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Billet de blog 16 novembre 2011

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Réarmer financièrement les États pour la transition écologique et sociale, interview Alain Grandjean

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Interview Alain Grandjean

Le vendredi 11 novembre 2011, les JECO, Journées de l'économie, à Lyon, portaient sur 'Le Financement de la Transition Écologique et Sociale'.
Déçus par l'absence totale de propositions sur le financement d'une politique industrielle pour la France, le jour précédent, (voir article) nous avons interviewé l'économiste et polytechnicien Alain Grandjean, spécialiste des problèmes écologiques et climatiques, entrepreneur avec une PME de conseil sur la dé-carbonisation (Carbone4), membre de la Veille écologique de la Fondation pour la Nature et l'Homme (ex Fondation Hulot), et expert auprès de Terra Nova. Car Grandjean est aussi un chercheur depuis plus de 20 ans sur les mécanismes de crédit et de création monétaire propre à l'investissement productif.

Question: C'est quoi pour vous la transition écologique et sociale, titre de table ronde ce matin?

Alain Grandjean: Un constat succinct: ce modèle économique actuel n'est pas durable à cause de la crise de la biosphère, la crise climatique, Il faut changer de trajectoire et le calendrier est court.

Il s'agit d'une question dure et structurelle. Il nous faut investir dans le social et l'environnemental là où la rentabilité financière telle qu'elle est calculée habituellement n'est pas forte, par exemple 30 millions de logements à équiper! Il nous faut ré-conquérir des positions dans des secteurs d'avenir. Il faut réfléchir aux mécanismes possibles de financement d'une nouvelle politique.

Aujourd'hui dans le monde, un certain nombre de grands pays ne suivent pas la voie du 'toujours plus de libéralisme'. Et on peut imaginer des blocs de pays autour de solutions alternatives comme il commence à en apparaître en Amérique du Sud.

Question: Vous avez dit: "Il n'est pas très malin de la part de l'Union Européenne de continuer à jouer le grand marché ouvert." Alors est ce que vous considérez que la politique de libre concurrence est contraire au besoin d'une nouvelle politique industrielle?

A. Grandjean: Le paradoxe, dans la construction de l'UE, provient du fait que c'est le fruit d'une politique financière libérale, un machin bizarre, car il y a aussi une certaine emprise administrative. Mais il y a bien une volonté de libéraliser au maximum, de domination du privé sur le public, c'est lent mais cela va en s’accélérant à grande vitesse, comme dans la domaine de l'énergie par exemple. Et puis en conformité avec l'OMC (l'Organisation mondiale du Commerce) l'Union européenne cherche à réduire absolument les droits de douane et s'oppose à tout protectionnisme. C'est un problème d'économie politique qui n'est ni de droite ni de gauche.

L'absence de protectionnisme fait qu'une politique intelligente n'est plus possible ni pour l'environnement ni pour le social. Il n'est plus possible de concevoir une politique industrielle européenne sous prétexte de compétition internationale, dans un esprit de concurrence libre et non faussée, et dans cet esprit on refuse tout accord contraignant, jugé comme protectionniste et donc non souhaitable. Donc on dé-industrialise la France au profit de la Chine en particulier.

Question : Patrick Arthus a dit que l'économie était dirigée par les désirs de rendement élevés et immédiat des vieux (fonds de pension) aux dépens des jeunes - qui se retrouvent en CDD- car l'investissement productif industriel est à très long terme et de rendement trop bas pour capter les rentiers.

A. Grandjean: Une politique industrielle est incompatible avec l'euro-libéralisme, donc il n'y en a aucune, il n'y en a pas, c'est impossible. Pour investir à long terme, il faut inverser les tendances actuelles, surtout avec le système d'effet de levier... Vouloir obtenir 10 à 15% de rendement sur le capital écrase l'industrie. Ce qu'il faut c'est ce que Keynes appelait "l'euthanasie des rentiers", ça s'est passé dans les années 30 pour tenter de sortir de la crise économique. La politique américaine avant la crise de 1929 était comme aujourd’hui, elle favorisait la rente contre l'industrie et l'innovation.

Pour qu'un système financier ne donne pas des revenus si élevés il faut une régulation forte. Il faut sortir de la spirale infernale et mettre des disponibilités dans le système, réarmer financièrement les États, forcément pour le long terme, redonner à la puissance publique des moyens financiers.

