J’attendais beaucoup de ce film de Paul Thomas Anderson, One Battle After Another, tant sa couverture médiatique est élogieuse, et ayant personnellement aimé auparavant There Will Be Blood (2007) et The Master (2012), du même cinéaste. J’ai même poussé le vice cinéphile (on sait que le cinéaste avait déjà adapté un précédent livre de Thomas Pynchon, Inherent Vice – film à moitié raté, car ennuyeux) jusqu’à attendre d’être à New York, pour le pouvoir voir en 70 mm, sachant que le cinéaste, avec Christopher Nolan et Quentin Tarantino, est l’un des défenseurs acharnés de la pellicule argentique pour le/son cinéma.
Me voici donc ce vendredi 17 octobre 2025 « moins riche » de 25 dollars pour avoir le droit et privilège de voir ce film dans son format de tournage original dans la très belle salle 1 du Jaffe Theatre, anciennement Yiddish Art Theatre du quartier East Village de la Big Apple. Dès le début du film, que des critiques avaient porté au pinacle comme « Le Film de la gauche révolutionnaire américaine des années Trump » (sic), quelque chose cloche, et me gêne : musique omniprésente, filmage hollywoodien (on est loin, très très loin de l’esthétique glaciale, par exemple, d’un Robert Kramer dans Ice (1970)), révolutionnaires tous « racisés » (j’emploie à dessein ce terme que je déteste, pour parler comme, sinon l’ennemi, disons la presse « progressiste »), sauf l’un des héros du film, icône supposée de la révolution incarnée par Leonardo Di Caprio. Tout de suite, cela se ressent de « ceci » : un terroriste « de gauche » est un bon assassin… car après tout les Blancs becs ont bien mérité leurs balles. Désormais, un « bon mâle blanc de plus de 50 ans est un mâle blanc mort », fût-il ton père (j’y reviendrai), comme autrefois des indiens dans le pire du western américain.
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Leonardo Di Caprio dans One Battle After Another de P. T. Anderson, photogramme © DR
UN « CHEF-D’ŒUVRE » WOKE
Un magazine en ligne particulièrement stupide comme A.O.C. (pour Analyse, Opinion, Critique) prétendit autrefois que le wokisme n’existait pas : diantre ! Comme disait « l’autre », « plus c’est gros, plus ça passe » !… One Battle After Anotheren est le démenti formel, tant il appert comme un « chef-d’œuvre » du genre. Les amis de l’héroïne du film figurent tous des clichés du wokisme jusqu’à l’écœurement : qui transgenre, qui « racisé », qui blanche-à-piercing ou à chevelure-teinte-en-bleu – le bon peuple est « éveillé » (woke) ; le mauvais peuple est blanc et crypto-fasciste (c’est-à-dire trumpiste) : que de poncifs ! Absolument tous les militaires et policiers du film sauf un, du genre plutôt paramilitaire au physique d’indien justement, sont blancs et supposés fascistes (car suppôts de Trump, on l’aura rapidement compris en lisant la presse « de gauche »), et alors qu’après vérification facile et rapide, plus de 31 % des policiers américains sont « racisés » dans la réalité (chiffres de 2023), quand c’est 32 % pour les militaires. Bien sûr, le seul paramilitaire non-blanc du film, dont j’ai déjà parlé, trahira ses maîtres, et abattra du blanc pour permettre à la belle-fille du héros, mulâtressesse, de s’échapper (ouf ! ¡No pasarán!). Quand le « mâle blanc de plus de 50 ans »[1] n’est pas directement fasciste (autoportrait assez ressemblant, après tout, et à son corps défendant, de Sean Penn, ancien « rebelle » de Hollywood dont on se rappelle le covidisme forcené (il restera « célèbre » pour avoir banni absolument tous les non-vaccinés de ses plateaux de tournage pendant la « Haute époque Covid »), dans un rôle de composition, en officier crypto-nazi américain bourré de TOCs (Troubles obsessionnels compulsifs)), il est forcément membre d’une secte Suprématiste blanche qui se permet encore de fêter Noël (vous savez, ce vieux truc patriarcal qui commémore la naissance du Roi des Juifs (quelle horreur !…)).
C’est que ce film n’est qu’une suite de caricatures, allant de vignettes « progressistes » (dans les amis de la belle fille mulâtresse, il y a forcément un non-binaire en transition sexuelle (comprenez : menacé dans son existence par Trump-le-facho)) en clichés éculés (tous les « gentils » sont soit chicanos soit indiens, si possible migrants). Il eût mieux valu que P. T. Anderson fît un dessin animé, ou tournât en numérique, tant son film est binaire et manichéen ; ici, quel gâchis de pellicule argentique ! Le seul moment vraiment cinématique, donc cinématographique, du film est la scène de poursuite en bagnole vers la fin ; moi-même, pourtant habitué aux « trous d’air », ai eu quasi le mal de mer lors des montées et descentes vertigineuses d’une route escarpée en ronde-bosse du désert de l’Ouest américain rejouant quasi la fin de Zabriskie Point d’Antonioni (mais avec oh combien moins de génie cinématographique). Las, là encore, abandonnant tout réalisme, le Grand Méchant du film, joué par Sean Penn, véritable père (honni car mâle blanc de plus de 50 ans) de la mulâtresse qui devient l’héroïne principale à la fin du film, se relève d’un accident mortel contre toute vraisemblance. On entre alors dans le Grand Guignol, mais sans l’humour et la frivolité qu’on trouve chez un Tarantino (dans tous ses films) : puisque le Grand Méchant a sans doute violé la mère de l’héroïne, il doit payer, et mourir ; si ce n’est pas du premier coup (de feu, au canon scié), ce sera au gaz, empoisonnement aussitôt suivi, carrément, d’une discrète crémation (tant qu’à faire… « Ils reviennent », les « nazis », « on » vous dit…) par la secte des Suprématistes blancs, pour lui faire payer de s’être mélangé avec une Noire (sic ; quand je disais binaire…).
