Olivier Salerno (avatar)

Olivier Salerno

France Insoumise 06

Abonné·e de Mediapart

10 Billets

0 Édition

Billet de blog 7 mai 2024

Olivier Salerno (avatar)

Olivier Salerno

France Insoumise 06

Abonné·e de Mediapart

“Laisse pas traîner ton fils”

Gabriel Attal est venu à Nice pour expliquer aux gamins qu’il sonnait la fin de la récré. Tous les officiels du coin ont participé au spectacle. Mais qu’est-ce que ça dit tout ça ?

Olivier Salerno (avatar)

Olivier Salerno

France Insoumise 06

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Des gens qui souffrent et un fond de commerce obscène

Délinquance, rixes, trafics de drogue. Parfois l’irréparable… Même si les chiffres du nombre de mineurs mis en cause dans des affaires judiciaires semble baisser ces cinq dernières années, la focale médiatique sur la violence des adolescents ne laisse personne indifférent. Un sentiment de malaise nous traverse, entre empathie pour celles et ceux qui en bavent et dégoût face à la récupération politique et médiatique pour qui, au fond, toutes ces histoires permettent d’alimenter un fond de commerce.

En fonction de l’époque et de l’ambiance du moment, des faits similaires sont perçus différemment. Même si l’histoire a été écrite en 1912 par Louis Pergaud, la légèreté de l’adaptation au cinéma de “La guerre des boutons” de Yves Robert, n’est possible qu’en 1962, période d’espoir dans un futur qui semblait positif pour à peu près toutes les couches de la société. Aujourd’hui, l’ambiance n’est plus à la fête et les éditorialistes de plateaux demanderaient de la prison et des peines exemplaires pour les mômes que l’on voit dans le film1.

Proposer des solutions simplistes et passer pour des types responsables

La période actuelle n’est pas enthousiasmante, avouons-le. C’est dans ce contexte que Gabriel Attal est venu nous exposer ses solutions à Nice, le lundi 22 avril dernier.

Grosse opération de communication politique lors de cette conférence de presse. La poignée d’ados qui entre en vacances dans l’académie va être prise en charge dans l’internat du Parc Impérial. Ils sont entourés, face micros et caméras, de Gabriel Attal donc, d’Éric Dupond-Moretti, de Christian Estrosi, d’Éric Ciotti, du Préfet Moutouh et de tout un parterre d’officiels. Ambiance… Absence remarquée : la ministre de l’Éducation nationale n’était même pas présente aux côtés du premier ministre et du garde des Sceaux.

On ne va pas revenir sur cette séquence, beaucoup de choses ont été dites. Mais en plus de la spontanéité des ados (“je ne veux pas être là”, “Macron il est méchant”, etc.), le moment le plus intéressant a été la réflexion d’une mère qui habite dans le quartier de l’Ariane. Je cite de tête : “Je voudrais dire qu’on accuse trop souvent les parents qui font ce qu’ils peuvent et que dans pas mal d’endroits comme dans mon quartier, les activités sont chères, il y a peu de terrains de sport, de MJC, d’encadrants…” Le réel s’invite dans la mise en scène.

Immédiatement, Christian Estrosi a déroulé sa communication municipale. “Il fait bon vivre pour les enfants et ado à Nice”. Ce qui est raccord avec son discours après tout. “On fait déjà pas mal… Que les parents prennent leurs responsabilités !”. Il fait tellement bon vivre à Nice pour les jeunes, que le lendemain, le même Christian Estrosi courait les plateaux pour annoncer à la presse qu’un couvre-feu pour les mineurs de 13 ans serait bientôt instauré dans la ville, 16 ans dans certains quartiers. “Laisse pas traîner ton fils” rappaient Joey Starr et Kool Shen en 1998. Alors, le maire de Nice aurait-il raison ? Est-ce que tout ça finalement, ce ne serait pas ce fameux “bon sens” ?

Les vieux hommes blancs ont fait la leçon devant les télés de la France entière aux petits des quartiers. Quelques jours plus tard, le grand chef local a organisé une battue devant ces mêmes télés. C’est entouré de nombreux policiers et devant une flopée de journalistes convoqués, que le maire de Nice et sa petite équipe ont fait la chasse aux mineurs dans les quartiers de la Gare du Sud et de Trachel, la nuit, sous la pluie, pour ne trouver aucun gamin à se mettre sous la dent au final. Cette mesure de façade pour épater la galerie n’a jamais fait ses preuves, même là où elle a déjà été adoptée. Elle ne changera rien, mais l’essentiel est de passer pour un type responsable, dans l’action, et qui n’a pas la main qui tremble. 

