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Depuis quelque temps déjà, nombre d’entre nous éprouvaient une sorte de gêne, voire de malaise, à se souvenir qu’ils avaient voté Macron. Certains répétaient en boucle qu’ils n’avaient pas eu le choix, d’autres semblaient frappés d’amnésie, ou préféraient se terrer dans le mutisme… À part une poignée de jeunes en mal de repères, et de nonagénaires en proie à des troubles cognitifs, personne n’osait plus mettre en avant ce qui était devenu, de l’avis général, un sujet à éviter.
Jusqu’à ce que par une chaude matinée de printemps, la nouvelle tombe sur nos écrans : « boudé par une majorité de Français ces derniers mois, Emmanuel Macron voit sa cote de popularité repartir à la hausse », révèle 20 Minutes le 07/03/2025. « Selon le dernier baromètre IFOP pour Ouest-France, 31 % des Français se déclarent satisfaits de son action, soit un bond de 7 points en un mois ».
Soulevé par cette vague de ferveur, le prodige du Touquet retrouve de l’élan : il n’est plus haï que par les deux tiers de la population, preuve s’il en est que la démocratie est encore bien vivante dans notre pays.
Les Français, qui déjà ne se lassaient pas de l’élire, n’en finissent plus de l’aduler
Qu’est-ce qui se cache derrière ce rebond historique, et presque incompréhensible à première vue ?
Le choix de la clarté
Pour bien le comprendre, il faut remonter à son allocution télévisée de l’avant-veille, qui marque un tournant décisif : pour la première fois de sa vie, il a dit la vérité aux Français.
Le ton est grave (comme toujours) : « il faut bien le dire, nous entrons dans une nouvelle ère ». En effet, qui aurait pu imaginer que dans un pays comme la France, dont le progressisme fait saliver la terre entière, la situation de l’hôpital public soit dégradée au point de mettre les patients en danger, selon Le Monde du 15/01/2024 ? D’après la Fédération hospitalière de France, trois quarts de nos concitoyens craignent de ne pas pouvoir accéder à des soins de qualité en cas de besoin urgent, et deux sur trois disent avoir peur d’être hospitalisés. Comment est-ce possible ?
Heureusement, Macron peut tout nous expliquer : ce qui se passe, c’est que la Russie « organise des attaques numériques contre nos hôpitaux pour en bloquer le fonctionnement ». Un tel degré de malveillance est si étranger à notre nature, à ce que nous sommes, que nous avons tout d’abord du mal à le croire.
Mais ce n’est pas tout. Non contente de prendre nos corps en otage, la Russie « tente de manipuler nos opinions avec des mensonges ». Déterminés à affaiblir la France, nos adversaires diffusent les pires contrevérités, quitte à inventer de toutes pièces une menace sanitaire. Tout le monde se souvient, par exemple, de ces titres alarmistes : « JO Paris 2024 : les punaises de lit déjà sous haute vigilance, le réseau Sentinelle surveille leur apparition », etc. Leur but : agiter la peur d’un ennemi imaginaire, en utilisant toute la palette de jeu de l’hybridité pour pénétrer sournoisement notre espace informationnel.
La conspiration du silence
À la désinformation pure et simple, s’ajoute une censure de plus en plus manifeste. Tout le monde se souvient qu’il y a trois ans, nos sanctions avaient déjà fait s’effondrer la Russie : de l’aveu même de Macron, l’économie russe était en cessation de paiement, et sa monnaie en chute libre, dès mars 2022. Comment se peut-il qu’en trois ans, nos médias n’aient jamais diffusé un seul reportage sur les queues devant les magasins, les enfants décharnés, les cadavres dans les rues ? Et que le seul effondrement dont ils parlent sans arrêt, ce soit le nôtre ?
Sur LCI, la propagande russe bat son plein en toute impunité
S’agit-il seulement d’un manque de professionnalisme ? On est en droit de s’interroger.
Et que dire de l’avancée de nos troupes dans la région de Koursk, dont nous n’avons plus aucune nouvelle depuis le mois d’avril ? Du jour au lendemain, plus rien. C’est comme si on nous ôtait la démocratie de la bouche, d’où ce sentiment de mal-être, ce vent de défiance qui souffle sur un nombre croissant de nos concitoyens : « selon l’Ifop, 55 % des Français se méfient des médias – Seuls 6% des personnes sondées éprouvent un sentiment de confiance – Ils sont 18% à exprimer de la colère et 17% du dégoût », rapporte La Dépêche. Entre nous, comment s’en étonner ?
