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Billet de blog 4 juillet 2025

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Projet de loi pour l’aide à mourir : comment trouver l'équilibre ?

Il nous reste collectivement, citoyens, législateurs, soignants, quelques mois pour échanger, dialoguer et réfléchir à la manière de garder à cette proposition de loi sur l’aide à mourir la possibilité de soulager quelques-uns en dernier recours, sans accabler les malades vulnérables nombreux, ni ruiner le soin qui leur est nécessaire.

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La loi pour la fin de vie créant un droit à l’aide à mourir en France est en cours d’élaboration. Après avoir adopté le 27 mai 2025, avec modifications, à 305 voix pour, 199 contre, et 57 abstentions, la proposition de loi déposée par le député Olivier Falorni, l’Assemblée nationale franchit une première étape ; il reste un travail probablement long sur plusieurs mois, au Sénat, et en cas d’amendements, aux deux Chambres, de relecture et de précisions.

La question qui se pose alors tant aux élus, qu’aux citoyens, qu’aux soignants, est de savoir si le plus important est d’obtenir ou d’interdire l’acquisition au bout de la procédure législative de ce nouveau droit inédit, considéré par les uns comme un progrès de disposer de sa fin de vie, et par les autres comme un danger pour des personnes vulnérables ; ou bien si l’effort collectif de concertation et de réflexion doit porter sur les modifications de contours et d’application qui restent à définir, tout en préservant cette liberté nouvelle. Dit autrement, l’important est-il d’être et de rester pour ou contre, ou de s’intéresser à l’équilibre de la loi ?

Il faut prendre acte que cette loi ouvrant une liberté nouvelle est attendue par la majorité des citoyens et des élus, après une longue série de consultations, notamment celle de la convention citoyenne (rapport du 02 avril 2023) et celle du comité national consultatif d’éthique (rapport du 13 septembre 2022). Des appréciations radicales et opposées sur la question (pour ou contre) demeureront tant en raison du vécu de chacun, des convictions religieuses ou des considérations éthiques, de la proximité à la fin de vie, de la peur de la mort ou de la souffrance ou de la déchéance, ou de l’expérience des situations palliatives.

La démarche suivante est celle de tolérer ces oppositions, et de laisser de côté, quoi qu’il nous en coûte, cette première question (pour ou contre), pour se pencher sur la deuxième question et d’en apercevoir toute l’importance. La loi passera par démocratie, et elle apportera à certains une réponse pratique (un acte ou une potentialité) qui sera un soulagement ; et dans le même temps, la même loi (si elle reste dans les contours actuels de la proposition adoptée) mettra une pression sociale et accroîtra de manière injuste la souffrance d’autres personnes en situation de vulnérabilité, tout en réduisant au silence forcé le médecin face au désir de mort exprimé. La question de l’équilibre de la loi, qui apporte des solutions aux uns en veillant aux effets négatifs sur les autres, est alors fondamentale. Elle nous concerne tous, et elle ne peut être travaillée que dans un effort de concertation et de compréhension élargie des situations complexes et éloignées.

            Voici en quelques étapes des éléments de réflexion sur « la phase avancée ou terminale » d’une maladie incurable et sa compréhension plus ou moins large dans la loi à venir.

L’agonie qui précède de quelques heures à quelques jours le décès est facile à reconnaître (elle est absente dans le cas des morts subites). La phase terminale peut être reconnue de manière assez précise et elle précède la phase agonique. Elle marque une proximité à la mort, une évolution inexorable (avec des défaillances d’organes), et un pronostic vital engagé à court terme. Des erreurs d’évaluations médicales sont possibles (avec le rétablissement inattendu du malade après une période d’aggravation).

Il en va tout autrement de la phase avancée qui renvoie au pronostic à moyen terme. Elle ne peut être reconnue avec objectivité à l’échelle individuelle comme le rappelle le dernier rapport de l’HAS du 30 avril 2025. La phase avancée de la maladie regroupe un nombre très large de situations, très éloignées entre elles, qui peuvent connaître des améliorations comme des aggravations.