Et ce n'est pas qu'une pure question de moyens: remettre en place de la régulation, des règles, demandera un corps d'inspecteurs pour faire respecter ces règles, pour imposer une justice financière.

Question: Vous avez dit à la table ronde ce matin, je vous cite: "C'est une théorie très contestable celle qui dit que la création monétaire crée l'inflation."

Or, quand on prononce les mots 'création monétaire', certains montent au plafond et s'écrient: 'vous voulez faire marcher la planche à billets'! Votre réponse?

A. Grandjean: Évidemment qu'il y a eu des périodes d'hyperinflation, au moment de la révolution française, dans certains pays en développement, notamment avec des pouvoirs en place de type 'prédateurs'.

Mais, premièrement, on a beaucoup de moyens d'éviter ce genre de problème.

Deuxièmement, Il ne s'agit pas de verser dans l'excès de création monétaire mais de financer des projets précis.

Troisièmement, il s'agit d'augmenter la création monétaire publique tandis que l'on comprime beaucoup la création monétaire privée ! L'effet de levier sera beaucoup diminué si on régule plus. L'idée d'une augmentation mécanique est un faux problème.

Quatrièmement, la théorie monétariste selon laquelle la création monétaire augmente les prix est tout simplement fausse. L'histoire le montre: l'inflation a été limitée durant les '30 Glorieuses', et elle arrive avec l'augmentation du prix des carburants suite à la crise du pétrole. Elle redescend après le 'contre-choc' pétrolier de 1983.

Effectivement, je pense qu'il est important d'examiner ce dogme selon lequel la création monétaire crée l'inflation. C'est contraire à notre vécu, à notre histoire économique.

On a besoin de financements publics pour de très grosses opérations de mutation de l'économie. Il nous faudrait une politique industrielle ayant pour but de reconquérir des positions dans des secteurs d'avenir, comme le besoin de s'atteler à la dé-carbonisation de l'économie. Je note d'ailleurs que la lutte contre le CO2 fait partie des tous premiers objectifs de la Chine actuellement. Réorganiser notre politique énergétique n'est pas un fardeau, c'est une opportunité. Il nous faut réorganiser notre économie pour faire face au changement climatique. Investir dans les énergies renouvelables, lancer un investissement conséquent pour mettre tous les anciens logements aux normes et en créer beaucoup qui soient construits selon des normes d'isolation et de consommation d'énergie rigoureuses.

Relancer le crédit pour l'investissement est d'autant plus important que les accords Bâle III pèsent sur le comportement des sociétés d'assurance et des banques, car Bâle III impose des règles plus dures en terme de fonds propres, et cela crée un 'credit crunch' qui, en retour, accentuera encore la crise économique.

Il y a donc un problème de désengagement du secteur bancaire dans le financement des infrastructures.

L'innovation, si nécessaire pour une politique de la ville, une politique de l'énergie, ou du logement, ne peut se développer faute de financement.

Il y a un lien direct entre investissement responsable et investissement à long terme, c'est mon domaine de spécialisation, j'écris à ce sujet sur mon blog, et j'ai contribué à des recherches pour Terra Nova et la Fondation pour la Nature et l'Homme.

Question : On prétend souvent que c'est le protectionnisme et la création de monnaie par la 'Planche à billet' qui a fait le lit du Nazisme en Allemagne, vous êtes donc en désaccord avec cette affirmation?

A. Grandjean: Tout à fait. Dans l'entre-deux guerres, la crise de 1929 fait suite à des politiques semblables à celles d'aujourd'hui, des politiques de libre marché: «laisser passer, laisser faire» telle fut la pensée dominante dans l'Amérique et qui fait que cette dernière a mis très longtemps aussi à s'en remettre. La Grande Dépression a suivie, le crash a eu un effet immédiat sur l'Allemagne qui s'est engouffrée dans une politique d'austérité déflationniste, et cette politique de rigueur, celle du Chancelier Brüning , augmentant le chômage de masse et la baisse des aides sociales, a fait le lit électoral du Parti Nazi. Ce sont des politiques déflationnistes, des politiques d'austérité qui ont amené Hitler au pouvoir.

Pour en savoir plus:

blog www.alaingrandjean.fr

http://www.tnova.fr/sites/default/files/Maitriser_l_energie.pdf

http://carbone4.com

http://www.fondation-nature-homme.org/sites/default/files/pdf/publications/vp5-financer-avenir-sans-creuser-la-dette.pdf

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