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Billet de blog 12 octobre 2023

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Les mots ont un sens, qui varie au fil du temps; soyons attentifs.

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Mise au point sémantique

Le Hamas n’est pas une « organisation terroriste ». Le Hamas est un État, qui exerce sa souveraineté sur la bande de Gaza, avec la complicité de l’État d’Israël, de l’État égyptien, et quelques autres, l’argent du Quatar et de l’UE, les armes de l’Iran et quelques autres. Le Hamas est dirigé par des factions rivales, mais globalement « islamo-fascistes » et antisémites. Il pratique une politique terroriste, une politique de terreur, incluant des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

Les termes de terreur, terroristes, ont une histoire et un sens, comme le montre notamment la thèse de Bradley Smith. La première Terreur est la Terreur de la Révolution française, une terreur d’État, qui avait l’honnêteté de se déclarer comme telle, alors que jusqu’alors la terreur que les États se devaient d’inspirer pour mettre au pas leurs peuples et dissuader les ennemis extérieurs s’appelaient d’autres noms, comme « justice », « police », ou « armée ». On retrouve cette idée d’inspirer la terreur dans la doctrine militaire officielle des États-Unis, « shock and awe », frapper de terreur, paralyser par une action brutale et massive.

Jusqu’à l’apparition du « terrorisme palestinien » dans les années 1970, la catégorie terroriste était surtout employée pour qualifier des États, la Russie soviétique d’abord, l’Allemagne nazie ensuite. Comme les Américains et les Britanniques ont gagné la deuxième guerre mondiale, on n’a pas parlé de terrorisme pour désigner les bombardements des villes allemandes et japonaises. 

Localement, le terme de terroriste était aussi employé pour désigner des opposants violents au régime en place, des mouvements de résistance à l’occupation étrangère ou de libération nationale, qui ciblaient aussi bien des civils lambda (« à chacun son boche ») que des responsables politiques et des militaires, comme ce fut le cas des résistants français et du FLN.

Mais le terme n’était pas la catégorie de pensée qu’il est devenu pour désigner des organisations non-étatiques dont la violence ne saurait donc jamais passer pour légitime, contrairement à la violence étatique. Le terme est donc utilisé maintenant pour nier leur qualité d'État aux auteurs d’actes de « barbarie » (terme qui constitue un hommage aux états grec puis romain qui définissaient ainsi les puissances étranges et étrangères, tout en y allant rondement eux-mêmes dans les massacres, les viols et les tortures).

(Cette question de la violence étatique mériterait plus que cette parenthèse. Max Weber a montré qu’un des attributs essentiels des États consistait à s’attribuer le monopole de la violence légitime. On peut questionner la légitimité de la violence étatique contre des résidents d’un pays où une dictature n’est pas établie devant les tribunaux locaux, et devant des juridictions extraterritoriales dans tous les cas, mais il existe une présomption de légitimité concernant cette violence : il faut prouver « la bavure », la discrimination, la non-proportionnalité, etc. Et, si on en a les moyens, on peut faire appliquer le « droit international », qui fixe les limites de la violence qu’un État peut exercer contre un autre, avec des notions comme « droit à la légitime défense » et « crime d’agression ». Dans tous ces cas, la présomption de légitimité existe. C’est d’ailleurs la logique de la revendication de présomption d’innocence pour les policiers accusés de violences dans l’exercice de leur profession, qui n’est pas de même nature que la présomption d’innocence des simples pékins).

Donc, l’intérêt de la catégorie de pensée « terroriste » est immense pour les États.

Je n’évoquerai ici que pour mémoire l’extension du champ de l’exercice de la violence « légitime » des États à l’occasion d’actes terroristes, le PATRIOT Act étant assez emblématique aux États-Unis, comme l’état d’urgence institutionnalisé en France. Il s’agit de traquer les terroristes « jusque dans les chiottes », comme disait Poutine à propos des indépendantistes tchétchènes en 1999, ce qui est une métaphore assez parlante pour la cybersurveillance généralisée, qui est la dimension renseignement de la violence que l’État se donne les moyens d’exercer. C’est aussi un rappel utile de la notion d’État terroriste, puisque le but est « que la peur change de côté ».

