Nous sommes les parents des élèves scolarisés dans l’école élémentaire située au 173 rue du Château des Rentiers, Paris 13 - école avec ses joies, ses peines, ses fêtes et ses difficultés. Une école publique comme une autre, en somme. Le directeur de notre école est un homme compétent et engagé. Je ne sais s’il fait l’unanimité auprès des parents, mais j’ai de fortes raisons de croire que oui. Nous avons une équipe pédagogique compétente et engagée. Je ne vais pas me répéter jusqu'au bout : repetitio est mater studiorum, mais l’histoire est un éternel recommencement, et notre histoire ne fait pas exception.
Notre histoire est celle du Réseau d’éducation prioritaire que nous souhaitons rejoindre de tout cœur. En effet, notre école enregistre depuis 2012 des variations considérables du nombre total d’élèves : nous sommes ainsi passés de 254 élèves en 2011/2012 à 346 en 2014/2015. L’école impute ces augmentations au nombre de nouvelles familles nombreuses bénéficiant de logements sociaux, maints dans notre quartier. Entre 15 et 30% des enfants scolarisés dans notre école bénéficient de projets personnalisés de réussite éducative, d’aide pédagogique complémentaire, de suivi RASED et d’interventions de l’assistante sociale scolaire.
Ces chiffres me paraissent très alarmants, mais ils sont tout nouveaux pour moi, je ne prétendrai donc pas à pouvoir les décrypter ni à les confronter à la moyenne nationale.
En revanche, les tranches tarifaires 1 à 3 (les plus faibles) regroupent plus de 38% des élèves (les tranches 1 à 4 – 68,88%) et le taux de parents sans profession s’élève chez nous à 15,7%. Ces deux chiffres sont importants, puisque ce sont les données statistiques que l’Éducation nationale retient pour statuer sur l’inscription éventuelle d’une école en Réseau d’éducation prioritaire (REP).
Nous avons appris tout cela il y a à peine deux jours, suite à une réunion d’école un peu inhabituelle. En effet, le 20 novembre dernier, notre établissement était en grève. L’équipe enseignante avait de bonnes raisons de croire que nous pourrions, devrions, bénéficier de l’inscription en REP et a été la seule gréviste à Paris. Au cours de la rencontre avec le rectorat le 20 novembre également, ce dernier a confirmé que les conditions étaient réunies pour que notre école bénéficie du dispositif, mais qu’elle ne pourrait le faire faute de moyens. En effet, le REP compte sur une enveloppe budgétaire qui est distribuée entre les différents établissements parisiens. Le rectorat avait souhaité revoir la carte géographique de cette répartition et en avait averti les écoles bénéficiant actuellement du dispositif, sans en dire mot à celles qui pourraient y prétendre désormais. La forte mobilisation des écoles classées en REP a permis à un grand nombre d’entre elles de conserver l’étiquette prioritaire. Et c’est tant mieux.
Seulement voilà : l’enveloppe budgétaire étant fixe, les écoles souhaitant profiter du dispositif et ayant tout récemment appris l’existence de cette possibilité se retrouvent en concurrence – sans doute, la conséquence d’une piètre organisation plutôt qu’une stratégie réfléchie de la part du rectorat, mais une conséquence cruelle et rageante par son absence de bon sens. L’enveloppe budgétaire est, elle aussi, dépourvue de sens, puisque les critères retenus par l’Éducation nationale pour le classement en REP – le nombre de personnes aux tarifs 1,2 et 3 ainsi que le nombre de parents chômeurs – battent en brèche la logique de l’immuabilité précieuse de cette même enveloppe. Depuis quelques années, la paupérisation en France affiche un taux de croissance qui pourrait être envié par n’importe quel actif financier et le chômage est endémique.
Il est vrai que le budget de notre beau pays n’est pas en forme. Vous direz que je refuse de me rendre à l'évidence - en l'occurrence économique et budgétaire - et vous aurez raison. L'évidence est pour moi de la même nature que la langue pour Barthes - tout simplement fasciste. L’évidence permet (pour emprunter, une fois de plus, des paroles de Barthes) de comprendre comment une société produit des stéréotypes, c’est-à-dire des combles d’artifice, qu’elle consomme ensuite comme des sens innés, c’est-à-dire des combles de nature. L'idiosyncrasie loufoque de mon caractère fait, par ailleurs, que je refuse ou, du moins, repousse de me rendre tout court. Y compris chez le médecin. Me rendre à l’évidence de l’enveloppe budgétaire serait pour moi tragique.
Vous vous rappelez certainement que, pour aucune des instances d’intelligence économique objectives, le Pacte de responsabilité ne laissait présager l'évidence d'une réussite. Si je peux, dans mon obstination apophatique, continuer à refuser de correctement protéger mon sac contre les éventuels pickpockets dans le métro, l'idée que le Medef puisse nous faire les poches non seulement en toute impunité, mais avec les encouragements de nos élus, m'enrage. Car, en effet, le Medef s'est bien gardé de respecter sa partie du Pacte de responsabilité avec l'État qui consistait à embaucher. Or, ce sont bien les critères de chômage et de paupérisation que le rectorat retient pour l'inscription éventuelle des écoles en REP. Nous avons laissé l’économie entre les mains de la finance, institution par essence émotionnellement instable, et ce sont les finances qui décident désormais du sort de nos écoles de manière redoutablement aléatoire.
Une réaction parfaitement logique s’impose : l’État doit chiffrer à combien s'élève le coût d'inscription de toutes les écoles "qualifiées" en Réseau d’éducation prioritaire, sachant que le candidat Hollande avait fait de l’éducation sa priorité absolue. Ce coût doit simplement être déduit du Pacte de responsabilité pour qu'il cesse d'être un simple pactole et devienne une véritable prise de responsabilités. Celles de l'État français envers ses enfants et son avenir.
Je me suis rendue une fois à l'évidence du vote utile en donnant ma voix au candidat pour lequel je n'avais pas voté aux primaires. C'est une faiblesse qui ne me gagnera pas une deuxième fois. Mais le vote est lointain et son issue est plus qu’incertaine, surtout quand on constate le peu de respect que le candidat que nous avons élu a pour ses propres engagements.
Investir les lieux publics paraît la seule issue face aux stéréotypes, revêtus comme une seconde, voire, comme la première peau par nos dirigeants.
Aussi, pour montrer notre investissement, nous occuperons notre école. Ce jeudi, le bureau du directeur, mercredi prochain, l’ensemble de l’établissement.
Ainsi, nous occupons... Aujourd'hui, l'école - lieu de départ pour l'avenir de nos enfants que nous espérons plus serein que notre propre présent. Et demain, nous devrons nous occuper de la santé de notre démocratie afin d'éviter à cet avenir d'être remis en jeu - roulette russe ou rouleau compresseur - à chaque nouvelle élection.