En tant qu'handi, on me tolère comme objet de charité, mais on me refuse la dignité inconditionnelle que l'on doit reconnaître dans chaque être. Je partage cette condition avec toutes les personnes qui sont indésirables aux yeux des gens de bien : les personnes handis, sexisées, racisées, queer, exilées, sans domicile, et toutes celles vivant d'autres situations de précarité.
Je donne un exemple qui m'est arrivé ce matin, pour rendre visibles les mécanismes de l'exclusion, en espérant que d'autres que moi prendront la parole à ma suite.
Le Droit
Pour me déplacer, j'ai besoin de mon chien guide.
Les chiens guides et d'assistance sont admis à bord des trains SNCF, sans facturation supplémentaire et sans port de la muselière. Des places prioritaires « chiens guides » sont réservables lors de l'achat des billets.
En pratique : les places «chiens-guides» (une à deux par TGV) ne sont pas réservables en raison d'un problème informatique non résolu par la SNCF depuis des années. Or, avec un chien d'assistance, on ne peut pas s'installer à n'importe quelle place. Les places dites "en carré" ou "club 4" ne sont pas accessibles de fait, car le chien n'a pas assez d'espace.
Les Faits
Lors de la réservation d'un train, placement en carré. Je contacte l'assistance handicap SNCF au téléphone. Elle ne peut pas changer ma place : c'est au chef de bord de le faire.
J'explique le problème d'accessibilité au chef de bord. Refus de me replacer. Il écarte le problème en se protégeant derrière la loi : "les chiens-guides sont admis gratuitement à bord de nos trains".
j'ai dû attendre assise par terre en voiture-bar. Ma place étant inaccessible, je ne pouvais pas rester dans le couloir avec ma chienne à cause de la forte affluence. Ayant des problèmes de stabilité, impossible pour moi de rester debout dans un train en mouvement, m'asseoir sur les tabourets hauts de la voiture-bar ou d'aller chercher moi-même le chef de bord sans l'intermédiaire d'une personne. J'insiste de nouveau auprès du chef de bord, cette fois en qualifiant de déni de droit la situation. Celui-ci prend son temps pour répondre à toutes les autres demandes des voyageurs qui cherchaient leurs numéros de place, et m'expédie d'un "arrêtez avec votre déni de droit, des personnes qui ont des problèmes, il y en a plein".
Une place étant marquée en rouge "ACCÈS INTERDIT" par le personnel technique de la SNCF, le chef de bord m'attribue opportunément cette place défaillante. Sans m'informer du problème. Et avant tout dans un souci de replacer la personne ayant réservé cette place hors service.
Des droits de papiers
Les personnes handicapées sont donc considérées comme des citoyen.nes de seconde zone. Les droits sur le papier ne sont pas des droits effectifs : il faut les réclamer, se justifier, supplier, prouver, attendre patiemment leur attribution, surtout ne pas montrer la moindre once d'agacement ou d'indignation, il ne faudrait pas se croire trop dans son droit quand même, doucement, on se calme, un peu de patience, vous voyez bien que votre cas est compliqué.
Surtout, maîtriser ses émotions. Dans une situation de domination, les émotions ne sont jamais perçues de façon égale : un homme blanc valide qui s'emporte sera au pire jugé impulsif (et cela ne le déservira pas forcément), mais on dira qu'il est agressif s'il est racisé, hystérique si la personne est sexisée. Et les discriminations se croisent : une femme handi sera reçue avec encore plus de mépris et d'infantilisation.
Il n'y a pas de droit sans accès réel au droit.
Ophélie Mansot.