Je souhaiterais faire un billet qui ne ressemble pas trop aux nombreux billets et articles déjà postés sur la gestion Franco-Allemande de la crise de l'euro, en particulier suite à la fumeuse proposition d'un nouveau traité Européen ce soir.
Car au-delà de l'union de façade de Merkel et Sarkozy, les deux pays sont dans des situations radicalement différentes et il me semble utile d'aller plus en avant dans cette optique pour tenter de mieux décrypter les enjeux actuels et mieux comprendre les choix qui sont faits.
Le choix du titre porte déjà le sens de ma thèse. Merkel est dans une situation dans laquelle elle souhaite faire des choix de raison, et Sarkozy a accumulé les torts et se retrouve à la traine de l'Allemagne, forçant par là même les autres partenaires européens à une soumission ou une confrontation avec le bloc franco-allemand, et ce faisant il ajoute un tort à son palmarès.
Les raisons d'Angela
L'Allemagne est une locomotive industrielle et financière. Mais cet état ne s'est pas fait ni simplement ni sans casse en Allemagne.
La réunification a coûté des milliards d'euros/de deutschmarks à l'Allemagne, mais lui a aussi permis d'uniformiser le pays autant que faire se peut. L'absorbtion de l'ex RDA a été une opportunité pour l'industrie Allemande qui était déjà forte, et qui a eu la capacité et le soutient du gouvernement fédéral pour investir et continuer à progresser. Le prix à payer fut pour les salariés, l'Allemagne se lançant sous Schröder dans une politique de modération salariale importante.
Cependant cette politique n'est pas si négative que cela en définitive. En effet, l'Allemagne n'a pas eu à subir les effets dévastateurs de la bulle immobilière qui a rongé nombre de pays (USA, Espagne) et qui continue à en ronger certains (France). Ce qui fait que le niveau de vie des Allemands, si il n'a en moyenne pas énormément progressé, est resté maîtrisable, car les besoins de base (se loger, se nourrir, se déplacer) ont été sages. De fait il est plus facile pour un employé Allemand que pour un employé Français de s'acheter une mercedes !
L'Allemagne a vu sa dette largement augmenter suite à la réunification, mais l'industrie étant exportatrice, l'argent rentre dans le pays, ce qui rend la pression moins forte et donne une perspective de pouvoir rembourser ladite dette. Ajouter à cela la vivacité de l'Allemagne en matière de recherche et d'innovation, ce pays avance et s'adapte.
Si bien que Merkel a aujourd'hui des marges de manoeuvre, mais aussi un pacte à respecter. A l'heure ou beaucoup d'états commencent à s'amputer pour réduire les dépenses (on pourrait aussi parler de la possiblité d'augmenter les recette, mais c'est tabou semble-t-il), elle a un contrat social qui veut que les salariés ayant fait des efforts depuis 10 ans, l'état se doit de les protéger. C'est ce qui amène les décisions dures de l'Allemagne sur les émissions de dette européenne par exemple. Le choix d'Angela est à la fois pragmatique et de raison … pour l'Allemagne.
Les torts de Nicolas
La situation en France est beaucoup moins reluisante. Depuis le début du règne de Sarkozy, l'endettement est passé de 1200 à 1850 milliards d'euros (+50% !), avec un déficit commercial qui augmente, l'argent sort donc du pays.
Il faut aussi se rappeler des erreurs fondamentales de vison de Sarkozy. Néo-con élu en 2007, son idole a été battu aux élections américaines en 2008. Lors de sa campagne en 2006/2007, il prônait les emprunts hypothécaires, dont la crise des subprimes a scellé le sort en 2007. Le président Français s'est donc retrouvé sans perspectives, témoin forcé de la faillite de ses idées les plus "révolutionnaires" avant même qu'il ne puisse les appliquer (ce qui est probablement un moindre mal en définitive).
S'en est suivi un long louvoiement. Entre les grands discours sur la nécessité de contrôler la finance ou de taxer les flux financiers et la réalité politique dans laquelle il a benoitement voulu faire passer des vessies pour des lanternes par exemple lors de la création d'une micro liste de paradis fiscaux, qui aujourd'hui est vide tant les conditions pour ne pas en faire partie sont ridicules.
Ajouté à cela des cadeaux monumentaux et idéologiques (TVA dans la restauration, plan d'aide à l'industrie en 2008/2009, prêt aux banques qui a coûté de l'argent aux contribuables, …).
En somme, le pays s'est désindustrialisé, les travailleurs se sont appauvris, la délinquance explose mais l'immobilier tient bon, Paris est une des capitales les plus chères au monde. Comptez 30 ans de travail pour acheter un 2 pièces, mais si vous gagnez au moins 3 fois le smic ! Pendant que les Allemands travaillent pour acheter des mercedes, les Français travaillent pour acheter des logements. Cherchez l'erreur.
A ajouter le détricotage de mesures utiles depuis 2002. La police de proximité, exit. Les 35h réformées. La loi de surendettement faite aux petits oignons pour protéger les sociétés de crédit.
Ce qui donne
De ce fait, il ne faut pas chercher trop loin pour comprendre la situation détestable dans laquelle nous nous trouvons maintenant. Les traités Européens n'ont pas été respectés, en particulier la notion de déficit annuel à 3% et le seuil d'endettement maximum à 60%. Du coup, chacun ayant joué perso, on se retrouve dans une vaste cacophonie dans laquelle tout le monde veut sauver sa peau, mais en espérant que ça ne lui coûte rien.
