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Billet de blog 11 avril 2020

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Le problème avec la mort,

c'est qu'elle est la banalité de la vie.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous ne savons pas mourir. Ce doit être normal, après tout, mais après avoir lu l'article du Temps de Laurie Lugon  Quand l'Europe se moquait des épidémies, on se dit que nous n'avons pas toujours été aussi sensibles à la mort des autres. La grippe dite de Hong-Kong, apparue en 68, et qui a fait plusieurs petits tours, a tué en deux mois à l'automne 69-70 trente-cinq mille personnes en France, plus de un million dans le monde. C'est peu ou prou les terribles dégâts que fera le covid-19. Le blog de Corentin Barbu, chercheur en modélisation statistiques en biologie, basé sur un modèle SIR et mis à jour quotidiennement, en prévoit autour de 37 000 en France.

En 69, aucun confinement, aucune annonce particulière dans les journaux, aucune cellule de crise, aucune panique générale. La mort était naturelle. Que s'est-il passé depuis 50 ans dans nos modes de vie, notre façon d'envisager notre présence au monde ? Cela interroge. Aurions-nous découvert il y a un mois que nous sommes potentiellement mortels ? Que demain, si ça se trouve, je mourrai ? Mais, mais... non. Enfin, pas moi.

A vrai dire nous avons changé de paradigme philosophique. Du syllogisme classique Socrate est un homme, tout homme est mortel, donc Socrate est mortel nous avons du passer à du pragmatisme logique : jusqu'à preuve du contraire, je suis immortel. Je reconnais volontiers en faire ma devise. D'un point de vue logique, c'est inattaquable. Qui peut prouver que "tout homme est mortel" ? Les cas particuliers antécédents ne prouvent absolument rien sur mon cas personnel. L'extrapolation est toujours abusive. Disons que l'assertion qui dit que les hommes sont de malheureux mortels est une conjecture. J'ai donc bien le droit de me considérer comme immortel. Ce qui est d'autant plus justifié que je ne connaitrai pas l'instant de ma mort. De mon point de vue, je ne me serai connu que vivant. La réalité de ma mort n'existe pas pour ma conscience. Ce n'est qu'une perspective. Lointaine bien entendu.

Mais, et si demain j'attrape ce truc là, le coronamachin, je peux mourir ? Ben oui.

Je me réjouis tout de même. Le fait de ne plus me déplacer en voiture fait que mourir d'un accident de la route est devenu pour moi un événement de probabilité quasi nulle. C'était ma principale crainte. Je remercie le confinement.

Finalement la question que pose la crise actuelle est simple. Comment avons nous pu oublier la banalité de la mort ? Pas de vie sans mort, c'est une loi bio-logique fondamentale. Une des mes anciennes voisines, quand j'étais enfant, disait de la mort d'un vieux que nous connaissions : "Bah, il avait l'âge !". C'était une forme de sagesse populaire, sans cynisme aucun.

L'illusion de la consommation infinie, l'image de la jouvence perpétuelle, le refus adolescent d'être adulte, le parcage des vieux en EHPAD, la dissimulation des tombes au profit des fumées, l'oubli des ancêtres, l'ignorance de l'Histoire même récente et de ses guerres, nous ont fait oublier l'essentiel. Ce n'est pas mourir qui est exceptionnel, c'est le fait de vivre. C'est cela qui est inattendu et qui est fugace.

Que la période 70-20 coïncide avec l'avènement du libéralisme doit-il interpeller ? Cette dérive moderne du capitalisme nous fait clairement vivre des vies en laisse. "Consomme, travaille, et ferme ta gueule, voilà le message qu'on donne aux jeunes", slogan récurrent des manifs. Ce système nous forçant à oublier que le plus beau jour est aujourd'hui, est mortifère. Nous vivons des vies grises, de jeunes vieux se rêvant des vieux jeunes. Il est temps de vivre. Acceptons la mort, jouissons. Carpe diem et surtout noctem, mes amis. Les gros lards milliardaires mondiaux qui nous esclavagisent pourraient bien aller gagner leurs dividendes tout seuls, non ?

Bon, on se pose, on s'arrête, on discute. Une fois déconfinés, on continue, dehors. On regarde la vie. Ce n'est pas bleu ni rose, la vie. C'est beau. Sauvagement.

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