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Billet de blog 20 mai 2016

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Histoires Caviardesques 4

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IV.

Rien ne va plus au royaume des Goths. Les jambes de Sleipnir s’emballent et piétinent les corbeaux, aveugles et sourdes à tous les augures. Vous allez encore penser que la digue diaphane de mes émotions a cédé à la poussée hormonale. Mais j’exagère même pas.

Mon frère a pris la décision, immuable, d’intégrer la garde nationale. Désormais, dès qu’on ose la moindre remarque sur le président ou sur notre piètre situation économique, mon frère dégaine la fatwa de la cinquième colonne, à la grande joie de papa, ce pilier titubant de la morale familiale. Maman est à moitié en panique, à moitié en aporie. Les mères de mon pays se figent d’angoisse à la moindre mention d’un corps militaire pour leurs fils. C’est que trop souvent, elles n’auront pas le droit de voir les deux trous rouges au côté droit, car leurs enfants seront embaumés de zinc. Maman s’est à peine remise du service militaire de ce pauvre boulet et vlà que ça recommence. Ma conne de sœur aussi est moyennement ravie, elle qui affectionne particulièrement les agents de l’étranger. Mais depuis que mon frère s’est mis à bander en permanence devant le rêve libidineux de la grandeur de sa nation, ma sœur redoute ses réactions. J’te jure…

Je ne dis plus rien, déjà que c’est une gageure d’en placer une dans ce repaire de profanateurs du verbe. Qu’est-ce qu’ils peuvent être volubiles devant l’écran de télé qui leur crache la messe quotidienne de bucolisme martial ! Devant ce spectacle eucharistique, ça ricane comme une bande de hyènes. Et moi, j’ai de plus en plus le sentiment d’être un avion disparu des radars. Vole, vole papillon. Tu vas t’écraser la gueule en pleine mer au bonheur des espadons shootés au mercure et au plastique. L’opium des fonds marins, belle destinée. M’en fous, au moins, j’aurais pris le large. Toujours mieux que se gogoliser en âme morte, comme le fait tout ce camp de patriotes zombiesques qui me sert de pays.

T’manière, ça sert à rien de discuter. La Terre entière combat le terrorisme et mon frère est soufflé par la cause universelle. Et personne ne songera à rassurer ma mère en expliquant que la prétendue noblesse de cette intention se réduira à tabasser les pauvres illuminés qui revendiquent ici le droit de rêver à un monde meilleur.

Ma copine Jeanne est passée me rapporter les dernières nouvelles du front de récréation. Elle est sympa Jeanne, je dis pas. Mais bon dieu sans confession, qu’est-ce qu’elle est rangée ! Avec sa manie de plier méticuleusement le papier d’alu de son sandwich, je me dis qu’elle finira un jour par égorger quelqu’un.

Evidemment, Im Westen, rien de nouveau. Mes copains de classe sont toujours aussi débiles, l’idiot en chef deale toujours son shit aux gones imbus de ce personne, la prof d’anglais confond toujours la plage et les putes et le plafond de notre classe menace toujours de décimer les jeunes filles en boutons et les caïds imberbes. Mais désormais, c’est la faute à Obama. Me voilà rassurée.

Pendant dix ans, l’école s’est évertuée à m’apprendre toutes les règles de bonne conduite. Comment écrire, comment compter, comment brandir l’histoire dans les grands offices nationaux. Pourtant, autour de moi, les adultes marchent en rang, mais ne savent même pas conjuguer la vie au pluriel. Chacun s’arrête au bout de son nez et papa est régulièrement bloqué au niveau du cartilage. À quoi bon avoir appris toutes les grandes dates quand on sait que les élèves sont à moitié des futures escortes en aiguilles compensées et à moitié des bombes nucléaires à très gros retardement ? Heureusement que je n’ai plus à côtoyer ces cobayes de la reproduction sociale. Si seulement ma sœur pouvait me lâcher la grappe et se contenter d’avaler ses grands cépages…

Tiens, là voilà qui rentre du boulot avec la tête d’une cocotte-minute à la soupape bouchée au chewing gum. Un regard furtif dans la cuisine et le bouchon a enfin lâché.

- Putain, tu pouvais pas finir les pommes ? Je me casse le cul à acheter des fruits et à chaque fois, vous attendez qu’ils pourrissent. À quoi tu sers, bordel ?

- (Sombre conasse, je vais la bouffer ta pomme. Tu verras comment on va tous rigoler quand nos attilas en herbe se rendront compte qu’il suffirait d’une feuille de coca pour cacher leur virilité outrancière.)

Bon, elle a peut-être raison ma sœur. Un jour, faudra qu’elle arrête de se casser le cul. Sinon, ses Italiens finiront par se lasser de ses tours de reins.

Maudit chewing gum…

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