L'idée d'eurobonds, des titres de dette européens qui reprendraient les dettes des états est une des idées des "fumistes" européens, avec à leur tête un certain Sarkozy. Que l'Allemagne refuse car non seulement elle serait amener à payer pour les erreurs que d'autres ont fait pendant que les Allemands étaient vertueux, mais elle donnerait aussi quitus aux cancres de leur mauvaise gestion. Elle ne ferait en plus que reporter le problème : une dette doit être remboursée, quel qu'en soit le détenteur ! Le serpent se mord la queue, mais l'Allemagne laissant planer la menace d'une sortie de l'euro en cas de création d'eurobond, les cancres se retrouveraient sans le bas de laine Allemand sur lequel ils comptaient pour effacer leurs erreurs.
Donc exit cette idée, et l'Allemagne se retrouve maîtresse du jeu.
Ensuite vient l'idée d'une Europe à plusieurs vitesse, et surtout d'un euro à plusieurs vitesses. Je pense que c'est dans cette optique qu'il faut analyser le possible nouveau traité que proposent Merkel et Sarkozy.
Relativement à l'explication sur les eurobonds, il est facile de comprendre qu'une telle perspective va donner un groupe avec l'Allemagne et un groupe sans l'Allemagne et que tout le monde a envie d'être avec l'Allemagne. Sauf qu'il y aura moins d'élus que de postulants dans le groupe des bons élèves.
Se sachant donc très menacé de perdre le AAA de la France avant la présidentielle, Sarkozy tente donc son va-tout. Une telle perte a tellement été associée à un cataclysme que Sarko n'a pas le droit de le perdre avant la présidentielle si il veut conserver une chance d'être réélu.
Donc il ruse. La France est très menacée mais reste la seconde puissance économique de l'Europe et de la zone euro. L'Allemagne prendrait un risque en n'intégrant pas la France dans une zone euro-deutschmark, mais a aussi la possibilité de laisser l'hexagone de côté vu le risque de déstabilisation financière que nous représentons. Entre les deux hypothèses, Sarko a bien compris son intérêt : suivre l'Allemagne en tentant parfois d'avoir voix au chapitre. Non que Merkel ne l'écoute pas, mais elle a un pragmatisme supérieur d'une magnitude en comparaison à la bande d'avocats d'affaire qui gouverne la France. Alors Nicolas troque son leadership en suivant Angela, parce qu'il n'a pas le choix, parce que c'est un moyen sûr d'être de l'euro-deutschmark, et parce que l'influence qui ressort des sommets Franco-Allemands engage l'Europe d'une façon absolue quand une décision unilatérale Allemande ferait figure de diktat.
En clair, Sarkozy troque la puissance diplomatique de la France pour gagner l'élection présidentielle et contraindre les Européens à suivre Merkel. Je disais au début de ce billet que Sarkozy ajoutait un tort à son palmarès, le voici et il surpasse encore tout ce qu'il a pu commettre jusque'ici !
Et l'Europe dans tout ça ?
C'est là ou le bât blesse.
Déjà de quelle Europe parle-t-on ?
De celle qui déclare applicable un traité Européen rejeté largement en France et revoté en catimini au parlement ?
De celle qui ne trouve rien à redire quand Merkel et Sarkozy interdisent aux Grecs l'auto détermination ?
De celle qui est gouvernée par une commission non élue et notoirement influencée par les lobbys ?
Cette Europe est déjà morte de facto, disons qu'elle est en phase terminale. Et il n'y en a aucune pour la remplacer à l'heure actuelle.
Est-ce à cela que servirait un nouveau traité européen ?
Il faudrait déjà qu'il soit ratifié par les peuples. Sarkozy osera-t-il un référendum européen après celui de 2005 et juste avant la présidentielle. Je n'y crois pas une seule seconde.
Le nouveau traité ne ferait que reprendre les anciennes méthodes et les adapter pour un fonctionnement identique mais restreint à quelques états. Autant dire qu'il ne s'agirait que de reculer pour mieux sauter. Les raisons qui ont amené la situation actuelle resteraient présentes, on n'aura fait qu'élaguer les branches considérées comme mortes, mais ce ne serait qu'une question de temps pour que d'autres branches meurent à leur tour.
Alors ?
Alors il est peut être temps pour un vrai débat européen. Pour une construction européenne non aux mains des financiers et des marchands mais des citoyens. Pour des perspectives d'une protection sociale par le haut, d'industrialisation, de recherche et d'éducation au niveau du continent. Une discipline économique qui permette à tous les étas de suivre. Une monnaie unique ? Pourquoi pas, même si l'euro montre à quel point c'est à la fois dangereux et pratique. Bref, repenser l'Europe. Celle de Schuman s'étiole, mortifiée par des choix réalisés par des technocrates et non par les citoyens, une nouvelle perspective est nécessaire.
L'Europe est encore la première puissance économique du monde, nous sommes à un tournant, si l'on veut préserver ce fait (ce qui ne signifie pas écraser les autres), il faut réagir maintenant plutôt que de continuer à accélérer vers l'abîme.