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“Le retour à la raison est plus que jamais nécessaire”, “la société française ne souffre pas d’abord d’un manque d’autorité mais d’un manque d’égalité”. Voici ce que l’on peut lire dans le livret thématique sur la sécurité et la sûreté de l’Avenir En Commun. Loin des caricatures qui en sont faites, nous assumons de porter ce programme et de ne pas céder aux sirènes hurlantes du tout sécuritaire, animées par la droite extrême et l’extrême droite, qui n’ont aucun scrupule à instrumentaliser les peurs liées à chacun des faits divers qui les arrangent.
La polémique du moment sur la police municipale vient du côté de la France Insoumise. “Ce parti de voyous et de racailles”, selon le multirécidiviste du Rassemblement National Julien Odoul, travaille pourtant sérieusement à un programme sur la sécurité depuis 2017. Programme validé et remarqué par Pierre Joxe1, l’un des ministres de l’intérieur les plus respectés par les fonctionnaires de police depuis bien longtemps. Depuis le temps, au moins, où la police n’était pas instrumentalisée comme un joujou médiatique pour politiciens ambitieux.
Ce mercredi 9 juillet, Jean-François Copé était l’invité de France Inter2. Comme Bruno Retailleau, il a écarté d’un revers de la main les arguments scientifiques avancés par la journaliste qui l’interviewait. La journaliste : “Sébastien Roché, chercheur au CNRS, explique qu’il n’y a aucune étude qui démontre le bénéfice d’armer tous les policiers (…) et la Cour des comptes écrivait en 2020 dans son rapport sur la vidéo-surveillance, qu’aucune corrélation globale n’avait été relevée entre l’existence de dispositifs de vidéo-protection et le niveau de délinquance sur la voie publique, ou sur les taux d’élucidation”. Réponse de Copé : “C’est ça qui est sympathique en démocratie, c’est que chacun peut raconter ce qu’il a envie”. La dérive trumpiste de la droite française n’est plus à prouver ici, mais quand ce même Copé lance que “ça n’est pas grave d’être de droite !”, encore faut-il qu’il précise de quelle droite il parle. La droite néo-libérale, anti-fiscalité, qui refuse tout impôt pour les plus riches et qui assèche les comptes de l’État jusqu’à ne plus pouvoir le doter d’une police nationale formée correctement et en nombre suffisant ? Ou bien la droite gaulliste, dont tout le monde se targue, et qui faisait de la question régalienne autre chose qu’un hochet ?
C’est devenu une habitude, les discours sécuritaires remplissent l’espace médiatique. La petite musique est bien connue. Celle sur laquelle certaines personnalités politiques font leur carrière en jouant aux matadors face à une société qui serait “ensauvagée” et où le rapport avec la figure de l’immigré ou de ses descendant·es est systématiquement mis en relation avec les chiffres de l’insécurité. Un discours raciste, parfait pour les plateaux télé de 2025, où l’on parle de hordes quasi animalisées, tout juste bonnes à être domptées. “Des animaux humains” diraient certains. Localement, on a Estrosi. Et heureusement pour nous, Christian nous protège et ne lâche rien “face à la barbarie”. Éric Ciotti, lui, parle de “France Orange Mécanique”. Dans les deux cas, le but est le même : jouer avec les peurs de l’électorat, ne pas parler de leur bilan social déplorable3, et tout faire pour ne pas aborder les problèmes réels de sécurité de façon rationnelle. Et comme pour Copé, ces deux frères ennemis sont d’accord pour une politique budgétaire d’austérité pour tout le pays, sans augmenter les impôts des plus riches et pour le projet d’une année blanche qui serait fatale pour tous les services publics, y compris ceux de la police et de la gendarmerie.
Car là est le problème. Progressivement, depuis les années Sarkozy, le nombre de postes dans ces deux institutions a drastiquement baissé. Entre son passage au ministère de l’Intérieur et son quinquennat, on parle de 13 000 postes en moins. Principalement des fonctionnaires partis en retraite et dont le poste n’a pas été renouvelé dans le cadre de la révision générale des politiques publiques lancée en 2007. “On croulait sous les dettes et les déficits, il fallait faire des économies et réduire les effectifs dans la fonction publique (…). La lutte contre l’insécurité n’est pas une question d’effectifs” lançait cet adepte de la politique du chiffre sur RMC-BFMTV en 20164. Nous y voilà.
