Il faut plusieurs générations pour fabriquer des activistes fascistes. C'est une expérience instructive sur ce qu'est l'humanité.
Tous les fascistes que j'ai connu sont en général des gens qui ont subi une humiliation radicale de leur père, très tôt. Le problème du patriotisme c'est souvent un problème avec le père. Cela vous semblera simpliste mais c'est vrai.
Le fascisme au quotidien c'est : harcèlement, maltraitances et humiliations perpétuelles dans la famille. L'enfant qui voit son père insulter ou humilier (la plupart du temps en douce) sa mère qui vit dans la peur et qui fait tout à la maison sans rien dire. La mère crie beaucoup, -les voisins disent que c'est une "gueularde"- parce qu'elle perd simplement pied en vivant dans la peur des colères continuelles du père. Dans le quartier tous la considèrent comme une Mère Courage (on la voit porter des courses et ses gossses toute la journée). Dans d'autres cas la mère est complice et se fait pire que le père, là les enfants n'ont plus rien à attendre d'elle. Dans ce dernier cas, cette femme, modèle de froideur, violentée elle-même par sa propre mère dans l'enfance, redouble maintenant de violence pour échapper aux coups. Addictive, cette violence est une ivresse qui lui permet de tout oublier.
Exemple de dressage infantile : le père peut inviter sa maîtresse au camping pendant les vacances familiales et dire devant les gosses à sa femme-esclave : « -Tu n'es qu'une merde », mais cela paut aussi se passer comme ça : la femme a préparé toute la journée un bon repas pour la visite des cousins, mais un cheveu dans la quiche et c'est la crise paranoïaque qui démarre. Là le délire de persécution circulaire monte dans un espace clos et les membres de la famille mettent le nez dans la soupe parce qu'ils savent qu'il n'y a pas d'issue, sinon dans la passivation de chacun. Le père peut s'en prendre à la mère, mais c'est aussi l'humiliation publique et systématique des gosses en présence des invités quand quelqu'un veut bien venir manger à la maison. Le père sadique trouve enfin l'occasion de faire exhibition de son bon droit, de son exemplarité et finit par se défendre de sa propre angoisse à exister en humiliant son souffre douleur, l'aîné en général. Cet aîné mettra lui-même ses gosses de 7-10 ans dans un carcan d'obligations impossibles (exemple : liste écrite des taches à accomplir dans la journée quand le père est au travail). Ce carcan c'est ce que ce gosse finira par appeler son « devoir », devoir qu'il finit par croire son « honneur » à l'âge adulte. Le grand-père, versé dans la SS après engagement dans le NSKK ne disait-il pas que son honneur était « fidélité » ?
Pour ces gens humilier d'autres gens, les frapper à terre (ils n'attaquent qu'en bande des gens en fragilité ou plus faibles qu'eux) c'est leur « devoir ». Et pour cette fidélité au devoir, on doit bien les admirer, sinon comment reconstituer un narcissisme détruit et dévasté par celui que l'on craint et qui de toute façon a toujours raison ? Ce devoir de « fidélité» au clan, à la famille toxique s'impose de génération en génération. Quand ils jouent ensemble, ces gamins se sadisent réciproquement, se surveillent, s'épient, se foutent entre eux des doigts dans l'anus (pour "rigoler"), c'est un univers impitoyable de disputes incessantes et de conflits de fidélité perpétuels. Mais sur fond de ruine intérieure ils accomplissent scrupuleusement certains "devoirs" : ils arrivent toujours à l'heure à un rendez-vous, se parfument, portent de la marque et sont toujours tirés à quatre épingles. Les enfants se martyrisent réciproquement, se pissent dessus jusqu'à très tard, et tiennent publiquement des discours racistes à l'école très jeunes, ils sont vite isolés à cause de cela. Il y a aussi les problèmes de violence. Exemple : le gamin a entendu parler des djihaddistes dans sa famille, il menace d'amener un couteau dans la cour de récréation et raconte qu'il va "tuer ceux qui le font c...", c'est vite rapporté par les autres élèves dans les familles qui prennent peur. Le gosse est renvoyé.