Dans le cas spécifique du Hamas, c’est plus subtil. Les Palestiniens ont beau s’égosiller pour dire que l’État d’Israël est terroriste, et en apporter les preuves, il n’en reste pas moins que c’est un État, ce qui le met hors d’atteinte de la justice quels que soient les crimes perpétrés, sauf défaite militaire ou révolution à l’intérieur du pays.

Ce qui permet à cet État de bénéficier d’un large soutien auprès de ses « alliés et amis », dont la France, c’est que le Hamas est selon eux une organisationterroriste en un seul mot, dont la violence est par définition illégitime. Mais, pour un observateur impartial, le Hamas a tous les caractères d’un État : il exerce le monopole de la violence « légitime » sur un territoire, comme feu l’État islamique. Il doit donc être reconnu comme tel, grâce au subterfuge bien connu du droit international, de facto sinon de jure. Le président Macron a bien su négocier le retrait des troupes françaises du Niger…

« On ne négocie pas avec les terroristes ». Telle est la position de ceux qui ne veulent pas reconnaitre l’ennemi comme un interlocuteur, donc qui refusent toute possibilité de paix.

L’État colonialiste israélien, dirigé par un gouvernement "judéo-fasciste" (appellation discutable qu'on discutera un jour, mais qui servira pour aujourd'hui), ne reconnaît pas l’État "islamo-fasciste" du Hamas (appellation discutable qu'on discutera un jour, mais qui servira pour aujourd'hui, et qu'on a commencé à discuter https://blogs.mediapart.fr/olivier-fraysse/blog/131220/quest-ce-qui-tue-samuel-paty-essai-de-clarification) et vice-versa.

 C’est bien dommage. On ne négocie pas avec les terroristes, avec les antisémites ?

Rappelons que la capitulation du 7 mai 1945 à Reims fut signée par le Generaloberst Alfred Jodl, jugé, entre autres, coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité par le tribunal de Nuremberg et exécuté. Il a bien fallu s’asseoir à la même table, non ?

Rappelons que la capitulation du 8 mai 1945 à Berlin fut signée par le Generalfeldmarschall Wilhelm Keitel, jugé, entre autres, coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité par le tribunal de Nuremberg et exécuté. Il a bien fallu s’asseoir à la même table, non ?

Rappelons que la capitulation du Japon le 2 septembre 1945 fut signée par le chef d’état-major impérial Yoshijirō Umezu, condamné à la prison à vie par le tribunal international de Tokyo. Il a bien fallu s’asseoir à la même table, non ?

Sinon quoi ? La guerre aurait continué, les massacres de militaires et de civils, les viols, les tortures auraient continué.

Je ne dis pas que le Hamas ou Israël doivent capituler. Je dis que ces deux gouvernements criminels doivent s’asseoir à la même table pour négocier l’arrêt du massacre de leurs peuples.

En sont-ils capables ? Qui les y contraindra ? Seront-ils jugés un jour ?

 En attendant, tous ceux qui parlent du Hamas comme d’une « organisation terroriste » avec laquelle on ne peut pas parler, qu’il faut seulement combattre et éradiquer, font le jeu de la guerre.

Ce n’est pas que le Hamas "islamo-fasciste", « démocratiquement élu » en son temps « représente » le peuple palestinien, comme le suggérait le premier communiqué du NPA (en 1936, je ne pense pas que le NPA aurait déclaré qu’il ne choisissait pas la manière dont les Allemand.e.s décidaient de combattre contre le diktat des puissances alliées concernant la Rhénanie).

 Ce n’est pas que le gouvernement « démocratiquement élu » d’Israël ne soit pas fasciste, raciste et criminel.

C’est que ce sont les deux États en présence, et qu’ils sont comptables du sort qu’ils réservent à leurs peuples respectifs et au peuple de « l’ennemi ».

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