Dans mon précédent billet, écrit sous forme de pamphlet volontairement ahuri, je m’attaquais à un sujet dont la valeur symbolique a été confirmée, quelques jours plus tard, par le rattachement de la question féminine au ministère de la Famille et de l’Enfance. C’est un triste symbole, un aveu déplorable d’abandon, peu reluisant pour une république qui a donné au monde de grands noms féminins dans les sciences, la littérature, l’art et la culture.
Sans que je cherche aujourd’hui à minimiser ce problème national majeur, un autre vient s’y ajouter et s’y entremêle de manière plus dramatique encore. Si la femme dans la société française sert aujourd’hui de variable d’ajustement, comme en témoignent les discours pompeux sur l’égalité des sexes dans nos instances politiques (ou, outre-Atlantique, de manière plus symbolique encore, dans la prochaine élection présidentielle aux Etats-Unis), l’homme arabe est le grand absent dans notre système de représentation citoyenne.
La femme arabe est au coeur de notre combat sociétal. Sa défense à travers tout un éventail d’interdictions est une bataille menée tambour battant par les politiques publiques. Perçue en premier lieu comme victime de traitement dégradant par ses pairs masculins, elle devient notre protégée : nous épousons sa cause, assumons ce combat et l’acceptons assez facilement dans les instances représentatives, car cela revêt une importance civilisationnelle pour celles qui, autrement, se verraient réduites au voile et au couscous. Certes, le rôle de nos ministres issues de la diversité se résume principalement à présenter des réformes qui leur vaudront toute notre haine au lendemain de leur nomination, comme cela a été tout récemment le cas de Myriam El Khomri (est-ce, d’ailleurs, au nom de l’égalité citoyenne que nous étions censés avaler plus facilement la dose nocive de chimiothérapie appliquée au code du travail ?), mais leur présence même au gouvernement ou dans les étages politiques locaux ne choque plus.
Les statistiques ethniques en France font cruellement défaut, nourrissant par là même tous les fantasmes, mais les Français d’origine arabe semblent représenter environ 10% de la population française, il est donc à supposer que les hommes arabes en représentent environ 5%. Ces 5 % cumulent la grande majorité de nos incarcérations et contrôles au faciès et cristallisent nos tensions politiques avec ce qui pourrait leur valoir une révision constitutionnelle, ni plus ni moins. Mais toujours aucun ministre.
Seul nom un peu connu, Azouz Begag, présente une biographie Wikipedia édifiante. Je ne connais pas l’homme ni la valeur de sa carrière politique, mais il cumule refus et rejets, tant par la gauche que par la droite, dès ses premières tentatives de représentation et ne bénéficiera que d’un bref passage sur le devant de la scène nationale au sein du gouvernement de Villepin. Son rôle de ministre délégué chargé de la Promotion de l’égalité des chances est un souvenir lointain, tout comme l’objet de sa mission. Les hommes arabes ont toujours plus de chances de se retrouver derrière les barreaux que dans les instances dirigeantes et représentatives de la République.
D’une certaine manière, les hommes arabes occupent dans notre société une place subalterne par rapport aux femmes. Ils forment la caste des intouchables, on leur refuse toute forme d’honneur. Nos discours progressistes portent souvent sur l’islamophobie, mais quelle peur prétendent-ils cerner ? Les enfants qui échouent sur nos plages suscitent l’indignation ou l’indifférence. Les femmes voilées suscitent la pitié ou l’indifférence. Seul l’homme arabe provoque la peur, à la manière d’un ogre qui voudrait nous manger, mais qu’on parvient, tant bien que mal, à calmer grâce aux allocations.
Si la femme arabe s’intègre facilement, par exemple, par la voie civilisatrice du mariage interethnique qui l’arrache à l’emprise religieuse, l’homme arabe est inconsciemment perçu comme porteur héréditaire d’une culture qui, et c’est ironique, nous semble suffisamment puissante pour refuser l’acculturation. La domination « inclusive » peut s’exercer sur la femme, l’homme arabe est voué à être dominé tout court. Ça en dit long, d’ailleurs, de la vigueur de notre propre culture qui, naguère, se nourrissait de la civilisation orientale, mais qui, aujourd’hui, est incapable ne serait-ce que de la reconnaître comme telle. On en est réduits, presque littéralement, à la bataille entre charcuterie et œnologie, quand ce n’est pas ouvertement pinard et saucisson, et viande halal.
Dans son roman Les Sauvages, Sabri Louatah, jeune écrivain stéphanois d’origine arabe à la plume aussi poétique que précise, imagine l’élection d’un arabe à la présidence française. Rapidement, ce président à peine élu fait l’objet d’un attentat et échappe de justesse à la mort. N’ayant pas encore lu le dernier volet de la saga, je ne connais pas l’issue de cette histoire, mais elle s’annonce bien sombre. En attendant, de non-lieu en non-lieu, la mort violente des arabes français est désignée comme naturelle dans les chroniques policières et judiciaires. Ils sont un non-lieu. Ils occupent une place prépondérante dans notre imaginaire – à tout moment, ils sont susceptibles de nous voler, voiler, violer ou massacrer, ils sont partout. Ils sont partout, mais quand je les cherche, je ne les trouve pas.