À moult reprises, nos révolutionnaires d’opérette opèrent masqués, et même d’un masque bleu de ceux devenus célèbres durant la crise sanitaire Covid : enfin ces masques, qui furent une vraie saloperie crypto-fasciste (« le fascisme, c’est forcer à dire », disait le grand Roland Barthes ; il est évident que ce bâillon fut utilisé pour nous forcer à reconnaître la terreur « sanitaire », c’est-à-dire à admettre qu’il y avait un soi-disant danger grave et imminent), sont démasqués pour ce qu’ils furent, sont, et seront : le déguisement d’une lâcheté, ou d’une mauvaise action à mener, qu’on souhaite cacher (Littré). Dans une attaque de banque, tous les terroristes sont masqués : leur air d’innocence ne reviendra plus… Les « Antifas » et autres « Black Blocs » (forcément envoyés par le Pouvoir policier : « complotisme » autorisé, car « de gauche ») semblent quand même de plus en plus annoncer le grand retour des fascistes tels que l’avait prophétisé un Pasolini : « Le fascisme peut revenir, à condition qu’il s’appelle antifascisme. » Une « bonne violence » est une violence de gauche (on l’a d’ailleurs bien vu lors de « l’affaire Charlie Kirk », homme dont j’ignorais bien sûr tout jusqu’à son lâche assassinat, mais dont j’ai pu vite comprendre, en me documentant un minimum, qu’il était un fin dialecticien, certes très conservateur, mais pacifiste), quand toute violence de droite est forcément mauvaise trop mauvaise.
Là où le film devient vraiment malaisant, et même détestable, c’est quand l’on découvre que l’officier crypto-nazi, joué par Sean Penn, est vraiment le père de l’héroïne du film, grâce à un test ADN qu’il lui soutire (autre forme de viol, ressemblant de beaucoup aux fameux tests RT-PCR Covid). Pas le moindre début d’émotion chez la jeune fille : son père est un nazi, point. Et puis, la famille, les liens du sang, la paternité, et même la maternité, quelles foutaises ! vieilleries que tout cela… « Tu haïras ton père comme toi-même »… et seule compte, désormais, la croyance en la « révolution » comme « progrès » dans le « Meilleur des mondes » gauchistes possibles. D’ailleurs, lors de la désormais fameuse scène de course-poursuite dans le désert, l’héroïne manque tirer sur son beau-père, qu’elle n’a pas reconnu, ayant vu en lui d’abord et avant tout un (sale) Blanc. Seule la voix de celui-ci la tirera in extremis, après qu’elle l’a longuement mis en joue, de son embrigadement sanguinaire. Plus tard, à la toute fin du film, après une lecture pleine de pathos d’une lettre laissée par la mère disparue à sa fille (qui jusque-là ne l’aimait plus, car la considérant comme « rat » (dans le sens anglais, c’est-à-dire traître, ou balance (parce qu’elle a couché avec un Blanc ? et même si elle l’a tout de même « pris a tergo » (sic) ? voire…)), celle-ci quitte son beau-père (Di Caprio) pour prendre la relève de la révolution à mener. La révolution n’est pas un dîner de gala !…
LA MORALE EST AFFAIRE DE TRAVELLING
Mais il y a plus encore : à un moment du film, l’on voit le héros se passer La Bataille d’Alger de Gilles Pontecorvo ; et cela nous met aussitôt la puce à l’oreille : quand l’on sait le sort (« De l’abjection ») que réserva le grand critique que fut Jacques Rivette à l’un des films ultérieurs du cinéaste italien « progressiste », Kapò, l’on devient rêveur… et l’on retrouve la « voie droite » : bien sûr que « la morale est affaire de travelling » ! Et non, la « grande fresque de gauche » du cinéma américain n’est certainement cette succession intégralement hollywoodienne (que de « Mother fucker ! » n’y entend-on pas… charmant langage de la dialectique disneyienne) de clichés, mais, sur un mode mélancolique, Route One USA de l’immense monteur que fut Robert Kramer – n’est pas eisenteinien qui veut. Il faut faire des films politiquement, et pas seulement des films politiques « de qualité “gauchiste” ». Le cinéma à l’oreille – ou rien (propagande, c’est-à-dire religion, comme dans le film-gigogne de propagande nazie incrusté comme une miniature à l’intérieur du génial film de Tarantino Inglourious Basterds, Nation’s Pride, caricaturant le tristement célèbre Le Juif Süss de Veit Harlan (1940), où tous les spectateurs d’un aéropage d’officiers nazis, lors d’une projection simulée dans un Paris sous l’Occupation, rigolent à-qui-mieux-mieux à chaque juif tué d’une balle). Au Jaffe Theatre, j’ai entendu pas mal de spectateurs s’esclaffer à chaque méchant blanc buté d’une balle. Étaient-ils eux aussi tous « racisés » ?…
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Nation’s Pride, film-gigogne encastré dans Inglourious Basterds de Q. Tarantino, photogramme © DR
On attend encore le Grand film de Tarantino, style Once Upon a Time in… Hollywood, des années post-Covid…
Guillaume BASQUIN
Lien article Frédéric Lordon : https://www.hors-serie.net/bourgeoisie-culturelle-et-revolution-sur-une-bataille-apres-lautre/
[1] Au passage, on notera qu’il n’y a aucune figure féminine blanche notable dans le film ; celles-ci (les Américaines blanches) n’ayant le « droit » que d’être des figurantes, soit secrétaire médicale, soit caissière…