Une formation sur le féminisme intersectionnel, quelques jours avant la manif du 8 mars. Ah moi, évidemment, je suis partante ! En plus, je viens de rejoindre Les Dévalideuses, justement, un collectif handi-féministe intersectionnel. Puis ce sous-titre : « Analyser les dynamiques du féminisme intersectionnel : comment le genre, la race et la classe se combinent dans les rapports de domination et quelles stratégies adopter pour des luttes plus justes et inclusives ? »
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Pause. Crispation. Nœuds. En premier, même pas de colère. Mais de la douleur, de la tristesse, une sorte d’abattement. Encore une fois, l’oubli, le silence, le rejet. Trop d’enjeux dans l’objectif de cette formation : si on veut analyser LES dynamiques du féminisme intersectionnel, alors on ne peut pas se permettre d’être exhaustives.
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Pas juste une omission ou un mot qui manque. Une erreur politique. L’impression que mon existence de personne handicapée sexisée ne compte pas, ne vaut pas, ne signifie pas. Que la lutte antivalidiste n’en est pas vraiment une. Que je suis un hors-sujet, ou plutôt un demi-sujet. Une militante féministe car sexisée et lesbienne, oui, mais le handicap ? Rien à voir, du personnel, du médical. Pas de lien logique, un impensé et, alors, des vécus d’oppressions entremêlées qui n’importent pas, qu’on n’écoute pas.
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Maintenant la colère. La colère qui brûle sans arriver à prendre feu. Parce que j’ai un tas de choses à dire et que je ne trouve pas comment les dire. Plus celle qui anime et donne envie de lutter, mais la colère démobilisante de la militante qui ne se sent plus à sa place dans son mouvement, et qui pourtant sait que le combat doit être mené à la France insoumise et par la France insoumise. Je n’en peux plus du rejet. Le silence politique est un rejet. Peut-être même encore plus dur à dénoncer qu’un rejet frontal, explicite. Et je perds mon envie de militer, je suis démotivée, je n’en peux plus. D’autres Insoumis.es en ont marre aussi, d’ailleurs combien sont déjà parti.es ou n’ont pas encore pu rejoindre un GA, à cause de ce rejet, et non par désintérêt politque. Comment parler d’intersectionnalité sans parler des luttes antivalidistes ? Plus qu’un oubli, il s’agit d’une invisibilisation qui remet en cause la cohérence de toute notre théorie politique insoumise. Si le validisme n’est pas pensé comme une oppression systémique et qu’on continue à considérer les handicaps comme des problèmes médicaux trop variés pour faire sens collectivement, alors ce n’est pas de l’ignorance sur le sujet, mais une perpétuation de la discrimination.
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Je ne veux pas juste qu’on soit mentionné.es, je veux que l’antivalidisme fasse partie intégrante de notre réflexion, de nos luttes, de notre programme. Ce n’est pas qu’un mot à ajouter dans un titre ou dans une liste : il y a des militant.es concerné.es, des théories et des études sur l’intersection entre féminisme et handicap ou entre théorie queer et crip, des réponses politiques à apporter, des discours à changer. Autrement, c’est une atteinte à la dignité de 12 millions de personnes en France, soit une personne sur cinq. Et comme toutes les oppressions systémiques sont liées, dans leur rapport à la norme, à la discrimination, à la violence, un féminisme qui ne conçoit pas les personnes sexisées handicapées comme sujets de lutte n’est pas intersectionnel aujourd’hui.
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J’ai ainsi partagé une partie de ces réflexions lors de cette formation. Je me suis sentie seule. Comme si de rien n’était, la formation a continué, sans qu’on fasse de ponts entre mon retour et les autres expériences de discrimination raciste et sexiste dont ont témoigné mes camarades. L’impression d’un espace en non-mixité, mais pour valides. Une colère qu’il faudra répéter. Puis ma parole aura finalement trouvé un écho, bien que tardif : un appel à faire entendre des expériences différentes, à écouter les militant.es concerné.es, à ne pas reproduire la domination dans le militantisme, en rompant avec la posture du militant sachant qui détiendrait à lui seul la bonne grille de lecture du monde. Iels manqueraient, m’a-t-on expliqué, de spécialistes concerné.es, c’est-à-dire des personnes qui vivent le validisme au quotidien. Les militant.es insoumis.es handicapé.es sont toutefois bien présent.es dans le mouvement, mais je retiens tout de même le changement d’énonciation : ce soir-là, on ne s’est plus adressé aux experts dominants qui nous convertissent en objets, mais à nous, sujets de lutte, militant.es dominé.es. Ce changement n’est pas le résultat du hasard, mais du long travail des camarades insoumis.es qui ont défendu l’intersectionnalité. C’est pourquoi je maintiens qu’en termes d’organisations politiques, la place de la lutte antivalidiste se trouve à la France insoumise. C’est la seule organisation politique qui soit prête à gouverner en prenant position en faveur de l’intersectionnalité, aspirant à la convergence des luttes. Il faudra donc faire exister cette parole qu’on n’entend pas. Je sais ne pas avoir été la première à m’engager dans ce combat, je ne prétends pas mieux faire que mes camarades précédent.es, je veux justement continuer ce travail. Et ne pas être seule. Multiplier les voix.
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Les bases sont là. Mais quand est-ce que la France insoumise sera pleinement en accord avec ses propres principes ? Ceux-ci, énoncés dans la charte des groupes d’action que chaque Insoumis. e s’engage à respecter, fixent déjà les bases pour un mouvement antivalidiste, bien que le concept n’y apparaisse pas explicitement. Du moins, je ne peux pas lire les principes n°2, 4 et 7 d’une autre manière :
2° « La France insoumise est un mouvement humaniste. Il promeut l’émancipation globale de la personne humaine »
4° « La France insoumise est un mouvement bienveillant et inclusif. », « n’y ont pas leur place […] les propos ou les comportements violents, sexistes, racistes, antisémites ou LGBTIphobes »
7° « [le mouvement] impulse et soutient des dynamiques d’auto-organisation populaire à partir des colères et des indignations quotidiennes. Il appuie les mobilisations collectives de la société qui défendent des objectifs similaires aux siens. »
Alors, donnez de la place à la parole des personnes concernées, et non pas à celles qui se disent spécialistes parce que travaillant dans le secteur médico-social. Entendez cette colère et cette indignation, refusez la discrimination, appuyez cette mobilisation. Un avenir en commun ne peut pas se construire sans nous.
Ophélie.