L’emprise insidieuse
Inutile de se voiler la face : Poutine a pris les commandes du pays, d’où la démoralisation ambiante, sans parler de cette chape de plomb qui depuis quelque temps, semble s’être abattue sur nos libertés. Nous comprenons enfin pourquoi malgré tous nos cris d’orfraie, le prédateur moscovite ne se décide toujours pas à nous envahir : C’EST DÉJÀ FAIT. En hackant la France, il s’est emparé sans coup férir de notre démocratie.
D’ailleurs, Macron nous le confirme : « la Russie du président Poutine viole nos frontières pour assassiner des opposants ». Comment ne pas faire le lien avec cette curieuse épidémie de suicides, notamment dans le monde du renseignement, dont nous avons été témoins ces derniers mois ? Ceux d’Eric Denécé et d’Olivier Marleix, à quelques semaines d’intervalle et dans des circonstances non élucidées, cochent à l’évidence toutes les cases de la répression poutiniste.
Tous deux s’intéressaient – d’un peu trop près semble-t-il – à un dossier pour le moins crapoteux, à savoir la vente d’Alstom par Poutine (à l’époque ministre de l’Économie) : une affaire de corruption typiquement russe, mêlant pots-de-vin, combines électorales, oligarques véreux, etc. Ultime sursaut d’un régime à l’agonie, ces « suicides » prouvent une fois de plus que le maître du Kremlin, prêt à tout pour garder le pouvoir, ne recule devant rien.
Le Huffington Post s’empresse bien évidemment d’édulcorer la disparition brutale de Marleix, en invoquant « une période de dépression, aux causes multiples » – mais heureusement, les Français ne sont plus dupes. Mieux que personne, Macron a su trouver les mots pour nous faire prendre conscience du désastre qui frappe notre pays, ravagé à la fois par l’ingérence, la corruption et l’autoritarisme.
Le choix de l’espérance
Allons-nous assister, les bras croisés, au viol de notre européanitude par un ogre prédateur ? « Face à ce monde de dangers, rester spectateurs serait une folie », gémit le Superdupont de l’Élysée. Dans sa grande sollicitude, le gouvernement a certes mis à notre disposition 17 Cyber, notre allié 100% numérique, pour nous défendre contre les ingérences illibérales. Mais vu l’ampleur de la catastrophe, qui peut croire sérieusement que cela va suffire ?
Heureusement, Macron a trouvé la solution : creuser un trou de six milliards et demi en multipliant par deux les dépenses militaires, car « il nous faut nous équiper davantage, et cela pour la paix même ». Le pacifisme viril de cette annonce ne pouvait que soulever l’enthousiasme des Français, et il n’en a pas fallu plus pour réenchanter l’opinion : « la majorité de sondés approuve les « investissements supplémentaires » pour la défense (à 76 %) » rapporte Ouest-France le 07/03/2025. Prêts à défendre nos valeurs quoi qu’il en coûte, nos concitoyens n’ont rien perdu de leur soif de sacrifice : quoi de plus réconfortant que d’avoir, enfin, une bonne raison de s’appauvrir ? Tous ceux qui ont cru voir en Macron un homme de droite, un égoïste dépourvu de cœur, en sont pour leurs frais (c’est le cas de le dire).
Bien qu’à deux doigts de la victoire, Zelensky n’a jamais eu autant besoin de notre aide. Mais comme souvent, ses demandes frappent par leur modicité : « Si chaque partenaire consacre 0,25 % de son PIB à notre industrie de défense », renifle-t-il, « cela changera la donne ». Soit pour la France, peu ou prou sept milliards – ce qui franchement, n’est pas cher payé pour que l’espoir renaisse. C’est pourquoi lorsque Donald Trump leur a ordonné d’augmenter nos dépenses militaires à hauteur de 5% du PIB, nos eurodirigeants ont bondi de joie car pour eux, l’espérance n’a pas de prix.
Seulement voilà, où trouver l’argent ? La première piste qui vient à l’esprit (et à vrai dire, la seule qui nous reste), c’est bien sûr de piller les comptes en banque des Français.
