La procédure historique intentée contre Israël devant la Cour internationale de justice (« CIJ ») est l'occasion de mieux comprendre comment fonctionne la justice internationale, comment fonctionne la Cour internationale de justice, ce que la Cour a décidé le 26 janvier et quelles en est la portée.
Je propose de vous apporter ici un éclairage purement juridique, pas une opinion ni une analyse politique.
La justice internationale ne fonctionne pas comme la justice nationale, elle a différents niveaux de fonctionnement et différents juges, et il est extrêmement difficile de l'appliquer.
Différents niveaux de justice
En matière d’infractions aux droits de l'homme et au droit humanitaire international, les affaires peuvent être portées devant différents juges.
Pour simplifier, les cas de violation peuvent être portés :
- Si certaines conditions sont réunies, devant la Cour internationale de justice (CIJ), qui est une juridiction qui juge les États, pas les individus.
- Ou, si certaines conditions sont réunies, devant d'autres juridictions qui jugent des individus, comme la Cour pénale internationale (CPI), devant d'autres juridictions ad hoc (comme les tribunaux spéciaux pour le Rwanda ou l'ex-Yougoslavie) et encore devant certains juges nationaux en application du principe de compétence universelle reconnu par certains États pour certaines infractions.
Qu'en est-il de la procédure intentée par l'Afrique du Sud contre Israël ?
Selon la Convention sur le génocide, la CIJ a une compétence spécifique à l’encontre des États ayant ratifié la Convention sur le Génocide. Dans notre cas, l'Afrique du Sud et Israël ont tous deux ratifié la Convention, ils ont donc ainsi préalablement reconnu la compétence de la Cour en cette matière, et Israël ne pouvait donc se soustraire à cette procédure qu’en contestant la compétence de la Cour, ce qui impliquait démontrer que, de manière évidente, il ne s’agissait pas d’une situation de génocide.
La compétence de CIJ est strictement limitée aux États, elle ne pourrait donc pas juger des individus ou des organisations, qu’ils soient palestiniens ou israéliens.
D’autre part la Cour est seulement compétente en matière d’infractions liées à une situation potentielle ou actuelle de génocide, elle n'a donc pas compétence pour les crimes de guerre ou les infractions au droit humanitaire en tant que tels (comme les prises d’otages) en dehors d’une situation de génocide. Israël plaidait en effet que des infractions de ce type avaient peut-être été commises, mais que l’intention génocidaire n’était pas démontrée et que donc la Cour n’était pas compétente.
Sur quoi porte l’ordonnance de la CIJ ?
La procédure devant la Cour Internationale de Justice prendra probablement de nombreuses années, c'est la raison pour laquelle elle a émis, à la demande de l’Afrique du Sud, une ordonnance préliminaire sur l’adoption éventuelle de mesures urgentes et nécessaires dans l’attente de sa décision finale, ce qui impliquait automatiquement pour la Cour de se prononcer aussi sur sa compétence.
Qu’a décidé la CJI ?
Sur sa propre compétence
De l’examen des preuves présentées quant aux actions d’Israël et aux déclarations de ses plus hauts responsables, la Cour a constaté la plausibilité d’une situation de génocide.
L’État d'Israël est donc bien jugé pour le crime de génocide.
Sur les mesures provisoires demandées par l'Afrique du Sud
La Cour a reconnu l’existence d’un risque réel et imminent que des préjudices irréparables soient causés aux droits des Palestiniens à Gaza et donc le droit des Palestiniens à Gaza à être protégés contre des actes génocidaires.
De nombreuses personnes ont considéré comme une victoire pour Israël le fait que la Cour n'ait pas ordonné un cessez-le-feu.
Ce n'est pas le cas – bien au contraire – pour les raisons suivantes :
1) La Cour a été extrêmement précise dans ce qu'elle demande à Israël de faire : les Palestiniens de Gaza doivent être immédiatement protégés de tous les actes de génocide et d'actes connexes. Cela signifie pour Israël :
- l’interdiction de commettre des meurtres, ou autres atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de la population palestinienne, ou de lui imposer des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
- veuiller à ce que son armée ne commette pas ces actes ;
- prévenir et punir l'incitation directe et publique au génocide.
La CIJ demande également à Israël de prendre des mesures immédiates et efficaces pour permettre la fourniture de services de base et de l’aide humanitaire d'urgence.
Israël devra aussi prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes de génocide.
Enfin, Israël devra aussi rentre compte un mois plus tard des mesures adoptées pour se conformer à l’ordonnance du 26 janvier.
Au regard de l’ordonnance de la Cour, les seules mesures d’usage de la force encore consenties à Israël - outre bien sûr les mesures destinées à appliquer l’ordonnance même - sont celles relatives aux seules poursuites des auteurs des crimes commis le 7 octobre et à la libération des otages, mais dans le strict respect des droits de l’homme et du droit humanitaire international.
2) la Cour, en ne demandant pas un cesser le feu, reconnaît également qu’il ne s’agit pas d’un conflit entre États, mais bien d’actions d’un État occupant contre la population de territoires occupés. La Cour a peut-être aussi reconnu indirectement la légitimité de la lutte armée de la population occupée, c’est-à-dire son droit à la résistance armée contre la puissance occupante.
3) en cas de non-respect de l’ordonnance, seule une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies pourrait adopter des mesures contraignantes à l’encontre d’Israël. Or les États-Unis se sont toujours opposés à toute résolution demandant un cessez-le-feu. D’autre part les mêmes États-Unis ont toujours affirmé qu’ils demandaient à Israël de se conformer au droit international. On peut donc constater combien il sera difficile pour les États-Unis de s’opposer à une résolution qui reprendrait verbatim l’ordonnance du 26 janvier puisque celle-ci ne demande pas un cessez-le-feu, mais seulement le strict respect du droit international dont le contenu est précisé sans ambiguïté dans l’ordonnance même.