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Billet de blog 5 mai 2022

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La question de l’eau ou comment nos gouvernants nous ont abandonnés

Nos gouvernants ont dévoyé l'essence de la politique en bannissant le mot interdiction de leur champ lexical. Tout n'est qu'ajustements, adaptations, négociations, une vaste entreprise de subversion sémantique qui cache très mal ses véritables intentions : le laisser faire le plus absolu possible de l'économie financiarisée peu importe la destruction des hommes et de la planète.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

     Tous ceux qui comme moi ont voulu croire en une possible révolution, à un changement profond du contrat social en faveur de plus de justice sociale et d’une rédemption écologique afin de sauver ce qui pouvait encore l’être, nous nous sentons aujourd’hui infiniment orphelins.

Après ces élections où malgré tout le talent de l’Union Populaire et de son leader, le vote a révélé deux blocs majoritaires. Un bloc pro-business, avec comme représentant un président en exercice dont on croirait qu’il est tout droit sorti de la Silicon Valley tant sa technophilie aveugle lui fait penser que les entreprises, les startups, l’innovation technologique, vont résoudre tous les problèmes majeurs auxquels l’humanité est aujourd’hui confrontée. Un second bloc presque aussi important, mené par une héritière et un révisionniste avéré, qui fait du repli identitaire du pays la priorité absolue, envisageant tous les problèmes du pays au travers du prisme de l’immigration.

Que nous reste-t-il à nous qui voulons envisager le monde des humains non comme un terrain de compétition entre les peuples mais comme un lieu de coopération où seul un partage plus équitable et intelligent nous permettra de cesser toutes ces formes d’exploitation des femmes, hommes et enfants et toutes ces pratiques écocidaires, les unes et les autres étant si intimement liées ?

Bien sûr le résultat de l’union populaire n’est pas médiocre, loin de là, il est même très bon, mais il ne nous a malheureusement pas permis d’accéder au gouvernement du pays. Et si les plus optimistes d’entre nous peuvent se dire que ce n’est que partie remise à dans cinq ans, il n’est pas sûr que des conditions si favorables se représentent à l’avenir, car on peut se demander si les difficultés grandissantes auxquelles nous allons devoir faire face ne vont malheureusement pas alimenter des réflexes de repli et du chacun pour soi plutôt que l’adhésion à un projet collectif. Plus grave encore, à l’heure où tous les scientifiques tirent la sonnette d’alarme et nous alertent que toute une multitude de seuils de non retour sont en train d’être dépassés avec des conséquences en cascade dont on ignore la forme et l’ampleur, et invitent les gouvernements à agir d’urgence pour, non pas éviter la catastrophe, mais pour la limiter, cinq ans d’inaction semblent une éternité. L’éternité de trop…

Car si l’on pouvait croire avec un optimisme forcené, avec un grand volontarisme, à une possibilité d’amortir la crise à venir en changeant dès demain toutes nos pratiques, à la suite d’une victoire de l’union populaire aux élections, comment croire un seul instant que le président actuel infléchira un tant soit peu significativement les règles du jeu afin de préserver ce qui peut l’être quand on sait qu’il a convoqué une assemblée citoyenne pendant plusieurs mois chargée à l’aide d’experts d’établir une liste de propositions en faveur d’une politique ambitieuse en matière d’environnement, et qu’il a balayé d’un revers de la main toutes ses propositions. Comment croire encore ce président qui nous dit “make our planet great again” quand on sait qu’il a autorisé Total a forer dans le lac Albert en Afrique et à construire un oléoduc de 1500km dans la région alors qu’on sait parfaitement que ce type de projets donne toujours lieu à de graves accidents de pollution. Ceci, au milieu d’un des plus grands lacs d’eau douce du monde, eau dont dépendent pour vivre des millions d’africains vivant dans la région. C’est non seulement un écocide assuré mais un crime contre toutes les populations locales. Imagine-t-on un seul instant Total ou toute autre entreprise minière forer au milieu du lac Léman et la construction d’un oléoduc traversant la moitié de la France pour desservir le port de Marseille ? Pas un instant évidemment. Un tel projet soulèverait immédiatement un branle-bas de combat de la part de toute la société civile. Celui qui s’enorgueillit d’œuvrer au rétablissement de vérités historiques en Afrique passés sous silence par la France autorise en même temps le saccage du continent africain, par les multinationales françaises.

Point d’espoir à avoir avec la présidence Macron. Le seul slogan sera la croissance, et si l’occasion se présente, une mesurette verte, afin de pouvoir s’en targuer tout sourire dans les conférences pour le climat à venir.

