J’ai l’impression que la situation du pays devient un peu grave. La manière dont Emmanuel Macron et son gouvernement (en particulier Gérald Darmanin) procèdent pour obtenir gain de cause sur l’augmentation de l’âge légal de départ à la retraite est inquiétante. Elle consiste à criminaliser la gauche et l’écologie. Quand on n’est pas versé à la tactique politique, on est un peu stupéfait par la communication de l’exécutif : calomnies, provocations, amalgames… Tout semble bon pour exacerber les colères. Comment cela peut-il être tenu pour une forme rationnelle (a fortiori républicaine) de gouvernement ?
On se perd en conjecture. À moins… À moins de voir les choses sous les auspices de Machiavel. Le problème essentiel de ce gouvernement est que le mouvement social ne s’est jamais défini comme contestation de l’ordre légal. La rhétorique d’une présidence de la république garante des institutions ne peut se déployer pour rallier l’opinion. Car à défaut de ralliement sur le fond de ses propositions (travailler plus, privatiser l’accès à l’eau, etc.) l’exécutif ne peut retrouver de légitimité qu’en ralliant l’opinion sur la peur du désordre. Problème : il n’y a pas de désordre. Que peut-il faire ?
Ainsi, les choses deviennent claires : le provoquer ! La tactique est d’entretenir le récit d’une gauche insurrectionnelle (« factieuse ») pour tirer de la répression de cette gauche un regain de légitimité. Cela permet de faire coup double : éteindre la contestation ; se re-légitimer (après la succession d’avanies auxquelles on s’est livré depuis six mois). Historiquement, c’est sûrement banal comme approche, je ne fais que démontrer ma naïveté en l’explicitant. Pourtant, elle paraît spécialement inquiétante dans le contexte actuel.
Même en y portant un regard distancié, on ne peut s’empêcher de se poser la question : si elle fonctionne, jusqu’où ira-t-elle ? où entrainera-t-elle le pays ? Si la force de ce récit parvient à pénétrer les esprits inquiets (qui sont nombreux), que seront-ils prêts à soutenir pour se prémunir contre ce danger fabriqué ? Dans quelle direction historique nous emmène ce type d’habileté tactique ?
Surtout, comment gauche écologiste et syndicats de travailleurs doivent-ils réagir ? Renoncer à contester la politique de l’exécutif pour désamorcer la bombe avec laquelle il joue au mépris de toute prudence ? Cela le dissuadera-t-il de l’agiter ? On est exactement dans la situation de devoir raisonner un forcené incapable de voir autre chose que ses fins immédiates.
Une chose est sûre : il faut tout faire pour que ce récit d’un mouvement insurrectionnel tourne à vide. Il faut adresser une leçon de calme et de rationalité à ce pouvoir aux abois. Comment faire ? En continuant à contester paisiblement comme nous le faisons depuis trois mois. En riant d’un rire de résistance. En recherchant d’autres interlocuteurs. Pas forcément des gens sensibles à la justice sociale ou à l’écologie mais des gens responsables… juste attachés à l’état de droit, qui voient le danger de l’instauration d’un pouvoir autoritaire en France. La gauche écologiste n’est pas la seule à redouter un avenir brun : il y a dans les milieux libéraux, dans les organisations patronales, dans les institutions européennes des gens qui ne sont pas prêts à relayer les délires de l’exécutif.
Gardons notre sang froid : nous ne pouvons pas compter sur l’exécutif pour cela !