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Billet de blog 30 janv. 2023

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Ritaline, capitalisme et procrastination… Chroniques d’un TDAH désoeuvré

Tant que mes troubles ne mettent pas en danger ma vie ni la vie d’autrui, je préfère les laisser m’habiter et exorciser ces ruminations à travers d’autres formes de thérapie comme l’écriture, la nourriture, les gens… plutôt que de chercher à assommer mes démons avec des psychostimulants surpuissants et superproductifs, dont l’administration participe d’une logique capitaliste.

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Il y a environ un an, ma psychiatre m’a diagnostiqué un trouble de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Il s’agit d’un trouble psychologique qui entraîne un manque d’attention, et donc des difficultés à se concentrer, ainsi que dans certains cas, une hyperactivité physique et mentale : des pensées qui tournent en boucle sur des choses qui n’ont pas de rapport avec les circonstances de temps et de lieu. Une incapacité à rester immobile. Bref, beaucoup de choses qui m’ont mené à écrire cet article, au moment même où je devrais être en train de travailler pour la fac, article que je vais probablement écrire à 90% puis laisser pourrir dans mes brouillons et dont la mise en page me prendra surement dix fois plus de temps que l’élaboration de l’article en lui-même. 

Bref, c’est ça avoir un TDAH. Je me suis souvent demandé si c’était quelque chose de réel, si tout le monde n’avait pas un petit peu un TDAH, dans la mesure où il s’agit de symptômes que tout le monde peut avoir et qui ne sont pas en eux-même révélateurs d’un trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité. En effet c’est deux variables, la récurrence des symptômes, classée de 0 à 3, 0 signifiant jamais et 3 très souvent; ainsi que la présence d’un ensemble de ces symptômes qui permet ou non d’établir un diagnostic de TDAH. 

A priori, arriver en retard de temps en temps ou oublier ses clefs n’est donc pas en soi le signe d’un TDAH. C’est plutôt la présence d’un ensemble de symptômes, et l’évaluation du degré d’incidence sur la vie quotidienne de l'individu qui permettent d’établir le diagnostic. Par exemple, des difficultés scolaires, sociales ou professionnelles peuvent amener à entreprendre une démarche de diagnostic. 

Disclaimer : cet article est biaisé. Je ne suis pas médecin et je parle en mon nom et uniquement en mon nom. Il est donc normal que certaines personnes ayant le TDAH ne soient pas d’accord avec moi et je ne cherche pas à représenter l’ensemble des personnes atteintes de ce trouble.

Il m’est simplement utile, et j’espère que ce sera aussi utile à d’autres, d’essayer de creuser sur le sujet, de définir mon trouble et son incidence sur mon quotidien en dehors du cadre de l’institution psychiatrique et donc de manière subjective. 

J’ai un TDAH sévère et combiné. Selon le diagnostic. Combiné signifie que j’ai à la fois de l’hyperactivité et un déficit de l’attention. Face à ce diagnostic, ma nouvelle psychiatre m’a proposé de prendre un traitement à base de ritaline. La ritaline est un psychostimulant utilisé depuis les années 90 pour traiter le TDAH. Je ne m'attarderai pas sur l’aspect chimique de cette molécule, mais en gros, le problème avec le TDAH, c’est que la dopamine ne circule pas correctement dans le cerveau, et donc ce médicament permet de rétablir une circulation de la dopamine fluide et régulière. 

Sauf que, comme beaucoup de psychostimulants, il est parfois utilisé de manière non prescrite, notamment par des étudiants souhaitant améliorer leur concentration et leur productivité avant les examens. C’est ce que montre cette étude américaine sur l’usage des psychostimulants par un échantillon de 1718 étudiants en médecine et professionnels de santé français : 33% d’entre eux avaient déjà consommé des psychostimulants au cours de leur vie dont 5,2% de manière illicite. Ils en consommaient surtout dans le but d’améliorer leur performance aux concours de médecine. 