Quand l’État se désengage, c’est toujours les collectivités locales qui prennent le relais, ce qui pèse sur leurs finances. Les besoins dus aux manques d’effectifs de police nationale dans les villes ont progressivement été palliés par une police municipale coûteuse, dont le rôle initial est pourtant “la prévention, la surveillance de la tranquillité et de la salubrité publique5”. Ce qui prend tout son sens dans le débat actuel lorsqu’on se rappelle que c’est bien Nicolas Sarkozy, tant admiré par Christian Estrosi et Éric Ciotti, qui a supprimé la police de proximité, lors d’une conférence de presse où il n’a pas hésité à humilier publiquement le chef de la police toulousaine, le 3 février 20036.
Mais à Nice, où notre maire hyperactif est capable de s’affronter publiquement avec le “Préfet buldozer” des Alpes-Maritimes Hugues Moutouh, dans un concours de coups de menton pour savoir à qui est le plus balèze7, la “police du maire” n’est pas restée longtemps une police de prévention. Car Christian Estrosi revendique régulièrement davantage de pouvoir pour les maires. En octobre 2021, il réclamait au gouvernement “le droit à pouvoir nous saisir d’un certain nombre de compétences exercées par l’État que nous pourrions exercer mieux qu’eux. Une expérimentation sur deux ans, sur trois ans, et puis on fait un bilan. Et si ça marche mieux, eh bien nous faisons. Et on pérennise, et on nous les transfère définitivement8”. Drôle de conception du rôle de l’État pour un gaulliste…
Très tôt, Christian Estrosi a voulu faire de Nice une “safe-city” : un laboratoire de la lutte contre l’insécurité dans le cadre d’une ville hyper connectée, avec des partenaires privés comme Thales ou Engie-Inéo9. L’efficacité n’étant pas au rendez-vous malgré les coûts importants engendrés, c’est régulièrement que la municipalité croise le fer avec la CNIL (la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) pour aller plus loin et imposer un système généralisé de reconnaissance faciale généré par l’Intelligence Artificielle, dans une ville qui est déjà considérée comme la plus vidéo-surveillée de France. Et les polémiques au lendemain de l’attentat du 14 juillet 2016 sur la Promenade des Anglais, où le système de vidéo-surveillance n’a pas permis d’interpeller le terroriste Mohamed Lahouaiej Bouhlel lors des nombreux repérages qu’il a effectués les jours précédents, n’ont fait qu’amplifier cette fuite en avant10.
En parallèle, Christian Estrosi plaide pour que la police municipale ait plus de prérogatives dans un pays où, dit-il, l’État ne peut pas tout11, en allant jusqu’à vouloir donner à la police municipale des compétences au moins équivalentes à celles de la police nationale12. On savait que le maire de Nice, Président de la première communauté de commune de France, se voyait comme un baron local tout-puissant. Et c’est en toute logique qu’on le voit maintenant revendiquer localement les mêmes pouvoirs que le ministre de l’Intérieur. Le débat ne porte donc pas sur le programme mesuré de la France Insoumise, sur les questions de sûreté et de sécurité, mais sur l’inégalité de traitement que les ultra-libéraux comme Estrosi et Ciotti proposent pour l’ensemble des communes de France. Avec un État qui se désengage progressivement de ses responsabilités sur ces questions, des communes qui auront les moyens de se doter d’effectifs suffisants, et d’autres qui ne pourront pas se le permettre. À Nice, la situation devient hors de contrôle et caricaturale. La police municipale, dont le directeur adjoint, Rabah Souchi, a été nommé par Christian Estrosi après sa condamnation pour violence dans l’affaire Geneviève Legay lorsqu’il était commissaire de la police nationale13, empiète sur les plates-bandes de cette même police nationale et se fait elle-même épauler par Gaida, une police privée, financée par les contribuables niçois et par Côte d’Azur Habitat, principal bailleur social de la ville, et composée d’anciens militaires et de policiers équipés d’armes de catégorie D14. Vive la République, vive la France.