Ces deux notions sont à la base des deux grandes dernières lois françaises sur la fin de vie, la loi Léonetti du 22 avril 2005 et la loi Clayes-Léonetti du 02 février 2016. Cette dernière autorise durant la phase avancée ou terminale le refus de l’obstination déraisonnable, l’antalgie, ou la limitation de soins quitte à accélérer le décès ; elle autorise en plus « la sédation profonde et continue jusqu’au décès » uniquement pour la phase terminale, pour le malade avec un pronostic engagé à court terme. Dans ce cadre législatif, qui respecte l’interdit fondamental de donner la mort, relevons les décisions qui conduisent ou accompagnent la fin de vie.

Qu’est-ce qui conduit à l’évolution vers la fin de vie (avec le passage de la phase avancée à la phase terminale) ? Soit l’évolution de la maladie sans intervention, soit la décision de ne pas intervenir (refus de l’obstination déraisonnable), soit la décision d’arrêter des traitements lorsque l’évolution s’accélère (limitation) conduit à la fin de vie. Aucune intervention directe ni aucune intention n’est présente. Qu’est-ce qui provoque le décès (sa cause immédiate) ? En phase terminale ou en phase agonique, les médicaments antalgiques qui soulagent la douleur et ceux sédatifs qui réduisent l’anxiété ou endorment peuvent avoir comme effet indirect d’accélérer le décès ; ou encore la défaillance d’organes est la cause immédiate du décès. L’intention de donner la mort est absente.

La différence entre le cadre législatif actuel et le projet de loi sur l’aide à mourir, considérés uniquement dans la phase terminale est manifeste : l’aide active et rapide à mourir avec intention à la demande du patient libre et éclairé remplace une aide à mourir passive, plus lente et sans intention. Du point de vue du patient, il y a une liberté supplémentaire de soulagement qui est aussi manifeste, qu’il en use ou pas le moment venu. Du point de vue de l’éthique du soignant et de l’ensemble de la société, il y a bien-sûr un changement radical. Si on se cantonne à la phase terminale qui est arrivée du fait de l’évolution de la maladie, ou des choix du patient (refus de se faire amputer par exemple), ou des décisions médicales concertées avec le patient, le projet de loi apporte une liberté (potentielle) à certains malades sans mettre de pression sur d’autres personnes.

Pouvons-nous envisager une restriction aussi forte de la loi d’aide à mourir à cette seule phase terminale ? Une telle restriction serait décevante pour les malades qui se sont battus pour réclamer ce droit, notamment ceux atteints de maladie de Charcot ou d’un état paralytique quasi-complet ou d’une maladie respiratoire avec détérioration progressive. Nous pouvons comprendre ou tolérer que cette demande d’envisager ce droit de manière plus large est légitime.

            Il faut alors envisager une maladie grave incurable à « une phase avancée » pour la loi sur la fin de vie. Avec « la phase avancée », le champ s’est subitement et énormément élargi, et des personnes qui devraient être soutenues dans l’épreuve se trouveraient sous pression de choisir la fin de vie.

La phase avancée séparée de la phase terminale renvoie à des malades très nombreux (près d’un million de personnes atteints de maladies chroniques graves incurables). Même en l’absence de traitements curatifs, ces personnes peuvent relever de traitements de soutien, ou de réadaptation, ou antalgiques, ainsi que de mesures sociales qui permettent d’améliorer leur qualité de vie, après une période difficile, et de vivre plusieurs mois ou plusieurs années.

Pour être concret, nous prenons l’exemple de personnes atteints d’une maladie artérielle périphérique évoluée, après échecs de traitements (dits de revascularisation), et pour lesquelles une amputation de jambe ou de cuisse devient nécessaire. Une phase de dépression sur plusieurs mois accompagne cette dernière évolution. Dans un nombre très limité de cas (approximativement 1 sur 10), la situation est terminale et elle se ramène à ce qui a été dit précédemment, tant sur le plan éthique que médical. Dans les autres cas (9/10), avec le cadre législatif actuel, ces malades nécessitent de longs soins, du soutien psychologique et familial, de la rééducation, un appareillage et ils surmontent le plus souvent l’épreuve, et après de longs mois ils retrouvent une qualité de vie malgré leur handicap pour vivre de longues années. Ces mêmes personnes (9/10) avec la loi d’aide à mourir élargie à « la phase avancée de la maladie », dans la période de grandes souffrances physiques (et les douleurs sont énormes autour de l’amputation) et de souffrance psychique et parfois sociale, pourraient se laisser aller à choisir le suicide assisté, et les soignants seraient tenus de ne pas les aider comme ils le font actuellement en raison du « délit d’entrave ». Nous aurions une partie des gens désespérés qui ont subi une conséquence négative de la loi envisagée, et pour lesquels une relation de soin longue et sereine n’a pas pu être tissée pour envisager une reconstruction après l’épreuve.