Dans le monde anglo-saxon, la ritaline a même été surnommée la “kiddy coke”, une coke pour enfants donc. Dans son livre La fabrique du monstre, le journaliste marseillais Philippe Pujol raconte la vente de ritaline comme une cocaïne de substitution dans les quartiers les plus paupérisés de la ville, notamment à Noailles. 

Bref, la ritaline est loin d’être un simple médicament qui se limite aux prescriptions médicales. Pour tout dire, j’en ai moi-même consommé de manière récréative. 

Mais maintenant je voudrais répondre à l'éventualité d’un traitement à base de ritaline qui m’a été proposé, et y répondre en tant que question politique. Je ne cherche pas à faire le procès de la ritaline au nom de tout.es celleux qui en ont pris, ni à remettre en cause l’expérience de celleux qui ont ou ont eu besoin de ce médicament pour effectuer des tâches de la vie quotidienne et à qui ce médicament à été utile (sur)vivre. 

Mais j’aimerais, à titre personnel, critiquer le projet d’un traitement à base de ritaline sur ma personne. Premièrement parce que j’ai le souvenir, au moment où j'ai pris de la ritaline, que cela m’a rendu plus productif et que c’est cette productivité qui serait recherchée si je reprenais un traitement. 

La ritaline me permettrait de devenir plus efficace, plus productif, de ne pas décrocher, même dans les cours qui m’ennuient. Mais est-ce que j’ai envie d’être plus productif et efficace, même en faisant des choses qui ne m’intéressent pas? Est-ce que j’ai envie que la ritaline me donne l’énergie de passer des concours, de travailler sans me déconcentrer, de ne pas m'emmêler les pinceaux dans les tâches de la vie quotidienne? Est-ce que je souhaite perdre tous ces réflexes spontanés, interruptions au beau milieu d’une conversation, rêvasseries, qui malgré leur incidence sur mon quotidien, finissent souvent par me faire rire et faire rire mon entourage, provoquant l’autodérision qui rend mon trouble plus léger à supporter? 

Et surtout, surtout, est-ce que j’ai vraiment envie de faire tout comme les personnes neurotypiques, c'est-à-dire celleux qui ne sont pas atteints de troubles psys, de leur ressembler, d’agir avec fluidité et efficacité. Est-ce que j’ai vraiment envie de dire au revoir au chaos, à ce quotidien bordélique et désorganisé? Peut-être que j’ai le privilège d’avoir, malgré mon TDAH, une vie bien rangée, de faire des études et de ne pas être totalement détaché d’une vie sociale considérée comme “normale” mais il me semble qu’il y a de la beauté dans le chaos, qu’il y a de la poésie dans le bordel d’une vie déréglée par un trouble comme le TDAH, et qu’un traitement à base de ritaline tuerait toute cette esthétique du désastre. 

Et puis ça me fait chier, cette course à la productivité, cette façon que la psychiatrie a parfois de vouloir nous forcer à faire les choses “bien” et de ne pas nous les laisser faire à notre façon, tout simplement. Alors je suis d’accord, si je tue un piéton en conduisant parce que j’ai un TDAH et que je n’étais pas attentif, ce serait quand même dommage, mais tant que mes troubles ne mettent pas en danger ma vie ni la vie d’autrui je préfère les laisser m’habiter et exorciser ces ruminations à travers d’autres formes de thérapie comme l’écriture, la nourriture, les gens… plutôt que de chercher à assommer mes démons avec des psychostimulants surpuissants et superproductifs, dont l’administration participe d’une logique capitaliste, qui consiste à toujours vouloir rendre les individus plus productifs et adaptables au moule néolibéral plutôt que de les laisser exister avec leurs bizarrités. 

Bref, cela éclaire mon refus de prendre un traitement à base de ritaline, même si je prend par ailleurs un traitement contre mes problèmes d’anxiété et d’insomnie. Je pense que la variable déterminante dans l’administration d’un traitement reste avant tout le consentement du consommateur, et sa libre expression à ce sujet. 

Oni Apostolo

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