Les drames liés au trafic

Il y a des endroits où la drogue sévit, et c’est aussi pour cette raison que Christian Estrosi dit vouloir instaurer un couvre-feu dans certains quartiers. Les trafics sont une perspective merdique dans un avenir bouché pour certains jeunes ? Oui, c’est vrai, et c’est terrible. Pour les habitants comme pour tous les employés exploités de ce commerce illégal qui, pour quelques-uns, y laissent leur peau. Sauf que dans ce cas précis, le tout répressif sur la voie publique a montré ses limites. Qu’est-ce que la police va faire de plus sur le terrain ? Elle qui s’est séparée de ses unités de proximité il y a bien longtemps, vient déjà jouer les gros bras dans des coins emblématiques, pour que les trafics reprennent une fois repartie, comme l’a démontré récemment le quotidien La Provence lors de la visite d’Emmanuel Macron à Marseille2.

Le gouvernement a trouvé une réponse pratique et pas chère. Criminaliser davantage les consommateurs, se focaliser sur les points de deal et ne même pas envisager le début d’un débat sur la légalisation. Ça rentre dans le cadre de la réforme catastrophique de la police judiciaire : du résultat tout de suite avec la politique du chiffre, sans se soucier du temps long nécessaire aux enquêtes sur la grande criminalité3. Quelles solutions apporte-t-on à la jeunesse en proie aux réseaux dans ce contexte et que l’on doit protéger ? La prison, pour tous et tout de suite, comme le propose le syndicat Alliance encore lundi 6 mai à l’antenne de France Info. La mise en place de courtes peines d’une semaine dès 16 ans comme le propose Éric Ciotti au Président de la République dans les “25 mesures des Républicains pour garantir la sécurité”4 ? Quitte à amplifier le problème après un passage enfermé à bonne école5.

Doit-on donc faire confiance en ces gens-là pour protéger la jeunesse ?

Quand on tient à distance ce que l’on a pourtant été

Rien de neuf sous le soleil ici. Avec une moyenne d’âge élevée, Nice devient aussi le laboratoire d’un pays vieillissant. C’est chez nous qu’à émergé l’idée d’expulser des HLM les familles d’enfants délinquants. La télévision et les réseaux sociaux n’aident pas, c’est tous les jours que, petit-à-petit, sur fond de racisme crasse, les mineurs sont perçus comme un danger potentiel, comme une menace. On vote pour un maire qui permet de tenir les mômes à distance, hors de la carte postale, loin des yeux et du coup loin du cœur. Logique que Gabriel Attal vienne nous rendre visite.

À Nice, comme partout en France, les écoles sont en mauvais état et les collèges sont surchargés. Avec des cours trop petites au collège Jean Giono à Saint-Roch, et des salles de classes qui ne peuvent plus accueillir nos enfants, serrés comme des sardines, comme le chantaient les parents du collège Maurice Jaubert à l’Ariane le mois dernier. On manque sérieusement et de plus en plus d’adultes pour s’occuper des enfants et des adolescents. Le système éducatif est en danger, avec une crise des vocations. On le sait, on l’entend à longueur de journée, mais il faut le rappeler et le mettre en perspective avec les solutions qu’ils proposent. Car que proposent-ils au final derrière tout ce cirque où notre Premier ministre, exagérant sa posture ferme mais détendue, explique aux ados présents que s’ils ne sont pas contents d’être là, c’est plutôt bon signe ?

Sur les 10 milliards d’euros d’économies annoncés par le gouvernement, 700 millions  seront supprimés pour l’Éducation nationale. “Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons” disait Victor Hugo. Que Gabriel Attal nous copie ça 700 millions de fois. Concrètement, c’est plus de 6000 postes d’enseignants en moins et 4500 postes de surveillants et d’AESH qui accompagnent les élèves en situation de handicap6.