Les politiques au pouvoir depuis des décennies nous ont abandonnés. Ils ont abandonné la politique, ils ont abandonné le sens de la politique qui est celui d’établir des règles pour la société, des règles qui protègent la société et qui organisent le vivre-ensemble. Il n’est pas anodin que la novlangue productiviste ait pratiquement évacué le mot ‘règle’ de son lexique. Ce n’est pas un hasard, car tout ce que l’on veut promouvoir c’est la liberté d’entreprendre, la liberté de vendre, la liberté d’acheter, la liberté d’exploiter les ressources, etc…

Ne vous y trompez pas, il n’y aura aucune règle contraignant les entreprises et les citoyens à changer leurs pratiques, il n’y aura que des invitations, des incitations, qui, on peut se le demander, sont-elles là pour cacher la forêt du business as usual ? La forêt des mauvaises pratiques habituelles et nouvelles que l’on s’efforce de faire glisser hors du champ du débat.

Les politiques nous ont abandonnés, en tant que société, en tant que femmes et hommes. Il n’y a plus de règles pour l’économie, tout est au contraire fait pour favoriser son expansion, peu importe ses conséquences sociales et environnementales. “Interdiction” est devenu un gros mot jamais prononcé dans la novlangue entrepreneuriale au pouvoir. Les exemples foisonnent, du refus explicite de nos gouvernants de prendre en compte le bien commun et de favoriser le développement des entreprises. Le dernier en date et connu de tous étant celui du lancement de la 5G en France.

Mais j’aimerais prendre un autre exemple à mon avis plus fort encore et constituant une éloquente démonstration de la démission totale de nos gouvernants. Il s’agit de l’exemple de l’eau.

Il est d’usage lorsque l’on aborde la question de politiques ou de réformes destinées à protéger un aspect de l’environnement qui ne faisait auparavant pas l’objet de protection, d’opposer à ces mesures toute une série d’intérêts catégoriels qui se heurteraient plus ou moins de front avec les-dites mesures. L’argument largement prévalent chez les gouvernants locaux et nationaux étant la nécessité de préserver l’emploi, ou encore la pérennité d’un secteur économique, lui-même déterminant pour l’emploi de milliers de salariés et petites entreprises. Argument assez spécieux car jamais invoqué au contraire dans le cas où l’on souhaite fermer des secteurs entiers jugés obsolètes ou non compétitifs du point de vue de l’actionnariat.

Ainsi, quant il s’agit de discuter de la meilleure manière de diminuer les émissions de Co2 en réduisant le volume de la production automobile, et pourquoi pas, soyons rêveurs, en planifiant le passage d’une organisation du territoire autour de l’essence à une organisation du territoire autour du rail, on nous oppose invariablement la rengaine du nombre de salariés mis au chômage que supposerait une réforme du modèle tout voiture. C’est un argument extrêmement fallacieux, mais il ne s’agit pas ici de traiter cette question. Je me contenterai de dire que oui, il est vrai, une modification substantielle de l’organisation du transport au niveau national va de pair avec une réforme de l’économie qui la sous-tend. Ce serait justement le rôle des politiques de mettre en œuvre les mécanismes permettant de mener à bien cette réforme nécessaire de manière avantageuse pour le plus grand nombre. Et non pas de s’abriter devant les hypothétiques difficultés sociales insurmontables qui surgiraient à entreprendre une telle réforme pour continuer dans la mauvaise voie et en coulisses préserver les intérêts en place.

L’exemple de l’eau est excellent car il possède une limpidité sans pareille.

Je suis né en 1979 et toute mon enfance, j’ai bu à la maison, comme la majorité des français, de l’eau du robinet. Ce n’est que vers l’âge de mes 20 ans (soit dans les années 2000) que j’ai vu ça et là, chez ma mère, chez mon père, chez des amis, apparaître des bouteilles d’eau en plastique de marques françaises auparavant consommées dans les cafés et restaurants dans de petites bouteilles en verre.

Très rapidement, s’est imposée l’idée - à l’aide de subtiles campagnes de désinformation de ces grandes entreprises d’embouteillage - que l’eau en bouteille était meilleure pour la santé que l’eau du robinet qui était sans-doute quelque fois moins pure qu’on pourrait le souhaiter. Cela rappelle évidemment de subtiles méthodes à l’efficacité prouvée, utilisées par le passé par les grands cigarettiers, de mise en doute du réel à l’aide d’études scientifiques biaisées.

Ainsi ce qui n’était qu’une tendance rapide s’est très rapidement imposé comme une norme dominante en France, pays où l’accès à domicile à une eau de qualité a des décennies durant été considéré comme un progrès sanitaire et sociétal majeur. Seulement, c’était sans compter avec la petite musique d’Evian et consorts qui à coup de spots de pub télévisés plus purs, plus aériens, plus naturels les uns que les autres, ont rivalisé de matraquage publicitaire pour imposer dans l’inconscient collectif l’idée que l’eau en bouteille était synonyme de pureté et que l’eau du robinet pouvait être parfois suspecte.

