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Billet de blog 21 août 2025

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Handicide : quand le validisme tue

La mort de Raphaël Graven, dit Jean Pormanove, a suscité de nombreuses réactions. Pourtant, le validisme est omis des analyses. La discrimination sur le handicap, quand elle est mentionnée, n'est pas considérée dans sa dimension systémique, mais comme des torts individuels.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Un retour sur le contexte.

Raphaël Graven était connu sous le pseudo Jean Pormanove, nom éponyme d'une chaîne sur Kick, plateforme de streaming qui repose sur une modération quasi inexistante. Lors des directs de la chaîne, les streamers handis Jean Pormanove et Coudoux sont les cibles des streamers valides, en particulier Naruto et Safine, sous prétexte de divertissement. Menaces, humiliations, insultes validistes et homophobes, gages indignes, coups, strangulations et autres violences physiques. Tout ceci financé en direct par les abonné.es de la chaîne : plus les dons sont élevés, plus les actes sont violents.

En décembre 2024, Mediapart avait dénoncé ce contenu (voir source en fin d'article). Une enquête judiciaire est ouverte en janvier 2025, mais aucune mesure n'est prise concrètement pour arrêter les violences et leur diffusion.

Le dernier direct aura duré 298h, soit 12 jours, au cours desquels Raphaël Graven aura demandé à de nombreuses reprises l'arrêt du live et une aide médicale pour d'intenses douleurs. Toujours filmé, il meurt dans la nuit du 17 au 18 août 2025.

Silence sur le validisme.

La plupart des réactions n'identifient pas le validisme comme oppression systémique qui structure et alimente ces contenus. Or, le motif de discrimination est plus qu'explicite : prendre pour cible des handis est le but assumé, la stratégie d'audience de la chaîne. Le lexique des titres et des paroles en témoigne. Je choisis personnellement de ne pas les reproduire ici pour des questions de dignité.

Les réactions médiatiques présentent majoritairement l'affaire sous l'angle des manquements en matière de régulation de la plateforme Kick. Au-delà de cet aspect de législation, rien sur les mécanismes de domination systémique. L'affaire serait complexe car Jean Pormanove avait donné son accord, il était, dit-on, consentent. Mais de quelle liberté de consentement parle-t-on quand la discrimination validiste est quotidienne et quand les possibilités de fuite ont été anéanties ? Car Graven ne se trouvait pas dans une situation ni d'égalité avec les autres streamers, ni de liberté. Il dépendait, d'une part financièrement des revenus de la chaîne, et d'autre part du logement que lui sous-louait une personne de l'entourage des streamers. À juste titre, certain.es ont dénoncé la situation d'emprise dans laquelle il se trouvait. Mais je dirais plutôt que ce sont les streamers en question qui se sont arrangés pour créer un contexte de dépendance matérielle et sociale. Nous maintenir dans la dépendance, qu'elle soit affective, financière, matérielle, consciemment ou insidieusement, fait partie de nos vécus handis. Les personnes qui exercent sur nous cette domination en tirent généralement profit, par exemple socialement (le sauveur blanc est aussi un sauveur valide), ou financièrement comme dans le cas de la chaîne Jean Pormanove. C'est pourquoi mentionner le handicap ne suffit pas, si l'on ne mesure pas tout ce que cela implique dans une société qui norme, hiérarchise et ségrègue les corps.

D'une autre façon, de nombreux commentaires aux articles sur Mediapart sont eux aussi imprégnés de validisme. Je le souligne car cela est massif et il ne s'agit donc pas de quelques anonymes qui ne respecteraient pas la charte de publication des commentaires, mais bien des réactions qui font sens dans leur dimension collective. Ces commentaires, donc, qualifient les viewers de "malades", "fous", "dégénérés", et les incitent à "aller voir un psy", "aller consulter", "se faire soigner". En plus de ne pas dénoncer la discrimination qui a tuée Raphaël Graven, ces réactions la reproduisent, par la psychophobie : les prétendues capacités cognitives et émotionnelles de ces viewers sont infériorisées voire niées, les discours pathologisent, médicalisent encore et toujours. Alors les auteur.ices de ces commentaires oublient, ou préfèrent oublier, la banalité de ces spectateur.ices, qui n'appartiennent pas un profil-type. De la même manière, et il aura fallu le procès de Mazan pour le rappeler, les violeurs ne sont pas des "monstres" mais bien des hommes comme les autres, qui disent bonjour et merci quand ils achètent du pain, incroyable.

Rien, hormis le validisme, ne permet d'expliquer que des dizaines de milliers de personnes aient assisté à ces streams et les aient même financés. Comme certain.es se rassurent à le croire pour s'en démarquer, ce ne sont pas des jeunes en perte de repères et autres adolescents difficiles biberonnés à Hanouna, ah les nouvelles générations, la décadence, les jeux vidéos, de nos jours, voyons, il n'y a plus de respect, et que font les parents, où va l'humanité...

Handicide.

Voilà de quoi la mort de Raphaël Graven est le nom.

Nommer. Pour que les mots validistes ne nous effacent plus. Pour que soient reconnus les crimes validistes.

Nos existences handies sont politiques. Nos morts aussi.

SOURCES

1. Bérénice Gabriel et Marie Turcan. « "Bataille de Cotoreps" : sur la plateforme Kick, humiliations et violences en direct pour des cartons d'audience ». Mediapart, 15 décembre 2024. URL : https://www.mediapart.fr/journal/france/151224/bataille-de-cotoreps-sur-la-plateforme-kick-des-humiliations-et-violences-en-direct-pour-des-cartons-d-aud

2. Thomas Lefèvre. « Mort du streamer Jean Pormanove : les conséquences du "validisme monétisé" ». Politis, 21 août 2025. URL: https://www.politis.fr/articles/2025/08/mort-du-streamer-jean-pormanove-les-consequences-du-validisme-monetise/

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