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Billet de blog 17 novembre 2023

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« Comme Toi » par Olivia Cattan, écrivaine.

A Shani Louk à qui j'ai pensé jour et nuit. J'avais besoin de me glisser dans sa peau pour essayer de comprendre sa douleur. Ces mots résonnaient dans ma tête depuis des jours comme si je les lui devais. Le titre de la chanson de Goldman s'est aussi imposé comme une évidence. Shani était comme toi, une jeune fille de 22 ans qui voulait danser, rire, rêver, aimer.

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Il était 3 heures du matin. Je n’arrivais pas à me lever. Je me suis fait un café bien serré. Puis, j’ai préparé des bières et des sandwichs et entassé quelques vêtements de rechange dans mon sac à dos puisque la fête allait durer deux jours. Deux jours de musique Goa, dance-trance psychédélique, un délire absolu ! Je l’attendais depuis longtemps ce festival dans le désert. Je me suis regardée dans la glace et je n’étais pas fraîche. J’ai mis un trait de crayon sur mes yeux, du mascara et redessiner mes sourcils. J’ai mis des faux ongles verts et mis un peu de gloss sur mes lèvres en me faisant un bisou devant la glace. Il faisait chaud, j’avais envie d’être sexy et à l’aise pour danser. Alors j’ai mis un petit ensemble en cuir noir avec des lacets et laisser mon ventre nu.

 Ma mère m’a téléphonée avant de s’endormir pour me faire ses recommandations. Elle ne voulait pas que j’y aille. Elle était angoissée parce que ce festival de musique se déroulait près de la frontière de Gaza. Alors je m’embrouillais avec elle en lui disant que les mères avaient toujours peur de tout. Puis, j’ai rajouté qu’on y allait à plusieurs et qu’on serait prudents en voiture. Je l’ai rassuré en lui disant qu’on était en Israël, qu’on était super protégés, et qu’il n’y avait vraiment rien à craindre. Je lui lâchais que je l’appellerai en arrivant là-bas, et que je lui enverrais un texto en rentrant à la maison.

 J’ai mis mes beaux colliers d’or autour de mon cou que j’avais acheté sur un marché à Tel Aviv et démêlé vite fait mes dreads qui s’étaient accrochés à mon petit sac noir. Mes potes m’attendaient en bas et me saoulaient de vocaux. J’ai descendu les escaliers, le cœur battant. Il y avait de la route à faire et j’étais tellement excitée d’arriver là-bas pour m’éclater. J’avais encore envie de dormir alors mon pote nous a mis de la musique pour qu’on se motive un peu.

Le soleil se levait à peine. J’aimais tellement Israël avec son ciel changeant, ses lumières roses et pastel du matin. Je pensais à tout et à rien en regardant défiler le paysage. Je pensais au voyage que j’avais prévu de faire en Allemagne. Je n’avais pas vu ma famille depuis longtemps, il fallait que j’y aille. J’avais encore pas mal de rendez-vous, la semaine prochaine, avec des gens qui voulaient que je leur fasse des tatouages, ça me ferait un peu de thune pour partir. Ma mère m’a encore envoyé un texto pour me dire de ne pas boire et de faire attention, comme si je n’étais pas assez grande pour le savoir. J’ai mis mon portable dans mon sac, et regardé encore le paysage en rêvant. Peut-être que j’allais enfin rencontrer un nouveau mec à cette fête. J’en avais besoin. Mon ancien copain m’avait fait trop de mal et je voulais passer à autre chose. Je m’endormais un peu et réouvrais les yeux. On était presque arrivés, les dunes dorées du désert du Néguev étaient majestueuses et se confondaient avec le ciel. Plus que 5 minutes. J’avais trop hâte d’y être. J’y étais enfin, il y avait trois scènes. C’était incroyable, sublime, féérique, époustouflant. Une fête en plein désert, mais quel putain de délire. J’allais poster sur Insta comme une malade et faire plein de live. J’allais avoir plein de vues. Il y avait les DJ Aladin et Radikal Moodz qui allaient nous faire vibrer et décoller. J’avais tellement de chance d’être là.

 En avançant au cœur de la fête, j’hallucinais, j’avais l’impression de me retrouver à Woodstock. Toutes ces filles et ses garçons avec de super tatouages, ces percing, ces cheveux bleus, roses, et violets. J’allais faire un trip musical dans une autre contrée, c’était de la folie. J’avais tellement envie de m’évader, d’oublier mon appart à payer, mes cours, la guerre qui était là mais à laquelle je ne voulais plus penser.

J’allais danser pour communier avec les autres, j’allais danser pour la vie, j’allais danser pour l’espoir, qu’un jour il n’y aurait plus rien pour nous séparer de nos frères et de nos sœurs palestiniennes. Ils étaient si proches, ils m’entendraient peut-être. J’allais danser pour la paix parce que cette guerre durait depuis trop longtemps.

Vouloir profiter de ma jeunesse ne veut pas dire que j’aurais aimé naître ailleurs, je suis fière d’être israélienne, j’aime mon pays, mais j’ai parfois envie de vivre comme mes potes allemands, anglais et français. J’ai envie d’être insouciante en oubliant mon service militaire qui m’a fait perdre deux années de ma vie, en oubliant que l’armée peut me rappeler parce que c’est la guerre. En fait, je veux vivre sans arme et au son de la musique. Je ne sais pas ce que je ferais plus tard, mais je ferais de grandes choses dans la musique, ou l’Art peut-être. Je ne sais pas pourquoi mais je pense à mon anniversaire. Dire que je fêterai bientôt mes 23 ans. Le temps est passé si vite mais j’ai la vie devant moi.

Je regarde ma copine qui me fait de grands gestes. Elle se moque de moi parce que je rêve tout le temps. Elle me demande de lui sourire pour poster une photo. Je lui souris. Je regarde la photo, je me trouve jolie.

Je prends ma copine par la main, je ferme les yeux et je me laisse emportée par la musique jusqu’à ce que l’obscurité des hommes en noir s’abatte sur moi. Ma copine est tuée devant moi. L’ultime violence que je ne pouvais même pas imaginer, se tient là, devant mes yeux. Je suis sidérée, choquée, je ne comprends pas ce qui m’arrive, je n’ai plus le temps de courir ni de me cacher, je n’ai pas le temps me défendre, ils m’embarquent et me trainent, ils sont bien trop nombreux. Je ne peux vous raconter la suite, j’aimerai pouvoir sortir de ce corps qu’ils mutilent et m’envoler loin de cette barbarie.

Je pense à ma mère, aux miens. Je pense à tout ce que je ne ferais pas. Je pense à ce rêve de paix qui n’existe pas et qui existera peut-être un jour, mais sans moi. Enfin, la souffrance est partie et je m’envole.

Je vous aime.

Shani.

Elle s’appelait Shani Louk. Elle fait partie des 260 victimes tuées lors du festival Nova, une étoile qui s’est éteinte le 7 octobre 2023. Nous ne t’oublierons pas.

#Parolesdefemmes #feminicidesdu7octobre

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