Il faut insister sur le temps long nécessaire pour aider ces patients et sur la démarche de soin en face d’une personne qui exprime un désir de mort dans une période d’épreuve. Celle-ci a des moments de relâchements, et il est nécessaire de l’écouter, de l’accompagner, et de l’aider dans un projet de soin pour continuer à vivre. L’option du suicide assisté doit être écartée du soin dans un premier temps pour permettre l’acceptation.

D’autres exemples de maladies incurables à une phase avancée, qui donneraient lieu à des dérives, sont fournies par la maladie psychiatrique, ou le cancer avec métastases avec un pronostic de plusieurs années de vies, ou encore une maladie rénale avec dialyse.

Ainsi, une loi trop restrictive (limitée à la seule phase terminale) serait insuffisante pour répondre aux cas de malades peu nombreux, dans une phase très avancée, désemparés qui ne trouvent pas assez de liberté de soulagement ; et à l’inverse, une loi trop large comme l’est la proposition du 27 mai 2025, serait très dangereuse pour des malades nombreux vulnérables et désespérés qui nécessitent du soutien pour surmonter une période douloureuse et affreuse.

            Comment envisager une loi plus équilibrée ? Pouvons-nous au moins lancer quelques jalons de cette réflexion nécessaire ?

D’abord, une distinction tout à fait nette entre la phase terminale et la phase avancée mérite d’être maintenue, pour traiter le pronostic à court terme de manière séparée dans la loi. Une raison essentielle à cette séparation est le délai de réflexion du patient ainsi que le délai d’application de l’aide active à mourir. Pour reprendre notre exemple concret de nos dix patients, celui qui est en phase terminale (du fait de son âge, de l’intrication de ses différentes maladies, et de ses défaillances d’organes), s’il refuse l’amputation de jambe, et s’il souhaite le suicide assisté avec une mort rapide, alors le délai de réflexion et d’application de la loi doit être court (de quelques jours comme dans la proposition de la loi). Cette séparation reprendrait celle de loi Clayes-Léonetti de 2016 dans un même esprit d’équilibre (la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès est réservée uniquement au pronostic vital engagé à court terme). Elle permettrait de répondre à la liberté de chacun disposer de sa fin de vie. Sur le plan pratique, le soin doit être premier. Les soins palliatifs doivent être non seulement proposés en premier (comme l’indique la proposition de loi), mais réalisés en premier. Un grand nombre de demandes de mort rapide disparaissent lorsque la douleur du patient est soulagée, que son anxiété est diminuée, et qu’il est accompagné.

Pour la phase avancée séparée de la phase terminale, lorsque le pronostic n’est pas engagé à court terme, le point crucial serait alors de proposer un délai de réflexion et d’application de la loi de plusieurs mois (3 à 4 mois). Pour restreindre le nombre de patients trop large concerné par la proposition de loi, un critère supplémentaire serait encore nécessaire (sans s’appuyer sur le pronostic temporel). On pourrait prendre en compte l’absence d’amélioration sur plusieurs mois malgré des traitements de soutien. Une réunion collégiale médicale et psychiatrique pourrait examiner la demande sur un temps long.

Il reste à faire valoir que le suicide assisté ou l’euthanasie doivent rester des exceptions, et non pas une réponse aux personnes vulnérables ou très malades ou handicapés. La réponse doit rester le soin. Un droit à l’aide à mourir, s’il est proposé comme une alternative et non comme un dernier recours, aura tendance à s’élargir à de plus en plus de situations, avec de moins en moins de justifications. Il est donc essentiel d’inscrire et de réaliser le soin en premier, au plus près des personnes malades, dans un temps plus ou moins long selon qu’elles se trouvent en phase uniquement avancée ou en phase terminale.

            Il nous reste collectivement, citoyens, législateurs, soignants, quelques mois pour échanger, dialoguer et réfléchir à la manière de garder à cette proposition de loi sur l’aide à mourir la possibilité de soulager quelques-uns en dernier recours, sans accabler les malades vulnérables nombreux ni ruiner le soin qui leur est nécessaire.

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