Même dans les communes qui mettent le paquet sur ces questions, les budgets gigantesques alloués à une police municipale quasi exclusivement portée sur une vision brutale du maintien de l’ordre, sont autant de moyens en moins pour l’ensemble des autres dépenses pour la ville qui permettraient d’apaiser les tensions. Travaux dans les écoles vétustes, création de logements sociaux, réhabilitation d’habitat insalubre, rénovation urbaine, missions locales, médiation, financement d’associations, nettoiement, structures sportives, accès à la culture pour tout le monde, et notamment pour les plus jeunes. Autant d’outils d’émancipation et de prévention efficaces dans une ville comme Nice où près d’un·e habitant·e sur cinq vit sous le seuil de pauvreté15. Car le phénomène de la précarité empire d’année en année. Depuis le premier quinquennat Macron, les inégalités se creusent, le monde du travail devient de plus en plus difficile, la pauvreté augmente et le déclassement est un concept bien réel pour qui a de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. Dans ce contexte de stress et de précarité galopante, où les souffrances psychiques et psychologiques augmentent, la consommation et le trafic de drogue progressent, et Nice n’échappe évidemment pas à la règle.
Dès lors, si on l’écoute bien, Christian Estrosi propose donc un désengagement progressif de l’État, à qui il manque déjà, entre autre, 5 000 officiers de police judiciaire pour démanteler les trafics de drogue, d’armes et d’êtres humains16, pour venir faire la guerre aux trafics en envoyant sa police municipale et sa police privée au charbon. En termes d’inconscience, on n’a pas vu mieux. Et disons-le franchement, prendre des risques pour que son patron puisse se faire bien voir en jouant les gros bras devant les caméras n’est pas la fonction d’un agent de police municipale.
Ça n’aura échappé à personne, sauf énième coup de théâtre, les élections municipales de 2026 arrivent avant les élections présidentielles de 2027. La priorité étant de faire baisser le niveau de tension, les budgets devront être ventilés de façon plus homogène afin d’articuler correctement et raisonnablement les politiques de prévention et de répression. Avec une police municipale de proximité, médiatrice et plus proche du terrain, qui renoue un rapport de confiance avec la population, en jouant pleinement son rôle de prévention et de surveillance humaine. Il faut sortir des missions inadaptées, aggravant encore plus la situation comme on a pu le voir au quartier Roquebillière en avril dernier17.
Oublier au passage le super commissariat central Saint-Roch à Nice, véritable mastodonte “mutualisé” à l’inverse de la logique de proximité, et dans lequel les différents corps de police risquent de perdre en indépendance. Car là encore, qui sera le patron ?
Aussi, en tant que cinquième ville de France, il faut tout faire pour appuyer les hausses d’effectifs de la police judiciaire au niveau national en attendant les élections présidentielles de 2027 où nous présenterons de nouveau un programme ambitieux pour refonder le service public de la police. En proposant d’intégrer la police municipale à la police nationale de proximité, “sous l’autorité fonctionnelle du maire pour organiser l’activité quotidienne, et sous l’autorité hiérarchique du préfet”. Avec de réelles avancées en matière de gestion de carrière, de paie, de possibilités de mutation, etc.18
“Des policiers mieux formés, en lien quotidien avec les habitants, sont la clé pour sécuriser efficacement nos quartiers. Nous refusons la course à l’armement technologique et les effets d’annonce sans lendemain. Nous agirons sur les causes profondes de l’insécurité : la pauvreté, le chômage, le mal-logement. Une ville sûre sera d’abord et avant tout une ville juste et solidaire !19”
Olivier Salerno & Anne-Laure Chaintron - Co-chef·fes de file de la France Insoumise à Nice
Pour aller plus loin :
• Résumé en vidéo de cette note de blog à une époque où on avait encore la force d’en rire.
Sources :
1. L’insoumission - Sécurité : les propositions de Jean-Luc Mélenchon
5. Choisir son service public - Policier ou policière municipale
6. Vidéo INA - Nicolas Sarkozy et la fin de la police de proximité
8. BFM Nice Côte d’Azur - Nice : Christian Estrosi demande plus de pouvoirs pour les maires
9. La Quadrature du Net - La smart city se répand comme une traînée de poudre
10. Mediapart - Attentat de Nice : le terroriste a pu procéder à onze repérages
12. BFM Nice Côte d’Azur - Christian Estrosi souhaite plus de pouvoirs pour la police municipale
13. Ici Azur - Le commissaire au cœur de l'affaire Geneviève Legay nommé à la police municipale de Nice
15. Mediavivant - Côte d’Azur, des taux de pauvreté record
16. France Info - "L'investigation n'attire plus du tout" : la police judiciaire face à une pénurie d’enquêteurs
18. L’Avenir En Commun - Sécurité et sûreté, refonder le service public de la police