Le juste milieu selon Christophe Barbier
« Que l’épargne, abondante en Europe, soit mieux utilisée pour servir nos grands objectifs stratégiques », s’exclame Macron avec d’autant plus de lyrisme que l’objectif stratégique en question consiste à garnir le carnet de commandes de l’industrie US. « Nous allons fabriquer les armes et ils paieront », confirme notre allié le plus proche. Concernant l’Ukraine, le plan de Trump est simple : « Les États-Unis ne paieront rien. Des équipements militaires d’une valeur de plusieurs milliards de dollars vont être achetés aux États-Unis par les pays européens à 100% » [1].
Au départ, nous avions un certain nombre de réticences vis-à-vis de Trump. Mais depuis qu’il a entrepris de nous lessiver économiquement, nous nous sommes mis peu à peu à l’apprécier.
Une approche tout en finesse
Comme toujours, quelques voix réactionnaires tentent de gâcher la fête. Dans Le Figaro, Jérémie Gallon parle d’« un moment de vassalisation et d’humiliation » à propos du sommet de l’OTAN des 24 et 25 juin derniers. « Si nous devons investir massivement en matière de défense, ce n’est pas pour faire plaisir au président Trump », grince-t-il timidement.
Il est vrai que jusqu’à présent, Macron n’avait d’yeux que pour la « préférence européenne » en matière d’achats d’armements, et pour une UE « plus indépendante » face aux États-Unis. Mais notre histoire l’a maintes fois démontré : quand la France semble dire non, c’est parce qu’elle n’a pas encore dit oui… Ce qui est parfois blâmé comme de l’inconséquence, relève en fait de l’ambiguïté stratégique : en se vautrant quotidiennement dans le ridicule, Macron induit chez nos ennemis un faux sentiment de certitude, susceptible de les pousser à l’erreur tôt ou tard.
On l’oublie trop souvent : clown, c’est un métier.
Turnberry fields forever
Une chose est sûre : ensemble, nous sommes plus forts. Ursula von der Leyen vient une nouvelle fois d’en administrer la preuve en allant voir Trump, qui l’a reçue entre deux parties de golf. Il n’est pas toujours simple de baisser son pantalon devant quelqu’un qu’on soupçonne de virilisme, mais quand nos valeurs sont en jeu, l’hésitation n’est plus de mise : véritable Mata Hari de la reculade solidaire, elle a su donner la priorité à l’écoute, plutôt qu’à la confrontation. Au charme, plutôt qu’à l’agressivité [2].
Les résultats sont au-delà de nos espérances : 15% de droits de douane sur les biens européens, contre zéro sur les biens américains. Jamais dans son histoire, l’Europe n’avait encore transcendé à ce point les égoïsmes nationaux. Sans ce déballonnage magistral, nous courions tout droit vers l’impensable, tant rien ne semblait pouvoir empêcher les Européens de dégainer l’arme ultime : le fameux « instrument anti-coercition » ou « bazooka commercial », qui sous l’impulsion de décideurs aussi bouillonnants que Jean-Noël Barrot, aurait pu nous conduire à la destruction réciproque, et à la fin de la vie économique sur terre.
Jean-Noël Barrot a bien failli atomiser l’économie états-unienne
Allions-nous jeter aux orties quatre-vingts ans d’obéissance servile, pour une simple question d’ego ? Ce n’est pas notre genre.
Éviter le pire
« Achetez américain ! », martèle depuis des mois Christine Lagarde, qui exhorte les pays européens à acheter des équipements militaires made in US pour éviter une « guerre commerciale au sens large », et une « réduction mondiale du PIB ». C’est dire s’il fallait conjurer les risques, bien réels, d’une approche binaire.
Heureusement, sa voix a été entendue : « le deal va plus loin qu’une simple grille tarifaire. Il engage Bruxelles à acheter pour 750 milliards de dollars de produits énergétiques d’ici trois ans, à investir 600 milliards outre-Atlantique et à commander des équipements militaires en quantité massive », s’émerveille Les Echos, pour qui l’un des mérites de ce « deal », c’est qu’il met fin à l’incertitude : en effet, plus personne ne peut nier que nous nous sommes fait dépouiller comme dans un bois.
