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Billet de blog 22 juillet 2015

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Le programme grec: Varoufakis, Sapir et Benassy-Quéré

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Exercice intéressant que la confrontation des discours de Varoufakis, Sapir et Benassy-Quéré. Particulièrement notable que dans le domaine où ces trois économistes ont une véritable expertise, la macroéconomie, il y a une véritable convergence de vue sur le fait que le programme n’est tout au moins pas réaliste, sinon contre-productif. En revanche, les approches sur les réformes structurelles sont conflictuelles car fortement influencées par des idéologies contraires. Les positions de YV reflètent une vision néo-marxiste de l’État pour laquelle l’enjeu du conflit actuel est essentiellement le remplacement au commandes de l’Etat grec de l’oligarchie nationale par les représentants de l’oligarchie économique et financière européenne.  Pour AS et de façon moins virulente pour AB-Q, leur vision néo-libérale de l’Etat les incite à penser que la crise actuelle devrait permettre à la Grece de « neutraliser » l’Etat et ses interférences dans les mécanismes de marché pour le rendre conforme aux exigences des normes du marché intèrieur européen et de la globalisation. Pour autant, aucun de ces deux derniers économistes n’apporte de réponse aux points de substance soulevés par YV lorsqu’il souligne par exemple les risques d’appauvrissement liés à l’assainissement du secteur bancaire selon la législation en préparation. Je propose un troisième point de vue, celui des leçons tirées de « Croissance pendant les années 90 : Apprentissage d’une décade de réformes » selon un rapport assez autocritique publié par la Banque Mondiale en 2005 et dont les conclusions restent à ma connaissance très largement partagées par les économistes qui travaillent sur le développement et les transitions économiques. Une des conclusions principales du rapport est que s’attaquer à plusieurs faiblesses à la fois n’est pas un gage de succès et qu’il est préférable de se concentrer sur ce qui permet de relancer rapidement la croissance pour progresser ensuite pas à pas dans le processus de réforme.

Le programme de réformes sous-jacent au deuxième programme d’aide dont l’échec a conduit à l’élection de Tsipras puis au « non » massif exprimé lors du référendum et qui au vu des conclusions du Conseil semble devoir renaître de ses cendres ne contenait pas moins de 21 têtes de chapitre. Au risque d’ennuyer, il n’est pas inutile de les lister pour montrer l’absurdité de la démarche. La liste inclut « la privatisation »,  « réforme de la politique fiscale », « réformes de l’administration fiscale »,  une « stratégie anti-corruption »,  «une « réforme de la gestion des finances publiques », « Rendre l’administration publique plus efficiente et efficace »,  « Modernisation du système de santé »,  « Améliorer le système d’éducation », « Recherche, développement et innovation » , « Stabilisation du système financier », « Réformes du marché du travail », « Filets de sécurité sociale », « Promotion d’un environnement efficient et concurrentiel pour les entreprises »,  « l e  commerce de détail »,  « Professions réglementées et qualifications professionnelles », « Réforme du système judiciaire »,  « Politique de l’énergie », « Communications électroniques », « Transport », « Agriculture et développement rural ».  L’absence de priorisation se traduit aussi par le  fait que le Conseil des Chefs d’État et des premiers ministres de la zone euro considère comme indispensable à coté de la stabilisation du système financier de réformer  dans l’immédiat la réglementation de la distribution du lait, des boulangeries et du droit de propriété  des pharmacies (voir les conclusions du 13 juillet). Ceci ne laisse dans un tel contexte présager rien de bon pour le contenu du troisième programme d’aide.

Le deuxième programme de réformes et les mesures préalables au troisième programme  reflêtent d’abord l’intérêt  des bailleurs de réduire à court terme le montant des prêts  par une augmentation de la fiscalité et une réduction des dépenses au risque d’accentuer la récession ainsi que par une accélération des privatisations malgré des conditions défavorables. Il inclut aussi une partie programmatique liée au parachèvement du marché intérieur en  accentuant l’ouverture de l’économie grecque à la concurrence européenne dans des secteurs comme le commerce de détail, l ‘énergie, les transports. Il ne procède pas d’une véritable analyse de ce qui ferait sens aujourd’hui en Gréce pour relancer rapidement la croissance et l’emploi et engager  un processus de réformes  « étape par étape »  dans un contexte porteur.  L'assistance technique que la Commission va fournir accentuera encore ce biais "Parachèvement du marché intérieur" au détriment d'une réflexion sur la séquence qui permet de relancer rapidement la croissance (qui n'est pas vraiment dans les gènes institutionnels de la Commission).

