien la remet à la RATP qui la laisse entrer pour chercher sa fille.

Je vois une jeune femme recouverte de suie sortir du métro, assommée.  Je lui demande si ça va, elle m’explique que le métro s’est arrêté dans le tunnel et, très vite, sa rame était remplie de gaz. La RATP a fait sortir tout le monde du métro par le tunnel. Elle n’est pas tombée, ce n’est pas une manifestante, elle s’est salie sur les voies. Les gaz ont fait paniquer les voyageurs, ils s’en sont pris au conducteur qui est venu débloquer les portes. Visiblement, les passagers ont tenté d’empêcher la femme voilée d’être séparée de sa fille et n’ont pas réussi. ELLE N’A PAS OUBLIÉ SA GAMINE DANS LE MÉTRO. (Vous comprendrez maintenant pourquoi j'ai parlé de son voile qui, pour moi, est un détail sans importance).

Nous restons là encore un peu. Des chaussures solitaires sont éparpillées par-ci par-là. Des centaines de cadavres de bombes lacrymogènes jonchent le boulevard. Nous en prenons une en souvenir.

Au loin, il y a un barrage de police et des gaz. À nos côtés, des passants filment, quelques touristes se baladent. Deux jeunes Américaines sont descendues du Sacré-Cœur quand elles ont vu un nuage de fumée en bas. Elles s’essaient au reportage et posent quelques questions aux passants. Je discute avec elles pendant que Sébastien s’approche un peu du barrage policier pour prendre des photos. Il revient quelques minutes plus tard, les yeux en larmes. Il n’est pas allé loin, trop de gaz. Il est 18h et des poussières, on décide enfin de partir. La LDJ serait postée derrière le barrage policier recouvert d’un épais nuage de fumée lacrymogène. Ce n’est plus une manifestation pour la paix, nous n’avons plus rien à faire ici.

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