Fort de ce succès, notre nouveau daddy exige à présent que nous nous mettions à dos l’Inde et la Chine en leur imposant des droits de douane de 100%, lesquels « provoqueraient une inflation stratosphérique en Europe et saperaient son économie », assure Politico. Mais cela ne doit pas nous surprendre, et encore moins nous affliger : c’est le prix de la liberté, si nous voulons échapper à l’emprise totalitaire de Poutine.
Faire face, ensemble
Pour mener à bien ce hara-kiri, il va falloir nous mobiliser, ensemble. Comme l’a si bien dit Macron, « nos rêves, même les plus audacieux, ne sont possibles que par la volonté de chacun, et l’engagement de tous ».
Seulement voilà, les Français sont-ils prêts pour le grand saut ? Mark Rutte, notre nouveau chef de meute, ne cache pas son inquiétude : « Les pays européens dépensent facilement jusqu’à un quart de leur revenu national pour les retraites, les soins de santé et les systèmes de sécurité sociale », déplore-t-il. Comment a-t-on pu en arriver là ? Est-il possible que dans un pays comme le nôtre, 30% de nos concitoyens n’aient toujours pas renoncé à se faire soigner ?
Rude tâche pour nos éditorialistes : préparer l’acceptation, et dépasser les anachronismes
Face au danger qui se rapproche à grande vitesse, Rutte propose une solution durable : ruiner notre modèle social pour préserver notre mode de vie : « vos politiciens doivent écouter vos voix. Dites-leur que vous acceptez de faire des sacrifices », adjure-t-il. « Dites-leur qu’ils doivent dépenser plus pour la défense pour que nous puissions continuer à vivre en paix ». L’avantage avec Macron, c’est qu’il n’y a même pas besoin de demander. C’est comme s’il lisait en nous.
Les armes de l’esprit
Ce n’est qu’en se dotant d’un objectif commun que nous pourrons, enfin, tourner la page du progrès social. Dans ce combat, il va sans dire que Jean-Noël Barrot mise sur les armes de l’esprit. « La culture, le savoir, la pensée », assure-t-il, « nous donnent la force morale pour résister au réveil des empires ».
Il n’en fallait pas plus pour que le monde de la culture se mobilise, avec l’ardeur communicative qu’on lui connaît. « Je pense qu’il faut penser à la cohésion que constitue cette menace militaire », frétille Macha Méril, l’une de nos penseuses les plus sensibles. Elle en a la certitude : « tout d’un coup, la France va s’aimer elle-même », car « il y a un autre objectif qui va nous réunir ». En effet, quoi de plus stimulant que d’asticoter une puissance nucléaire ? Quel meilleur antidote contre la haine de soi, que de ramper sous une pluie d’obus ?
Pour notre jeunesse, c’est inespéré. « Regardez tous ces témoignages de jeunes qui sont au fond disposés à s’engager », s’extasie notre mamy-boomeuse,« c’est formidable ça ». Pour s’en convaincre, il suffit de voir nos amis ukrainiens : leur enthousiasme est si intense qu’ils se raflent eux-mêmes pour aller au front.
Guerre en Ukraine: des civils recrutés de force en pleine rue pour devenir soldats pic.twitter.com/Dd0ZUjeWMr
— BFMTV (@BFMTV) November 18, 2024
L’Ukraine, un havre de liberté et de démocratie
En cette période de doutes et de fractures, il est encore temps de nous ressaisir. Après tout, la paix n’est pas une fatalité.
NOTES
[1] Peut-on se passer des armes américaines ? s’interroge BFMTV le 13/07/2025. La réponse est dans la question. De plus, il faut bien que quelqu’un se dévoue pour acheter les F-35 dont les Indiens ne veulent plus, ne serait-ce que pour rendre le sourire aux actionnaires de Lockheed Martin. Pourquoi pas nous ? « L’Inde a dit non. L’Europe a dit merci », résume le JDD du 05/08/2025.
[2] Dans le fond, Ursula von der Leyen n’a fait que son travail de dirigeante européenne : dire oui à Washington. Et à voir la fluidité étourdissante de ces pourparlers, on se prend à penser qu’ils auraient aussi bien pu être menés par SMS, sans qu’il soit besoin de se déplacer jusqu’en Écosse.