Le SPD allemand ressemble au PS français au moins par les deux tabous majeurs qui décrédibilisent complètement leurs propositions de politique économique
1/ Le rapport de force Capital / Travail
Celui-ci a complétement changé au cours des 25 dernières années. Le capital est devenu excessivement mobile, excessivement exigeant, un objectif de 10%, 12% voir 15% de rentabilité sur capitaux engagés étant un objectif standard des gestionnaires de fonds. Même les grandes entreprises, qui font quasiment toutes appel aux marchés boursiers pour se capitaliser, sont maintenant soumises à ce diktat des 15%.
Ces grandes entreprises mondialisées ont le pouvoir sur leurs employés, sur leurs fournisseurs (souvent très locaux), sur leur implantation géographique et donc sur les gouvernements. De fait, le capital s'est octroyé un pouvoir énorme, avec le soutien des idéologues néo-libéraux, sans aucun contre-pouvoir crédible.
Cela se traduit dans les chiffres. En 20 ans, en France, la part du PIB qui revient au capital est passé d'environ 30% à 40%. Etant plus mobile, plus puissant, le capital peut faire jouer la concurrence entre les salariés, les fournisseurs, les Etats. Alors pourquoi se gêner? La part du PIB qui revient au travail, est donc tombé de 70% à 60%. Or, les taxes sur le travail servent à financer les retraites, la santé, et l'aide aux chômeurs, aux pauvres... Cette baisse de 10 points (9,3 points exactement), qui représentent plus de 120 milliards d'euros par an, est la cause directe des problèmes de financement des politiques sociales en Europe !
Espérer résoudre le financement de la Sécu, des retraites, du RSA....sans aborder de front cette évolution des revenus Capital / Travail est au mieux une illusion, au pire une trahison. (pour plus de détails, voir le formidable article de François Rufin dans Le Monde Diplomatique de janvier 2008 http://www.monde-diplomatique.fr/2008/01/RUFFIN/15507)
Or, le SPD comme PS sont d'un silence assourdissant sur ce thème qui devrait être central dans leurs propositions. Dans son article "Bas salaires, une autre politique" publié dans Le Monde le vendredi 9 mai, Ségolène Royale ne cite même pas une seule fois le mot "capital". Elle fait preuve de beaucoup de conviction pour expliquer qu'il faut revaloriser les bas salaires, sans expliquer comment. Et de manière générale, elle a toujours évité ce thème de taxation du capital, pour préférer s'en prendre aux salaires indécents des grands patrons (qui n'en sont qu'un corrolaire).
De la même manière, le SPD explique qu'il faut augmenter les impôts si l'on veut redistribuer correctement ("les épaules les plus solides doivent porter plus"). Il plaide pour une augmentation des impôts sur les droits de succession, avec exemption toutefois sur la "maison de famille" qui doit pouvoir être léguée à ses enfants sans taxe. Mais le SPD ne fait qu'effleurer l'obligation de taxer d'avantage les revenus du capital, qu'il englobe dans les revenus de ceux "qui ont les épaules les plus larges".
Comment expliquer ce tabou? Aveuglement face à un phénomène pourtant mis en évidence par de nombreux économistes? Marketing politique qui veut éviter à tout prix les références les plus anciennes et les plus traditionnelles de la gauche : le marxisme, la lutte des classes... Pourtant, même Pierre Larrouturou, qui ne passe pas pour un dangereux révolutionnaire gauchiste évoque la toute puissance du Capital. Peur de froisser les nouveaux "maîtres de monde", qui possèdent les médias, indispensables pour gagner les élections? Complexité des solutions à mettre en oeuvre pour taxer ces revenus? Des propositions concretes existent pourtant : voir le SLAM de Frédéric Lordon ( http://frederic.lordon.perso.cegetel.net/Interventions/Slam.htm )
2/ Le protectionnisme
Il faut maintenant arrêter d'être naïf. Laisser la Chine, l'Inde et d'autres produire à bas coûts et de façon massive ce que nous produisions encore il y a 20 ans en Europe NE PEUT PAS ETRE SANS CONSEQUENCE sur nos économies. Nous importions en 2007 pour 62 milliards d'euros de biens et services d'Asie. La quasi totalité des ouvriers chinois travaillent pour un salaire de misère (dans une monnaie au cours maintenu artificiellement bas), sans protection sociale.
Laisser faire ces importations sans réagir est une insulte au droit du travail, aux ouvriers et aux chômeurs européens. L'industrie européenne du textile, de la chaussure, des jouets est grande partie démantelée. Celle des ordinateurs et des micro-processeurs n'aura connu qu'une existence brève.Celle de l'électroménager détruite. Jusqu'où va-t-on aller? Nous avons même appris, durant le tapage médiatique autour de la grippe aviaire, que l'on importait des poulets du Vietnam !
Alors que nous commençons à accepter l'idée de taxer les produits polluants, nous serions incapable de taxer les produits non conformes au droit du travail? Et selon quelle idéologie? Nous imposons des normes de sécurité sur les jouets, mais pas des normes sociales? Cela n'a AUCUN SENS, sinon prouver que l'homme est au service de l'économie et non pas l'inverse. Taxer de 20% les importations d'Asie (hors Japon) rapporterait 10 Milliards d'Euros par an pour le financement des retraites et du RSA.Qu'attendent les partis de gauche pour faire des propositions dans ce sens ?
Là encore, on ne peut que s'étonner du silence des partis de gauche, dont l'objectif premier devrait être de protéger les salariés et chômeurs européens, et de leur proposer des solutions solides pour rebatir la protection sociale. SPD comme PS évoquent l'Europe Sociale...sans guère convaincre... Est-ce l'Universalisme dont se prévalent les socialistes qui les rend frileux face aux taxes à l'importation, soucieux qu'ils sont de ménager les salariés Chinois? Cela les rend en tous cas complices des méfaits du libéralisme, qui met en concurrence les "travailleurs" de tous les pays.
Le risque de cette stratégie politique est énorme, non seulement pour ces partis sociaux démocrates, mais surtout pour la démocratie. Les citoyens ont bien conscience que les règle du jeu économique ont été bouleversées ces 30 dernières années. Ne pas mettre en évidence, par des mots, des concepts, des explications, les grandes forces et tendances qui sont en oeuvre est une trahison.
Si les grands partis de gauche ne donnent pas ses explications, qui les donnera? Les incohérences, les contradictions inhérentes à la stratégie politique de l'UMP (et des autres grands partis de droite européens et même américains) se heurtent à la réalité et vont ammener des déceptions immenses : comment satisfaire ceux qui ont voté pour vous (Libéraux, nationalistes, néo-gaullistes) alors que leurs attentes sont contradictoires, leurs intérêts si divergents.
Vers qui va se tourner le peuple quand il s'apercevra que la droite lui a menti et que la gauche ne veut pas formuler un diagnostic honnête de la situation? Les partis d'extrême gauche, Die Linke en Allemagne, la LCR en France sauront ils relayer le désespoir et la rage qui commencent à s'emparer des "travailleurs", sauront ils renouveler leur discours (en plus de passer chez Drucker), leur vocabulaire? Sauront-ils abandonner le mythe de la "Révolution" qui fait ricaner tout le monde, pour enfin enrichir le débat d'idées à gauche par des propositions matures?