HOMMAGE A KOSSI AGUESSY
Cela fait un an que Kossi Aguessy nous a quittés, il m’a fallu ce temps pour retrouver les mots que le choc de sa disparition m’avait arrachés.
Aujourd’hui je voudrais rendre hommage à l’homme, le créateur, ami et frère de cœur avec qui j’ai eu la chance de cheminer depuis le printemps 2014.
Kossi, c’était d’abord une hypersensibilité doublée d’une intelligence aigüe qui lui donnait une conscience particulière du monde.
Né à Lomé, au Togo en 1977, la vie l’avait poussé hors de son pays et c’est dans la vieille Europe qu’il était venu s’installer et travailler en tant que designer et artiste, mais Kossi se voulait avant tout un citoyen du monde. Pour lui les cultures n’étaient pas figées mais fluides et se nourrissaient les unes des autres pour former ce qu’il appelait « his own holy hybridity ». Il voulait qu’on le considère comme un être humain et un artiste « multiverse » à qui il était arrivé de naitre en Afrique ! Il se méfiait beaucoup du label « créateur africain », considérant qu’il nourrissait surtout un fantasme occidental, et que l’Afrique est un bien trop grand continent pour que l’adjectif soit représentatif d’une seule réalité.
Il n’en reste pas moins que Kossi se souciait profondément du sort du continent africain, qu’il en avait profondément analysé le passé pour comprendre le présent. Cela me ramène à de longues heures de discussions passionnantes que nous avons partagées. Et je ne pense pas trahir sa pensée en disant qu’il avait une vision panafricaniste du continent.
Pour lui, les œuvres traditionnelles réalisées en Afrique et reflétant le noyau, le cœur de sociétés entières, n’étaient représentées en occident que comme des antiques, figées dans un passé. A travers son travail il les avait donc projetées dans un futur, c’est le cas des masques ZOO et LOO. La très grande sculpture, ARCHEOLOGY. DIARY OF TOMORROW s’inscrit dans une vision afro futuriste. Mais avant tout, il voulait que ses œuvres soient « terriennes » comme il le disait dans une interview au Centre Pompidou, et qu’elles circulent sur la planète.
Et les frontières, il les abolissait aussi dans son travail, sa créativité s’exprimait autant dans le design que dans l’art.
Ses œuvres de design, également fortement inspirées par la nature, se nourrissaient de la tradition et des nouvelles technologies vers lesquelles sa grande curiosité l’amenait toujours mais sans que ce soit une vaine course au progrès. Il était bien trop soucieux de l’impact de l’homme sur la planète.
D’un point de vue formel, il y a dans ses pièces en volume une recherche de l’épure, les lignes en sont tendues, les courbes nettes. Une alliance de grâce et de pureté. Je garde en souvenir ces moments dans l’atelier où travaillant sur la série des « Goldratt Theory of Constraints » son exigence le poussait toujours à aller plus loin, à enlever encore de la matière pour que la main glissant sur une courbe ne soit jamais arrêtée par une aspérité.
Dans ses peintures, la série des « LEO DE MEDIO RUBI » ou bien « SELF PORTRAIT AFTER MIDNIGHT » les portraits, comme des négatifs photographiques sont entourés d’éclats de couleurs vives, fragmentés, ainsi que des morceaux de miroirs qui refléteraient tout le spectre lumineux.
Et c’était bien Kossi, un mélange d’ombre et de lumière, un homme solaire et tourmenté. En travaillant, il portait un casque sur les oreilles et parfois se mettait à danser. Tous ceux qui l’ont connu se souviennent de ses éclats de rire qui emplissaient totalement l’espace et vous emmenaient immanquablement à rire aussi. Comme son rire, son enthousiasme et son optimisme étaient contagieux. Mais parfois les ombres revenaient sur lui, l’envahissaient, alors il se repliait comme un enfant triste. Son intelligence et sa très grande sensibilité le rendaient fragile. Il avait bien compris ce monde d’illusions qui s’abreuve d’images et d’histoires avec une soif jamais étanchée.
Aujourd’hui, au-delà du manque, de son absence, l’œuvre de Kossi Aguessy est toujours là, vivante, multiple, riche et dense. L’avenir lui appartient et lui donnera raison.
Haude Bernabé, 17 avril 2018
Certaines de ses œuvres sont présentes dans les collections du Centre Pompidou à Paris et du Museum of Art and Design à New York.