C’est au cœur de Tel Aviv, sur le boulevard Rothschild, que j'ai rencontré Miller, assise seule à une table de café. Arborant l'élégance intemporelle d'une Parisienne des années 50, son allure contrastait avec le style habituel des Israéliennes. Sa tristesse a suscité en moi le désir de connaître son histoire. Je suis donc allée lui parler et échangé quelques mots. Nous nous sommes croisées de nouveau et partagé un café. Miller m’a raconté, avec beaucoup de pudeur, sa transition pour « devenir une femme » qu’elle décrit comme un « voyage difficile », sa difficulté d’être acceptée dans sa famille profondément religieuse. Elle m’a aussi confié les discriminations subies, sa peine face au silence de la communauté LGBT après le 7 octobre, et ses espoirs dans un pays en guerre.
Depuis son enfance, Miller, qui est un petit garçon, s’intéresse à la mode et à l’esthétique. Déjà à l’école, elle n’écoute pas ses cours et dessine des vêtements, des chaussures, et des bijoux. Fascinée par les défilés des plus grands créateurs français, Chanel, Dior, Saint Laurent, de Paris, elle éprouve, sans l’analyser, une véritable admiration pour la mode française et le « chic parisien » qui l’inspire.
A la fin du lycée, Miller assume son homosexualité et décide de faire son coming out en se confrontant à sa famille, qui est très religieuse. Ce qui provoque beaucoup de remous.
Mais l’heure n’est pas aux disputes, Miller doit partir pour son service militaire : « Je venais d’assumer mon homosexualité et d’accepter enfin mon authenticité. J’étais fragilisé et la vie à l’armée a été difficile. J’ai dû affronter les moqueries et les insultes de certains soldats qui ne comprenaient pas ma féminité. Mais il n’était pas question de les laisser gagner. Je comptais les jours, 3 ans et 3 mois exactement. Cette expérience éprouvante a façonné ma personnalité et m’a rendu plus forte. C’est aussi à l’armée que j’ai rencontré ceux qui deviendront mes meilleurs amis, ma famille « choisie ».
Après l’armée, Miller commence des études de couture et devient designer de vitrines pour ZARA pendant près de 8 ans. Elle étouffe en Israël et ressent le besoin de s’oxygéner et de vivre de nouvelles expériences. Elle déménage à Londres toute seule et vit une période incroyable qui l’aide à grandir. Petit à petit, elle se met à porter des vêtements féminins et à assumer sa féminité. C’est un grand tournant dans sa vie. C'est là que Miller décide de commencer sa transition pour devenir une femme.
Mais ce voyage est long et difficile. Son parcours, en tant que personne transgenre est un véritable défi. Sa famille qui a accepté son homosexualité doit, une nouvelle fois, faire face à la transition de leur fils en fille. Même si ses amis l’encouragent à devenir ce que Miller veut être, s’affirmer, d'abord en tant que jeune gay, puis en tant que personne trans, est un cauchemar.
A Tel Aviv, Miller ne trouve pas de travail, les employeurs la regardent bizarrement et ne l’embauchent pas. Elle ne parvient pas totalement à adopter une attitude féminine et à s’assumer. Alors elle décide de se cacher de nouveau pour s'intégrer. Pourtant elle décide de ne pas abandonner son projet de vie, et transitionne étape par étape jusqu'à ce qu’elle se sente confiante et complète dans son identité.
Elle prend un nouveau départ et décide de changer de nom : « Un nom fait partie intégrante de la personnalité d'une personne. Il est important de sentir que votre nom vous convient et vous représente. Le nom est lié à vos propres sentiments, il doit avoir une signification personnelle pour vous uniquement. J’ai choisi un nom que j’aimais depuis longtemps et qui définit enfin qui je suis ».Miller veut être un modèle pour ceux et celles qui ressentent le besoin de transitionner : « En me voyant assumer mes choix avec courage et sans honte, j’espère que ces jeunes n’auront plus peur de suivre leur propre chemin. Nous devons nous rappeler que l'univers ne nous confronte qu'à des situations que nous pouvons gérer, pour le meilleur et pour le pire. L’important est de s’entourer de personnes bienveillantes, de demander de l'aide à des experts qui vous donnent les outils pour traverser cela, et surtout il faut apprendre à vous aimer.