Quand ce gosse essaie de se séparer de la structure clanique et fermée d'une famille qui lui coûte trop cher, il est immédiatement sermonné, violenté et mis à l'écart. Les clans sont des structures addictives, pour celle et ceux qui les quittent c'est un parcours du combattant, car il faut affronter le risque du vide et l'effondrement. C'est comme une femme battue qui retourne cinq fois servir un bourreau dont elle croit ne pas pouvoir se passer, en attendant les enfants trinquent. Ce système crée des self grandioses sans lesquels survivre est impossible, ce sont des gens dont la tête est complètement vide et qui cherchent à fixer leur « angoisse blanche » sur n'importe qui ou n'importe quoi (Voir André Green pour cette notion). Donc addictions, consommation d'alcool, et bastons pour remplir le vide. Ce vide c'est celui des personnalités qu'on appelle des "faux selfs", des gens qui pour lutter contre le vide sont prêt à assumer n'importe quelle identité ou n'importe quel rôle social pourvu qu'il leur donne consistance. C'est le thème de Lacombe Lucien de Louis Malle : une jeune qui n'est "ni de droite ni de gauche" finit par choisir la collaboration au lieu de la résistance comme un caméléon revétirait une nouvelle peau.
Mais là où l'on croit voir un engagement politique, c'est juste qu'un individu a trouvé un groupe de copains qui l'accepte comme il est : violen, et vide parce qu'isolé par la violence du père. Il passe d'une structure impossible à une autre structure qu'un groupe rémunère en monnaie de singe : la « fraternité des combattants (tous frères!) ». La structure du groupe c'est : « on est des héros, on défend la Patrie et la Police, c'est la preuve qu'on n'est pas la sous-merde que disait notre père. Regardez ce qu'on fait au risque de la prison ». Ce genre de structure peut servir pour entrer dans l'armée ou la police, mais là il faut obéir aux ordres et aux lois (Ce dont ils sont incapables parce que narcissiques pathologiques) et tirer uniquement sur ordre. (Ce qui est contesté au plus haut niveau en ce moment)
L'"engagement" fasciste est donc moins un combat politique qu'une défense contre sa propre passivation (sur cette notion, voir l'indispensable Claude Balier, Psychanalyse des crimes sexuels violents), une défense face à un père sadique et maltraitant. C'est vrai pour les gudard et c'était vrai pour les SS et collaborateurs français qui ont fondé le PFN, le FN etc... Quand il y avait encore des réunions d'anciens SS, derrières les volets tirés d'appartement de banlieue, ou dans des fêtes d'ancien Kamarad en Allemagne, venaient parfois les enfants et petits enfants des derniers qui avaient défendu le bunker d'Hitler dans Berlin en ruines. Et là c'était très instructif parce qu'on pouvait voir les dégâts sur plusieurs générations. Sur les garçons c'est évidemment le massacre. En fait tout cela relève des services sociaux (famille noble, riche, populaire, pauvre ou pas) et d'un problème de santé publique.
Si des types veulent faire des carrières politiques en jouant avec ça, ce sont des inconscients ou des criminels. Si un pays a besoin de ça pour affronter ses problèmes d'identité ou ses frustrations dans une mondialisation qui dévore tout, c'est qu'il est tombé très très bas et c'est très inquiétant. Mais Wagner, n'est pas ce genre de type qu'ils recrutent ? Leur chef ce n'est pas pas un monsieur qui garde la tête de ses ennemis dans le formol ? On peut toujours aller plus loin dans un pays qui pense qu'on a tout essayé et qu'il faut essayer « autre chose ». « Autre chose » c'est ce que je viens de vous raconter. Ceux qui ne l'ont pas vécu ne peuvent pas connaître et surtout, ne peuvent pas croire que cela existe, c'est pour celà qu'ils sont prêts pour la grande guerre patriotique si l'on en croit Télé-Bolloré. Le fascisme c'est l'appel du vide.