Ces élections européennes confirment une fois de plus la tendance alarmante des élections de 2022 avec une détérioration grave du débat public, quand il n’est pas purement et simplement transformé en scène de spectacle calquée sur la télévision américaine. Comment ne pas être consterné par le niveau des prises de parole ? [1]
C’est d’autant plus inquiétant que cela concerne tous les soi-disant « principaux partis ». Sur quelle base en effet a-t-on autorisé leur présence ou non dans les principaux médias nationaux ? Si certains font appel aux sondages pour justifier cette sélection, l’importance qui leur est donnée est déraisonnable.
La manière dont les grands médias reprennent ces sondages et l’assentiment à ces statistiques des politiques les plus médiatisés ainsi que leurs militants posent de graves questions éthiques et démocratiques. Accorder moins d’attention aux sondages, et davantage à l’argumentation et la critique des positions est-il un vœu pieux ?
D’ailleurs, durant cette campagne on n’a eu le droit à presque aucune position (d’où l’on se tient), mais principalement des postures (comment on se tient là où l'on est) ramenées à des slogans. Peut-on s’attendre à autre-chose quand on croit faire de la politique à coup de tracts, de com, et de polémiques lancées sur les plateaux de télévision ou à l’Assemblée nationale ?
Quand on écoute les débats de cette campagne, on ne comprend rien : les phrases ne veulent rien dire, elles n’ont majoritairement aucune signification. Alors qu’on pourrait attendre un minimum d’exigence et de respect des règles déontologiques sur les chaînes publiques. Qu’est-ce que c’est que cette mascarade ? Il est pourtant tout à fait possible de faire des espaces numériques et audio-visuels des espaces de contribution et d’échange sains [2], plutôt qu’un spectacle de combat incompréhensible.

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Cette situation médiatique ubuesque atteste d’une démission des politiques médiatisés, et peut-être même collective, devant les problèmes qui se posent à nous, comme les atteintes grandissantes aux droits internationaux ou les questions écologiques qui sont vitales et urgentes. Quoi de plus grotesque que ce signal sonore sur une chaîne publique (France 2) pour signaler un brouhaha trop important ? Fin de récréation.
Une infantilisation des politiques qui n’a choqué aucun journaliste et candidat les soirs du 5 mai et du 4 juin 2024 [3]. Les questions des journalistes dépassent le ridicule : « Écologie : stop ou encore ? », « Plus d’immigration ou moins d’immigration ? », « Plus d'Europe ou moins d’Europe ? », « Vous avez quelques secondes, c’est oui ou c’est non ? c’est oui ou c’est non ? » répété jusqu’à extirper une réponse simpliste et binaire.
Ce n’est que le 4 juin à 23h, soit 5 jours avant le jour de vote, que 8 autres listes ont pu « échanger » comme les 8 premières sur la chaîne publique de France 2. Qu’en est-il des autres partis qui n’ont eu aucune place dans les grands médias ? N’avaient-ils vraiment rien à dire ? On laissera les citoyen·nes qui ont pris soin de ne pas se laisser embarquer dans cet épisode de divertissement tragique en juger le 9 juin.
Tout ceci accompagne un accaparement irresponsable de l’attention déjà malmenée par les industries culturelles au détriment de l’analyse critique, et ne fait que profiter à l’extrême droite et la fascisation du pays. On peut aussi se poser la question de la présence de l’exécutif dans cette campagne. À plusieurs reprises, sans justification, le Premier ministre est directement intervenu pour représenter la liste de Valérie Hayer, et rejouer ainsi l’opposition insupportable Macron – Le Pen.
Presque tous les candidats les plus médiatisés ont accordé une importance déraisonnable à l’extrême droite incarnée par Jordan Bardella [4]. Trois jours avant le vote, le Président de la République interviendra lui-même sur plusieurs chaînes publiques. Après l’annonce du Pass rail (annonce marketing dirigée envers les jeunes, introduite par « Alerte bon plan » sur les réseaux sociaux, par le Président), n’y-a-t-il pas une grande inégalité entre les candidats ?
En sortant des cours du professeur Peter Sloterdijk au Collège de France, je bute donc sur une scène politique qui m’étonne et qui m’inquiète. Je me demande alors comment on pourrait trouver cette dignité et ces qualités européennes que le professeur interroge et dont le continent européen, comme la France, a besoin aujourd’hui. On a vu dans cette campagne le ressentiment dominer le désir, et que désirons-nous ? Sans sursaut, nous ne pourrons guère espérer autre chose qu’un désastre en 2027.
Olivier C. Marchand
Compléments :
[1] : Pour s’en rendre compte, il suffit d’écouter les interventions dans les principaux médias et compter les propositions concrètes (en dehors donc des vacuités comme « il faut un accueil digne », « il faut une Europe verte », « je veux défendre les frontières de l’UE », « il faut plus d’usine », « il faut plus d’emploi »). Puis, comme cataloguer des propositions concrètes ne fait pas sens en soi, il faut alors se poser une série de questions : Pourquoi ? Comment ? Est-ce justifié ? Comment cela s’insère-t-il dans la politique actuelle ? Comment évaluer les résultats de cette politique ? Ce problème nécessite-t-il vraiment autant d’heure dans les débats ? Une fois que l’on a posé ces questions, on n’a fait qu’effleurer un début de signification de la politique proposée, car il faut alors regarder comment cette proposition s’insère dans les enjeux actuels.
[2] : Voir les travaux d’Ars-Industrialis (association nouvellement nommée Épokhè).
[3] : Les débats peuvent être revus en suivant ce lien : https://www.touteleurope.eu/vie-politique-des-etats-membres/elections-europeennes-2024-quand-et-avec-quels-candidats-auront-lieu-les-prochains-debats-tele-et-radio/
[4] : Écouter par exemple le débat télévisé du 5 mai diffusé par RTL, Paris première et LCP : https://www.touteleurope.eu/vie-politique-des-etats-membres/elections-europeennes-2024-comment-suivre-le-debat-du-5-mai-entre-les-principales-tetes-de-liste/