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Alors que contre tous les pronostics, l’ensemble des forces du Nouveau Front Populaire s’est imposé en tête des élections législatives en France, aucun·e candidat·e de gauche n’a été élu·e dans les Alpes-Maritimes. On en a l’habitude dans ce département, mais il est à noter que sur la première circonscription, celle où Éric Ciotti a été reconduit à Nice, c’était bien à la soirée électorale du NFP que l’on a fait la fête.
Celles et ceux qui n’ont jamais mis les pieds ici peuvent être étonné·es. Nice est coincée au bout du Sud Est de la France, juste avant l’Italie et nos élus locaux font tout pour exporter l’image d’une ville ensoleillée, événementielle, sportive, avec ses plages, ses hôtels de luxe, ses yachts, ses nombreux jets privés et ses navettes en hélicoptère pour relier Monaco.
Souvent, quand les médias m’invitaient lors de la campagne, la ou le journaliste m’annonçait comme le candidat Nouveau Front Populaire du centre ville et du Port. Systématiquement, je corrigeais en précisant que la circonscription sur laquelle je me présentais comptait également les quartiers de Vauban, Riquier, Saint-Roch, Saint-Charles, Roquebillière, Bon Voyage, des Liserons, de Notre-Dame jusqu’aux limites de Magnan. Des quartiers très populaires et peu gentrifiés.
À Nice, un·e habitant·e sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. C’est ici que se trouve le plus pauvre des quartiers prioritaires de France, selon la Fondation Abbé-Pierre1. Qui le sait, à part les gens qui connaissent notre ville ? Il ne faut pas se balader bien loin pour comprendre que la majorité de notre territoire se situe hors de la carte postale, avec toute une partie de la population qui n’y est pas invitée : les familles pauvres et les classes moyennes déclassées ayant peur de basculer dans la précarité. En fond d’une extrême richesse ostentatoire, les élu·es de droite extrême et d’extrême droite soufflent sur les braises du racisme et de la division dans une smart-city ségréguée et surveillée2. Et quand les classes populaires s’emparent de leur bulletin de vote à Nice, c’est pour voter Le Pen ou Mélenchon. Là est l’enjeu.
Justement, alors que l’on sait que les idées d’extrême droite ont le vent en poupe depuis longtemps dans les Alpes-Maritimes, nous avons pu observer qu’une proposition de gauche de rupture et anti-raciste est en nette progression dans les endroits les plus populaires du département. C’est le cas à Nice depuis une petite dizaine d’années, avec une marge de progression possible au regard d’une abstention encore importante. Mais aussi autour de Grasse, sur une circonscription urbaine et rurale avec des zones de montagne, qui a vu la candidate LFI-NFP, Leïla Tonnerre, se hisser au second tour, en duel face au député sortant Lionel Tivoli (RN). Logements, écoles gratuites, urgence sociale et justice fiscale sur un territoire aux fortes inégalités, ces thématiques ne sont pas passées inaperçues durant la campagne qui a été une suite logique d’un travail de fond*.
En 2017, Jean-Luc Mélenchon obtient 17,4% aux élections présidentielles à Nice. Aucun candidat de gauche n’a passé le second tour des législatives qui ont suivi sur les trois circonscriptions que compte la ville, chacun arrivant en quatrième position. En 2022, Jean-Luc Mélenchon obtient 21,5% des voix. Aux législatives qui suivent, Enzo Giusti (candidat LFI-NUPES) arrive à se hisser au second tour de la troisième circonscription, avec 22% des voix au premier tour, face au candidat estrosiste, Philippe Pradal. Il perdra au second tour avec 42,6% des voix. À noter qu’Anne-Laure Chaintron (candidate LFI-NUPES) était arrivée en troisième position sur la première circonscription avec 20,5% des voix, face à Éric Ciotti (LR) et Graig Monetti (Ensemble). Score honorable mais insuffisant pour se hisser au second tour. Deux ans plus tard, le NFP obtient 26,7% sur cette même circo avec ma candidature et relègue Graig Monetti à la troisième place. Lors des élections européennes de 2024, Manon Aubry arrive en troisième position avec 12,3% (13 689 voix), juste derrière Valérie Hayer (Renaissance) qui obtient 13% (14 516 voix), mais devant Raphaël Glucksmann (Place publique-PS) qui fait 10,7% (11 878 voix). À cette même élection, elle n’avait obtenu que 4,7% (4 694 voix) en 2019.