Et voilà que vingt ans plus tard ces entreprises d’embouteillage que sont Evian, Contrex, Volvic et autres, ont répandu la mort aux quatre coins du monde en répandant massivement dans tout l’environnement de monstrueuses quantités de bouteilles plastiques. Fait très instructif, au même titre que coca cola. Car il ne faut pas s’y tromper, coca et évian font le même métier, embouteilleur.

Ces entreprises-mêmes qui répètent à longueur de journée qu’elles sont les championnes de la santé,”nos alliées bien-être” sont en vérité parmi les plus grandes championnes de la contamination de l’environnement. Non seulement elles épuisent les sources auxquelles elles puisent en quantités trop grandes leur or bleu et bouleversent ainsi les écosystèmes où elles opèrent en asséchant des zones entières mais elles contribuent directement à la pollution des eaux douce et de mer par la production incontrôlée et la prolifération incontrôlée et incontrôlable de bouteilles plastiques sur la planète. (Quand elles ne polluent pas de facto la région où elles opèrent en déversant elles-mêmes comme cela a été prouvé des centaines de tonnes de déchets plastiques directement dans la nature)

Ces entreprises-mêmes qui nous vendent le rêve d’une eau pure sont en train de polluer irrémédiablement l’eau de toute la planète. Je ne veux pas m’arrêter à la condamnation des activités criminelles de ces entreprises écocidaires. Ce qui m’intéresse ici, c’est comment nos gouvernants traitent ce problème, ou plutôt, comment ils ne le traitent pas.

Si je le compare à mon exemple précédent de la réforme de l’organisation territoriale des transports, prendre pour la question de l’eau, pour l’arrêt de sa contamination par la dispersion de bouteilles plastiques, des mesures réglementaires, serait une action d’interdire plus que d’investir.

Il n’y a donc ici pour l’État qu’un coût très modeste à supporter.

Pour ce qui est de l’emploi des salariés de ces entreprises d’embouteillage, à compter que l’on veuille nous opposer l’argument fallacieux de la préservation des emplois, il s’agit d’usines extrêmement automatisées et dont la productivité mesurée à l’aune du nombre de bouteilles produites et remplies par salarié est immense.

Autrement dit, le nombre d’emplois perdus, je le répète, à supposer qu’il faille préserver des emplois hautement nocifs pour l’environnement, est ridicule en comparaison de l’écocide massif que constitue la mise en circulation quotidienne de quantités astronomiques de plastique jetable, dont une infime part sera recyclée et qui finira au mieux dans une décharge causant la pollution mortelle des sols et nappes phréatiques avant de se répandre par divers canaux dans l’océan.

Tout gouvernement réellement soucieux d’écologie se devrait d’assurer la fourniture d’eau courante potable de qualité sur tout le territoire national. Il devrait tout autant, interdire l’eau en bouteille et la mise en commerce de ce bien commun indispensable à la vie.

Cette interdiction représente un coût dérisoire en comparaison des immenses bénéfices que toute la société peut en retirer. Il ne faut pas s’y tromper, si cette interdiction si simple à mettre en œuvre n’est pas prise, c’est parce qu’elle heurte de front l’entreprise très profitable de quelques grands groupes français et internationaux d’embouteillage.

Ainsi, face à la pression d’un poignée d’entreprises assez riches pour jouer de leur influence auprès de nos décideurs, nos gouvernants en refusant de prendre une mesure politique simple, et je pèse mes mots, une mesure littéralement politique, nous abandonnent, nous, le peuple qu’ils sont censés représenter.

Ne vous y trompez pas, si nos gouvernants ne trouvent pas le courage de prendre une mesure si infiniment simple et immensément bénéfique pour un coût absolument modique, il est catégoriquement inimaginable qu’ils prennent un virage social et écologique conséquent qui nécessitera des réformes d’une toute autre envergure, bien plus complexes, profondes, et mettant en question des groupes d’intérêts bien plus grands, puissants et organisés encore.

Nous ne pouvons plus nous en remettre à nos gouvernants, ceci nous ont abandonnés, ils se sont mués volontairement ou à leur insu en gestionnaires plus ou moins obéissants de la doxa économique et financière dominante.

Élisez des révolutionnaires ou rien ne changera, c’est une certitude absolue. Ne croyez plus un mot de ce que vous promettent ces thuriféraires d’une croissance à toujours préserver et à verdir le temps de quelques discours prononcés épisodiquement dans les conférences internationales.

Peut-on encore attendre quelque changement des urnes ? Je pose la question.

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