Que proposent les institutions comme solutions pour la jeunesse ? La précarité, la dépression, aller au boulot tôt pour les jeunes des milieux populaires avec la réforme du lycée professionnel. Obéir, se soumettre en se mettant à genoux, les mains sur la tête, comme à Mantes-la-Jolie en 2018. Saluer le drapeau le petit doigt sur la couture du pantalon, se farcir un Service National Universel (SNU), passer ses vacances en internat dans une perspective d’avenir peu glorieuse. C’est pas franchement la joie d’être jeune en 2024. Et encore moins avec Christian Estrosi et Éric Ciotti. Toujours prêts à surenchérir dans un concours médiatisé de coups de menton perpétuel dirigé vers la jeunesse, et particulièrement celle des quartiers populaires, à contenir dans des zones loin du centre-ville.

Redonner du souffle, avoir confiance en l’avenir

Pourtant, entre la ville, le département, la région et l’État, il y a des solutions positives autres que coercitives. Déjà, et avant tout, redonner les moyens à l’école, comme on l’a vu. L’éducation, ça n’est ni l’enfermement, ni le garde-à-vous, et encore moins la matraque. Construire et rénover les équipements sportifs, favoriser la gratuité ou les coûts des cotisations en fonction des revenus pour les familles modestes, développer le sport en famille. Beaucoup plus d’éducateurs spécialisés, des MJC autonomes, des transports à la hauteur, des logements dignes, des quartiers propres. Du respect.

Qu’est ce qu’on fait à 16 ans à Nice l’été ? On fait des plongeons incroyables à Coco Beach, on se balade en Vélo bleu ou en trottinette électrique, on va à la pêche le soir, on s’ennuie toute la journée et on passe une partie de la nuit sur sa console, on scroll sur son portable. Que propose Estrosi ? La jeunesse mérite mieux que d’être tenue à l’écart pendant qu’on prend des décisions politiques en son nom. Christian Estrosi veut un couvre-feu pour les jeunes de 16 ans ? Nous, on veut instaurer le droit de vote dès 16 ans.

Casser, discipliner, mater, dominer. Ça fait des années que des économies sont faites sur les budgets des différentes structures de prévention. Et quand on assiste aux résultats de cette politique, les mêmes crient au laxisme. “À force de maltraiter institutionnellement les enfants d’aujourd’hui, on va créer des adultes qui n’ont plus confiance dans la société et qui peuvent devenir non adaptés à notre contrat social.” nous explique une juge pour enfants du tribunal de Nantes7. Investissons dans l’avenir, sortons le carnet de chèque. Ça suffit les plans d’économie sur le dos des mômes dont on est collectivement responsable.

Car l’État est décidément un mauvais parent. Dans les cas où il est amené à s’y substituer, il ne propose plus que la punition, ouvre le débat sur la suppression de l’excuse de minorité et sa vautre dans un cynisme affolant. “Alors que la délinquance des mineurs fait l’objet de nombreux débats, le département de la Vienne décide de consacrer plus de 180 000 € au passage de la flamme olympique, tout en supprimant 250 000 € pour les éducateurs de rue” remarque sur X-Twitter l’éducateur et militant des droits de l’enfant, Lyes Louffok8.

La farce s’arrête quand ?

Olivier Salerno

Pour aller plus loin :

Les livrets thématiques de l’avenir en commun. Parce qu’un projet ça se construit, que la France Insoumise y réfléchi depuis 2012 et que l’on est solide sur la question :

Garantir les droits des enfants

Construire l’autonomie des jeunes

Un sport émancipateur au service de l’humain et de l’éducation populaire

Refonder le service public de la police

Reconstruire une école de l’égalité et de l’émancipation

Sources :

1. La guerre des boutons : Bande-annonce

2. La Provence : Macron à Marseille : "Il est parti et nous on est toujours là...", la Castellane, le jour d’après

3. Actu-Juridique : La réforme qui casse la PJ ne sauvera pas la police de proximité

4. Le JDD : Les 10 chantiers et 25 mesures des Républicains pour garantir la sécurité

5. France Info : En prison, un détenu sur quatre fume quotidiennement du cannabis

6. Le Café Pédagogique : Près de 700 millions supprimés à l’Éducation nationale

7. Ouest France : Une juge nantaise : "La protection de l’enfance devrait devenir une priorité nationale"

8. Lyes Louffok : Post sur X-Twitter

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’auteur n’a pas autorisé les commentaires sur ce billet