Les raisons pour lesquelles des programmes qui s’attaquent à tout à la fois sont inopérants sont connues.  Elles sont pour l’essentiel au nombre de trois, économie politique, capacités adminsitratives, méthode. La première est liée à la faisabilité politique : les réformes structurelles ont en général un coût immédiat en terme de revenus et/ou d’emplois pour ceux immédiatement concernés tandis que les bénéfices sont diffus (baisse de prix) ou  tardent à venir (création d’emplois dans d’autres entreprises) surtout en période de récession. S’attaquer simultanément à toutes les « rentes » - du « boulanger » aux fonctionnaires en passant par les professions libérales, les petites et moyennes entreprises de transport, les salariés,etc. - comme l’exigent avec élan de nombreux politiques et éditorialistes européens sans être pour autant redevables aux électeurs grecs, c’est susciter un large front « anti-réformes ». Aucun homme  politique européen ne songerait d’ailleurs à une telle stratégie pour son propre pays car il la saurait condamnée à l’échec au moment même de sa formulation.  La deuxième est liée à la capacité administrative. La mise en oeuvre de réformes a un coût administratif : formation, changement de pratique et nécessité de motiver les fonctionnaires… Les capacités en la matière sont limitées et encore diminuées par les restrictions budgétaires. La troisième raison est de méthode. D’une part en augmentant le nombre de réformes, on augmente les risques d’incohérence. D’autre part, on sait que les conséquences  et l’efficacité d’une réforme dépendent très largement du contexte dans lequel elle est appliquée. Ce qui a marché dans un pays à un moment donné, ne marchera pas nécessairement dans un autre pays ou à un autre moment. Il est donc essentiel de procéder pas à pas et d’évaluer les conséquences des réformes à chaque étape pour, si nécessaire, corriger le tir. Multiplier les fronts de réformes réduit la lisibilité du processus et brouille toute tentative d’évaluation des réformes prises une à une. 

Multiplier les réformes à accomplir  a toutefois une conséquence bénéfique pour les  « experts » qui formulent le programme. L’efficacité du programme devient fondamentalement non-falsifiable car il est toujours possible d’argumenter sans preuve véritable  que c’est justement la réforme qui n’a pas été menée à bien qui aurait garanti le succès. C’est d’ailleurs bien le discours que l’on entend actuellement dans différentes formes dans la bouche des politiques et des « experts » (et qui n’est pas devenu un expert de l’économie grecque ? ).

En bref, pas plus que le programme macroéconomique, le programme de réformes n'est crédible du seul fait de sa complexité et son amplitude. Il faut lui fixer des priorités et arrêter de mettre l'ensemble de la société grecque sous tension. Un directeur du FMI a décliné en 2011 sur son blog les quatre principales raisons qui ont assuré le succès du programme de redressement islandais. Pour trois de ces raisons, c’est exactement le contraire a été fait en Grèce. La première est qu’il a été très largement possible d’éviter  que les pertes des banques  ne soient supportées par les contribuables. La deuxième est que l’ajustement budgétaire a été retardé et que l’on a laissé jouer les stabilisateurs automatiques de l’activité économique, notamment en ne coupant pas dans les transferts sociaux. La troisième est de n’avoir inclus dans le programme du FMI que ce qui était immédiatement nécessaire à la reprise, c’est à dire pour l’Islande la consolidation du  système financier, en repoussant à une période plus propice d’autres réformes.  Seule la quatrième, la stabilisation du taux de change est conforme à ce qui prévaut (encore) en Grèce. Le cas grec diffère certes à plusieurs égards du cas islandais. Mais il est certainement possible et ne serait probablement pas inutile que le troisième programme d’aide qui va être négocié s’inspire un tant soit peu de ces principes. Ceci devrait être d’autant plus facile que le directeur responsable de la Grèce au FMI, P. Thomsen, n’est autre  que le blogueur qui a si bien  commenté le programme islandais. 

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