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Billet de blog 7 février 2024

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ISRAEL PALESTINE: les conséquences de l'ordonnance de la CIJ du 26 janvier 2024

Dans son ordonnance, la Cour internationale de justice a reconnu la plausibilité d'une situation de génocide. Elle a ordonné à Israël de respecter immédiatement la convention sur le génocide et de garantir à la population palestinienne ses besoins fondamentaux, y compris l'assistance humanitaire. Même si cette ordonnance de la Cour est seulement adressée à Israël, ses effets vont bien au-delà.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans son ordonnance, la Cour internationale de justice (« CIJ ») a reconnu la plausibilité d'une situation de génocide. Elle a donc ordonné à Israël de respecter immédiatement la convention sur le génocide et de garantir à la population palestinienne ses besoins fondamentaux, y compris l'assistance humanitaire.

Même si cette ordonnance de la Cour est formellement adressée au seul État d'Israël, ses effets vont bien au-delà.

L’ouverture de procédures contre d’autres États devant la CIJ

Cette ordonnance pourrait conduire à l'extension de la procédure contre d'autres États ayant ratifié la convention sur le génocide.

En effet, l’ordonnance qui affirme la plausibilité d’une situation de génocide et qui énonce les mesures qui doivent être immédiatement adoptées par Israël pour protéger la population palestinienne a, d’une certaine manière, un effet erga omnes pour tous les pays qui ont ratifié la Convention sur le génocide.

Ces pays ne peuvent plus nier la plausibilité d’une situation de génocide. Ils ne peuvent non plus adopter des comportements incompatibles avec les mesures que la CIJ impose à Israël d’adopter.

Par conséquent, les États qui fournissent une assistance militaire à Israël, qui contribuent à l’incitation au génocide, qui participent à la destruction d’éventuelles preuves, ou qui refusent une assistance humanitaire aux Palestiniens pourraient être à leur tour traduits devant la Cour pour l'un ou l’autre des comportements énumérés dans la convention sur le génocide et visés par l’ordonnance de la Cour.

Certains États, comme l’Afrique du Sud et le Nicaragua, ont déjà mis en demeure un certain nombre d’États de respecter l’ordonnance sous la menace de les citer à leur tour devant la CIJ.

Exemple de comportements étatiques incompatibles avec l’ordonnance :

1) les États qui adoptent des comportements hostiles à l’encontre de l’UNRWA pourraient contrevenir à deux injonctions de la CIJ, à savoir assurer immédiatement l’assistance humanitaire à la population palestinienne et prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes de génocide, puisque l’UNRWA est non seulement chargée de la principale assistance humanitaire aux palestiniens, mais a aussi permis de récolter et de conserver les principales preuves relatives à de possibles actes génocidaires commis par Israël.

2) les États qui adoptent des politiques visant à déshumaniser systématiquement les Palestiniens ou à les exclure du débat public pourraient être poursuivis pour complicité dans l'incitation au génocide. Ce pourrait être le cas de certaines politiques adoptées au Royaume-Uni, en France, en Allemagne, en Hollande, au Canada ou encore aux États-Unis, pour citer les principaux cas. Ces politiques visent, par exemple, à interdire les manifestations favorables à la population palestinienne et vont, dans certains cas, jusqu’à l’exclusion de subventions publiques, au licenciement, ou à la résiliation de contrats pour toute organisation ou individu exprimant un quelconque soutien à la population palestinienne.

L’ouverture de nouvelles procédures devant la Cour pénale internationale (« CPI ») ou devant des juridictions nationales appliquant ou non la compétence universelle

La CIJ a relevé, dans son ordonnance :

  • la plausibilité d’une situation de génocide et,
  • l’existence d’un risque réel et imminent que des préjudices irréparables soient causés aux droits des Palestiniens à Gaza, et donc
  • le droit des Palestiniens à Gaza à être protégés contre des actes génocidaires,

Ces trois constats ne peuvent donc plus être ignorés par les individus ou organisations impliqués directement ou indirectement dans les actions commises par Israël.

Ces individus et organisations pourraient être traduits devant la CPI ou même devant des tribunaux nationaux en application du principe de compétence universelle.

Ils pourraient être jugés non seulement pour complicité d’actes de génocide, mais aussi pour toutes les autres infractions au droit humanitaire international ou même, dans le cadre de la compétence ordinaire des juridictions nationales, pour avoir contrevenu aux lois nationales punissant le racisme et autres discriminations.

Par exemple :

1) puisque refuser d’exécuter un ordre illégitime (le « devoir de désobéissance »), est un principe général qui s’applique certainement à tout fonctionnaire pour ces catégories d’infractions graves, tout fonctionnaire impliqué dans l’exportation de biens militaires vers Israël, dans l’incitation au génocide, dans la destruction de preuves ou dans l’arrêt à l'aide humanitaire aux Palestiniens pourrait être traduit en justice pour sa contribution à la mise en œuvre de telles politiques.

2) Les hommes politiques, les groupes médiatiques, les médias sociaux, les journalistes, en tant qu'organisation ou à titre individuel, qui incitent au génocide ou à la discrimination contre les Palestiniens, par des campagnes de déshumanisation ou même de bannissement silencieux pourraient être traduits en justice pour une gamme d'infractions allant de la discrimination raciale à la complicité dans l'incitation au génocide.

3) les individus commettant à l’étranger des infractions allant de la discrimination raciale à la commission d’actes génocidaires et qui posséderaient une ou plusieurs autres nationalités, pourraient être traduits en justice non seulement dans leur propre pays, mais aussi devant les juridictions des autres pays dont ils possèdent également la nationalité. On peut penser aux milliers de soldats et de fonctionnaires israéliens qui sont également citoyens de différents pays européens dont les juridictions pourraient lancer rapidement des mandats d'arrêt internationaux afin de les juger. Le même principe s’applique aussi aux Palestiniens qui seraient ressortissants de pays européens.

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