La dernière publication de Delphine Horvilleur suscite une avalanche de réactions enthousiastes. On a vu se multiplier les partages, les applaudissements, les extraits repris en boucle, comme s’il s’agissait là d’un tournant, d’une prise de conscience inédite. Que tant de personnes se réjouissent que Delphine Horvilleur s’attriste parce que des enfants sont soumis à une famine politiquement organisée dit quelque chose du niveau d’exigence au ras du sol qui a été atteint par rapport à Israël et à ses soutiens. Deux choses me dérangent cependant profondément dans l'accueil réservé à cette expression : l'impression que beaucoup tombent dans son plan com ; le peu de cas fait à la saleté de centrer le propos sur sa propre douleur et sur la faillite morale d'Israël.
Pourquoi tant de gens semblent-ils voir dans ce discours un changement majeur ? Les postures sont pourtant toujours les mêmes : un mélange de sentimentalisme et de déclarations morales abstraites (sans jamais la moindre exigence de sanctions concrètes), une défense du sionisme et d’Israël, la négation de la Nakba et la dénonciation du seul gouvernement israélien actuel, comme s’il était une anomalie, un accident regrettable. En pratique, cela revient à soutenir les politiques coloniales et d’épuration ethnique — mais avec la bonne conscience de s'en défendre, la tristesse et l'empathie en bandoulière. C'est, sinon hypocrite, du moins totalement inconséquent, comme toutes les postures sionistes de gauche, qui voudraient pouvoir se revendiquer de la moralité tout en soutenant un colonialisme.
La focalisation sur les sentiments personnels et sur la “faillite morale” d’Israël est particulièrement immonde alors que les Palestiniens sont affamés, déplacés, génocidés. Mais dans ces dispositifs discursifs, ils n’existent qu’en creux, en négatif, comme des figurants dans ce récit de la déchéance du personnage principal, comme les corrélats de la faillite morale d'Israël ― jamais comme sujets à part entière, pas même comme objets principaux de préoccupation. Ce type de discours ne vise, au fond, qu’à maintenir le soutien à Israël tout en s’exonérant des conséquences de ce soutien. Il permet de défendre le sionisme en se plaçant soi-même en innocence de ses pires aspects — réduits à des dérives gouvernementales, à des malheurs regrettables, jamais reconduits à une logique structurelle, coloniale.
Il n’est pas étonnant que ce discours qui mêle insistance sur la complexité et conscience peinée séduise les médias. Mais cela ne devrait ni nous impressionner, ni nous émouvoir. C’est précisément cette façade de respectabilité, ce jeu de dupes rhétorique, qu’il faut dénoncer pour ce qu’ils sont. Car contrairement à ce qu’elle veut faire croire, Delphine Horvilleur n’a jamais cessé de parler, hélas ! Ce qui a changé dans son discours, ce n’est pas le fond — toujours une défense du sionisme et un refus de toute sanction qui puisse changer la réalité, mais avec empathie et complexité —, c’est la tonalité. Il n’y a rien qui vaille qu’on s’y arrête, sinon pour en dénoncer la fonction : c’est un discours du statu quo colonial paré des atours de la moralité et de la conscience torturée.