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Billet de blog 13 octobre 2023

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Perdus dans le désert

Pour celui qui n’a jamais mis les pieds dans le désert entre la tunisie et le Maroc, il est difficile de comprendre l’étendue de cet océan de sable, la chaleur, la sensation de soif et parfois celle d’être perdu au milieu de nulle part.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A l’extérieur de Tozeur, au Sud-Ouest de la Tunisie, le désert nous ouvre ses portes, le sable s’étend à perte de vue, et on peut trouver des bâtiments vides, restés debout tels des témoins de la présence des hommes. C’est dans l’un d’eux que par hasard je rencontre un groupe de jeunes hommes en exil depuis la Gambie. Alors que je prends une photo du désert, j’entends un bruit, et lorsque je me retourne, deux yeux apeurés me fixent dans l’obscurité. C’est par cet échange de regard que se fera la rencontre avec Lamine et ses amis. 

Arrivés la veille à Tozeur, ils ont marché depuis la frontière algérienne où le dernier passeur les a laissés. Sans eau, nourriture et surtout sans moyen de communication avec leurs proches ou le prochain chauffeur qui pourra les amener à Sfax, point de départ du périple vers l’Italie. Bakary, Lamine et les autres se sont rencontrés sur la route et aujourd’hui ils fonctionnent comme une famille.

Lorsque je les rencontre, ils peuvent enfin contacter leur passeur et prendre contact avec un chauffeur. Le premier qui leur répond demande le prix de 350 euros par tête soit une petite fortune pour eux. Ils s’énervent, refusent et reprennent déjà la longue liste des numéros écrits au stylo sur une feuille de papier roulée. Les hommes se mettent d’accord sur le prix de 200 euros et finissent par entrer en contact avec un chauffeur qui accepte de les récupérer là où ils sont après envoi d’une photo et d’une vidéo pour qu’il puisse les retrouver. 

Malheureusement, le départ n’a jamais eu lieu et je le retrouve deux jours plus tard, toujours au même endroit. Le chauffeur n’est jamais venu et sans internet, ils n’ont pas pu le rappeler. A mon arrivée, le même ballet d’appel reprend donc et le chauffeur leur dit être venu mais n’avoir trouvé personne. Maintenant il refuse de venir jusqu’à Tozeur et dit qu’il ne pourra les prendre qu’au départ de Gafsa à 92 kilomètres d’ici. L’ambiance est morose mais une décision est prise: si ce soir aucun chauffeur n’est trouvé, ils partiront à pied pour Gafsa dès que la nuit sera tombée. Les hommes se préparent, il faut manger et boire en prévision de la longue marche de plusieurs jours. 

Finalement, jusqu’au bout ils espéreront; un chauffeur accepte de les récupérer mais pour cela il leur faut effectuer les transferts d’argent tout de suite ce qui est impossible pour eux dans l’immédiat. Il faut donc se résoudre au départ. Je les observe, leurs regards reflètent à la fois l’appréhension et la détermination. Comme me l’écrit Madi, “rejoindre Sfax est aujourd’hui le seul but que j’ai”. 

Je les laisse donc dans la nuit, seuls et ensemble, face au périple qui les attend. Alors que je m’éloigne, j’entends encore les mots de Lamine “Inch’Allah nous nous retrouverons à Sfax”. 

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