Le 18 mars 2020, l’association Coallia ouvrait un centre d’hébergement d’urgence dans un hôtel, boulevard Kellermann, dans le 13ème arrondissement de Paris. Cet hôtel a été réquisitionné par l’Etat pendant la durée du confinement afin de mettre à l’abri et confiner des personnes sans domicile fixe orientées par le Samu Social. Cet hôtel dispose de 170 chambres. 397 personnes sont hébergées aujourd’hui dans ce centre : des familles, des personnes seules, des femmes avec enfants en bas âge. Les situations administratives de ces personnes sont pour la plupart très différentes, comme leurs parcours et leurs origines.
Sur place, 2 gestionnaires de Coallia, une équipe de travailleuses et travailleurs sociaux, une équipe de sécurité présente 24/7, et une équipe de bénévoles.
La création en urgence de ces centres a été initiée conjointement par le Ministre du logement, la Préfecture de région, les collectivités et les associations gestionnaires qui travaillent habituellement dans le secteur de l’hébergement d’urgence.
Début avril, la Brigade de Solidarité Populaire Paris Sud reçoit une information au sujet de ce centre d’hébergement d’urgence Kellermann. Nous nous y rendons le 3 avril pour rencontrer une des gestionnaires et discuter des besoins de première nécessité que nous pourrions éventuellement fournir chaque semaine, selon nos capacités, aux personnes confinées. En un mois, nous avons réalisé 4 colis alimentaires et sanitaires à destination des 397 personnes hébergées. En plus de ces colis hebdomadaires, nous avons pu fournir environ 10000 boites de protections hygiéniques grâce au soutien d’une autre entreprise.
Nous pensions que notre action était directement bénéfique aux personnes confinées. Mais la présence d’une brigadiste parmi les bénévoles nous a permis de nous rendre rapidement compte que la gestion de nos colis ainsi que des stocks de produits d’hygiène achetés par Coallia était particulièrement confuse.
Première observation
La mission centrale de Coallia dans ce CHU est de répondre à une urgence sanitaire et de mettre en place toutes les mesures nécessaires pour protéger les personnes hébergées et les équipes qui travaillent sur place. Aucune précaution sanitaire n’est réellement prise, malgré la venue à l’ouverture d’une équipe d’infirmières hygiénistes.
Emmanuel Macron, lors de sa visite dans le centre, le 23 mars, a affirmé qu’un stock de masques chirurgicaux était prévu pour ces établissements, afin de protéger toutes les personnes qui s’y trouvent, résident·e·s comme travailleur·se·s. Ce stock a ensuite été réquisitionné par l’Etat.
Les responsables Coallia ne portent pas de masques. Les bénévoles doivent se munir de leur propre masque et il leur est interdit d’utiliser plus d’un masque chirurgical par jour lorsqu’il est possible d’en obtenir.
Aucune mesure de distanciation n’est respectée dans les locaux, que ce soit dans les étages, ou à l’accueil. Le nettoyage des locaux (sols et WC des parties communes) est effectué par une équipe extérieure, visiblement en sous effectif certains jours. Le mobilier (comptoir d’accueil, sièges, etc.) des parties communes n’est pas nettoyé, d’après nos observations.
Rapidement, un étage entier a été transformé en étage de quarantaine pour y confiner toutes les personnes suspectes de porter le virus du Covid-19. Une prise de température est effectuée chaque jour sur tous les résident·e·s. A ce qui pu être observé, cette seule prise de température, communiquée quotidiennement à un médecin extérieur au centre, justifie la mise en quarantaine d’un·e résident·e. Aucun·e soignant·e n’est présent·e dans ce centre. Nous ne comprenons toujours pas comment est organisé l’accès au soin, et particulièrement l’attention aux symptômes du Covid-19, ni comment sont prises ces décisions sanitaires et ces mises en quarantaine, souvent contestées par les résident·e·s.
D’une manière générale, les résident·e·s semblent être dans l’incompréhension des conditions de vie quotidienne qui leur sont imposées. Aucun effort d’accompagnement sur ce sujet n’est fait en dehors de quelques initiatives personnelles de bénévoles et de travailleuses et travailleurs sociaux.
Deuxième observation.
Coallia, mandatée par l’Etat, dispose d’un budget pour fournir les produits de première nécessité aux personnes mises à l’abri. Malgré ce budget, il semble que Coallia ne soit pas en mesure de répondre à l’ensemble des besoins des résident·e·s du Centre. De manière chaotique, Coallia nous a transmis ses besoins complémentaires, principalement des produits d’hygiène et des produits alimentaires pour bébé. Afin de mieux organiser les stocks et de recenser plus précisément les besoins des personnes hébergées, nous avons tenté, avec l’équipe bénévole, de mettre en place, de l’intérieur, une initiative autonome. Cette organisation nous aurait permis d’entretenir des relations directes avec les personnes hébergées, d’être plus précis sur les contenus de nos colis, de répartir et distribuer correctement les produits, et de mieux gérer nos ressources. Cette initiative a été immédiatement interrompue par la responsable Coallia qui nous a clairement interdit d’organiser une action autonome et de nous adresser directement aux résident·e·s. Dans l’annonce de recrutement des bénévoles était pourtant mentionné : distribution de repas et créer du lien avec les personnes hébergées. Au lieu de cela, les bénévoles doivent mécaniquement distribuer des repas 4 fois par jour, laver le linge de 397 personnes avec une seule machine à laver, et gérer le vestiaire.
Le comportement de la responsable et la tension croissante au sein du CHU nous ont fait comprendre que notre action servait donc d’avantage à venir en aide à Coallia plutôt qu’aux personnes hébergées elles-mêmes.
Troisième observation.
La gestion d’un tel lieu, dans un tel contexte, est sans doute complexe. Mais cette complexité ne doit pas excuser ce qui nous est apparu comme un comportement abusif de la part de la responsable Coallia de ce CHU. Un comportement abusif envers les personnes hébergées, envers les bénévoles, et probablement envers certain·e·s travailleuses et travailleurs sociaux.
L’Etat d’urgence sanitaire et le confinement ont permis aux petits chefs d’imposer leur règlement et leurs conditions à des personnes qui n’ont pas les moyens de s’y opposer. Ainsi, dans ce CHU, les conditions de sorties et de déplacements sont extrêmement strictes. L’équipe de sécurité veille, parfois avec force, à empêcher les sorties lorsque celles-ci ne sont « jugées » non indispensables à la survie des personnes (soins médicaux) ou relatives à leurs obligations administratives (demandes nécessairement justifiées et documentées). Nous avons appris qu’une échelle de sanction avait été mise en place. Un avertissement puis l’expulsion.
Aucune explication claire ni bienveillante n’est proposée aux résident·e·s. Pour seules réponses aux questions multiples qu’ils et elles se posent, ils et elles reçoivent des injonctions condescendantes et paternalistes.
Pour toutes ces raisons, les Brigades Paris Sud ont décidé de mettre un terme à ce soutien. Nous nous opposons à la démagogie de ces associations mandatées par l’Etat, ainsi qu’à leurs modes d’actions. Nous préférons rejoindre celles et ceux qui, de l’intérieur, s’efforcent de lutter contre cette gouvernance cynique, comme nos camarades Gilets Noirs en Lutte.
Rappelons pour conclure la devise de Coallia : Pour l’insertion, vers l’autonomie.
5 MAI 2020 - BSP PARIS SUD