Il est plus facile pour une personne transgenre de vivre à Tel Aviv qu’à Jérusalem. Mais il y a encore beaucoup à faire en Israël pour la communauté trans. Il y a un travail de sensibilisation pour faire évoluer nos droits et le regard. La communauté trans est constituée des personnes les plus belles, spéciales et uniques. Les femmes ou hommes trans ne naissent pas par erreur dans un corps différent. Nous commençons notre création dans le monde sous une forme différente, une sorte de coquille, et nous nous développons à l'intérieur. Lorsque le moment est venu, nous nous montrons au monde à l'extérieur. Comme un papillon qui quitte naturellement sa chrysalide et déploie ses ailes. Nous faisons partie de la nature ».
Aujourd’hui Miller, qui vit à Tel Aviv, est devenue designer de bijoux. Habillée d’un manteau de léopard et de talons aiguilles, elle semble sortir tout droit d’un magazine parisien des années 50. Elle a trouvé son propre style, inspiré de différentes tendances, de son séjour à Londres et de David Bowie, et de son amour pour la mode française. Une façon pour elle d’exprimer sa personnalité. Mais son quotidien reste difficile.
C’est grâce à son amour pour la mode, qu’elle considère comme un Art majeur et un engagement, qu’elle affronte la vie : « Ce sont mes créations qui me permettent d’exprimer mes sentiments et mes inspirations. Je crois que chaque artiste a été choisi par son propre art. Vous pouvez évidemment vous enrichir de connaissances, mais c'est quelque chose avec lequel vous êtes né. Pour moi, contrairement aux idées reçues, la mode n’a pas de règles. Si vous avez le sens de l'esthétique, si vous avez l'œil et le toucher pour créer la combinaison parfaite, vous avez la clé. La seule chose à retenir est de vous demander qui vous êtes et si cette mode vous convient. Il est très important pour moi d'absorber et d'embrasser l'esthétique qui m'inspire. Je suis toujours curieuse des tendances actuelles, mais je me considère comme une fille de ces magazines en papier à l'ancienne. Il y a quelque chose de magique dans cette mode passée et surannée. Je modernise ce style en mélangeant les couleurs, en créant des tenues et en concevant des bijoux déclaratifs jusqu'au moindre détail. J'aime jouer avec les matières en y mettant de la réflexion et de l'attention ».
Je n’avais pas revu Miller depuis le 7 octobre et le début de la guerre, mais nous continuions à nous écrire pour prendre des nouvelles l’une de l’autre. Je me demandais comment elle vivait cette période triste et traumatique : « Le 7 octobre a été le pire choc qu’Israël a vécu. Nous sommes entourés de deuil, de douleur et de tristesse. Même si j'essaie d'éviter de regarder les informations, la tristesse est partout. Alors, je m'isole pour créer, je me mets dans ma bulle, c’est la seule chose qui me garde saine d'esprit. Il est également terriblement frustrant de voir que la communauté LGBTQ+ dans le monde entier n’a pas été de notre côté lorsque des femmes et des enfants se sont fait massacrer. Ils ont condamné toute une population, sans aucune nuance, en nous confondant avec la politique du gouvernement. Peu importe, nous nous relèverons. C'est le moment de montrer au monde la beauté de notre fraternité, la beauté d’Israël. Le plus important aujourd’hui, ce sont que nos otages rentrent chez eux. C’est sur cela que le gouvernement israélien doit se concentrer ».
Concernant sa foi, Miller ne va pas à la synagogue parce qu’elle a pris de la distance avec la religion mais pas avec sa spiritualité. Comme elle le dit avec profondeur : « Il y a tellement de façons d’aimer Dieu et de le lui montrer ».

Agrandissement : Illustration 1