C’est à la vue des dynamiques de ces résultats sur un temps relativement long et avec une connaissance précise de notre ville que nous pouvons comprendre pourquoi, sur les trois circonscriptions de son territoire, les candidat·es NFP sont toutes et tous arrivé·es en deuxième position avec de très bons scores, à cette dernière élection. Derrière les candidat·es ciottistes LR-RN, mais devant tous les candidats de l’équipe du maire de la ville, Christian Estrosi (Horizons).
Plus précisément, sur la première circonscription, nous remarquons qu’Éric Ciotti ne crée pas de dynamique particulière en s’associant au RN. Aux législatives de 2022, il faisait 31,7% au premier tour et le RN faisait 13,3%. En 2024, il fait “seulement” 41,4% au premier tour et ne cumule que 1 775 voix de plus au second avec 45,2% (22 584 voix), qui semble être un plafond infranchissable pour lui sur cette circonscription.
Concernant le NFP, ma candidature totalise 16 077 voix au second tour avec 32,2%, en progression de 2 578 voix entre les deux tours, alors même que Graig Monetti - arrivé troisième au premier tour - a refusé de se désister face à un candidat insoumis. Il perdra 184 voix entre les deux tours et obtiendra 22,8%. Comme un retour de bâton d’une tentative de diabolisation écoeurante qui n’a pas pris chez les électeurs et les électrices niçois·es.
Que serait-il arrivé s’il s’était désisté ? La question reste posée. Ce qui est certain, c’est qu’à aucun moment, nous n’avons douté de son maintien. Nous avons volé le duel des frères ennemis Ciotti-Estrosi, nous, Insoumis·es, que Christian Estrosi exècre et diffame à longueur de journée. L’affront était trop important.
L’adversité n’en est que plus grande pour la gauche au sens large à Nice, dont on a coutume de dire qu’elle est une ville laboratoire au sein d’un pays dont les échelles de valeurs ne font que tendre vers la droite d’année en année, et qui se distingue par le “combat des chefs” que se livrent deux personnalités influentes et d’envergure nationale. L’alternative ne pourra se dessiner qu’en continuant de proposer un changement radical de direction et en structurant cette sortie de la résignation. Cette élection, par l’engouement qu’elle a suscitée et la dynamique de terrain que l’on a pu observer, a prouvé que c’était possible.
Olivier Salerno, candidat LFI-NFP aux élections législatives de 2024 sur la première circonscription des Alpes-Maritimes
*Avec Rodrigo Arenas qui a choisi Nice pour lancer le manifeste pour une école “vraiment gratuite” en janvier 20233.
Avec François Piquemal qui, aux côtés du rassemblement citoyen ViVA!, est venu présenter son projet de loi destinée à faire appliquer les quotas réglementaires sur les logements sociaux début 2024 à Nice4, l’une des villes les plus inégalitaires sur l’application de la loi SRU, malgré des besoins colossaux dans ce domaine.
Avec Manon Aubry, de passage lors des élections européennes pour parler Logement également, notamment sur la pression exercée par un Airbnb hors de contrôle dans notre ville, fortement impactée par le surtourisme5.
Pour aller plus loin :
• 10h en campagne : un reportage de Télé Chez Moi sur la journée de débats du premier tour
Sources :
1. Nice-Matin : Le quartier le plus pauvre de France est à Nice selon la fondation l’Abbé Pierre
2. Éduc’Arte : Tous surveillés, 7 milliards de suspects
3. France Bleu Azur : La FCPE 06 milite pour une école “vraiment gratuite”
4. France 3 PACA : Pour ce député de la France Insoumise, Nice est le “bonnet d’âne de la loi SRU”